6 avril 2009

La chanson du passant


Louis-Joseph Doucet,
La chanson du passant, Montréal, Yon, 1908, 110 pages. (Préface d’Albert Ferland)

L’œuvre de Louis-Joseph Doucet est l’une des plus considérables au Québec. Il aurait publié plus d’une trentaine de recueils, surtout de la poésie. Il était le gendre de l’éditeur Joseph-Georges Yon, maison d’édition dont il a hérité. Doucet était membre de l’École littéraire de Montréal. La Chanson du passant est son premier recueil.

Pas facile de lire La Chanson du passant, recueil terriblement vieilli. Doucet est un poète romantique, mais non un poète du terroir. Son inspiration très convenue est à peu près la même que celle de Lamartine : la nature bienveillante, le temps destructeur, les souffrances humaines, l’appréhension de la mort.

Au départ, comme plusieurs poètes de son époque, il nous prévient de la modestie de ses vers : « Mes dits ne sont, hélas! Que des fagots de grève / Qui brûleront un soir pour quelque nautonier ». Malgré tout, il croit que sa « sincérité peut [le] venger un jour ».

Les Laurentides, les grands arbres (les pins, les frênes), le soleil et la lune sont les motifs développés dans les premiers poèmes du recueil. Il associe l’immensité de la nature à la genèse de l'univers : « Horizon de granit, montagnes triomphales / Quelle force inconnue a pu vous soulever? » Le questionnement va même un peu plus loin et rejoint celui des Romantiques dans le poème « Horizon » : « Je périrai dans ta poussière, / Nature, en chantant tes beautés, / Vers l’horizon, vers la lumière, / Cet espoir des éternités… » Quand il redescend de ces « hauteurs », il reprend à peu près tous les clichés romantiques. La nature est une confidente et une consolatrice : « Soirs qui repasserez sur les âmes du monde, / Donnez-moi le salut de votre paix profonde ». La nature est un témoin qui nous permet de garder la mémoire des disparus : « Et la fleur qui naîtra sur ma tombe glacée, / Gardant le souvenir de mon amour au ciel, / De la vie à la mort redira ma pensée ». La nature nous console de la fuite du temps : « Ainsi tout disparaît par les routes du monde ; / Ainsi passe et s’éteint toute lueur du front; / Notre œil garde bien peu de la vie inféconde; / Mais ce que l’on a vu, d’autres le reverront ». La nature est un miroir de nos vies : « Le ciel s’est recouvert d’ombre sans espérance, / Il semble s’attrister comme un pauvre vivant. » Etc.

Tous ces poèmes, on le devine, sont empreints de mélancolie, d’un certain pessimisme (toute beauté finit par périr). Cela est assez évident dans « La chanson du passant », le poème éponyme, une suite poétique, à la composition plutôt lâche, qui fait 37 pages! De quoi s'agit-il? Simplifions et disons que Doucet trace le bilan de son existence. Il parle de son passé, des lieux de son enfance, de son lien avec l’aïeule; il évoque ses tristesses et ses joies, ses espoirs et ses déceptions, ses anciennes occupations et ses amis perdus, ses souffrances et la mort qu’il entrevoit… Il pleure beaucoup sur lui-même, désespérant de sa situation présente et espérant, sans trop le dire, que la gloire lui vienne un jour de ses écrits. Il consacre quelques vers à son maître François Villon.

Il se permet un acrostiche et comme la fantaisie est peu fréquente dans ce recueil, je me permets de le reproduire :



ENFIN JE NE CHANTERAI PLUS

J'ai chanté les bois et la plaine,
J'ai chanté l'onde et les bateaux,
J'ai chanté la foule inhumaine,
J'ai chanté les petits oiseaux,
J'ai chanté les brumes austères
Sous les automnes disparus,
J'ai chanté des peines amères,
Enfin, je ne chanterai plus !

J'ai chanté la moisson sereine
Dont les ors parent les coteaux,
J'ai chanté l'heure et la semaine,
Le dur labeur et le repos ;
J'ai chanté les vertes fougères
Sous les lointains cèdres touffus ;
J'ai chanté les brises légères ;
Enfin, je ne chanterai plus !

J'ai chanté la tristesse vaine
Des victimes et des bourreaux ;
J'ai chanté la main souveraine
Qui guide les humains troupeaux
J'ai chanté le beau phalanstère
Que sont les cieux pour les élus;
J'ai toujours chanté sur la terre,
Enfin, je ne chanterai plus !


Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana
Contes rustiques et poèmes quotidiens
La Chanson du passant

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