16 juin 2008

Les Ribaud

Ernest Choquette, Les Ribaud, Montréal, Eusèbe Senécal, 1898, 354 pages. (Deuxième édition revue : 1926)

En 1834, le vieux Docteur Ribaud perd son fils Gabriel lors d’un duel : celui-ci a provoqué un officier anglais qui insultait les Canadiens. Il reste seul, avec Madeleine, sa fille bien-aimée, sa femme étant morte depuis longtemps. Trois ans après le duel, le désir de vengeance du docteur n’a pas faibli. Comme on le sait les événements se précipitent après le rejet des 42 résolutions envoyées à Londres. Le docteur participe aux assemblées publiques levées par les patriotes, aux côtés de Viger et Papineau. Mais un défi encore plus grand lui pend au nez : sa fille Madeleine, laissée à l’écart de la politique et ignorant tout de la mort de son frère, s'est amourachée de Percival Smith, un officier britannique qui fut témoin lors du duel qui a détruit la vie de Ribaud. À son crédit, on peut dire qu'il avait essayé d’empêcher le duel.

La bataille de Saint-Charles s’annonce. Le vieux docteur, sidéré à l’idée que sa fille puisse épouser un Britannique, décide de profiter des événements pour supprimer en tout honneur le capitaine Smith. Aidé de son serviteur François, il court au-devant de l’armée anglaise, se poste sur un promontoire, juste au-dessus d'une rivière que devra franchir la troupe en marche vers Saint-Charles. Quand celle-ci se présente, il vise le capitaine et le tue. Du moins le croit-il. Ce qu’il ignore, c’est que Percival a promis à Madeleine de ne pas verser le sang des patriotes et qu’il a échangé son poste contre celui du porte-drapeau. Cela, même Madeleine l’ignore. Au retour de l’armée, Madeleine, n’apercevant pas le capitaine Smith marchant devant les troupes, s’évanouit, puis sombre dans un délire. Tout indique qu’elle va mourir. Son père et le vieux curé n’y peuvent rien.

Finalement, quand son père apprend que le capitaine Smith est vivant, après un terrible débat intérieur, il finit par admettre que son amour filial doit triompher de son patriotisme et il se rend au fort pour obtenir que le capitaine accoure auprès de sa fille mourante. Mais le capitaine, ayant eu vent de l’affaire, est déjà rendu auprès de son amoureuse. Tout est bien qui finit bien. Français et Anglais sont réunis par l’amour. Un an passe et nos deux jeunes gens se marient.

Il va de soi que ce genre d’intrigue n'est pas original. Ici, au Québec, Aubert de Gaspé l’utilise dans Les Anciens Canadiens. C’est le dilemme cornélien, celui de Rodrigue dans Le Cid de Corneille : comment sauver son honneur sans renoncer à l’amour ? L’idée générale qui s’en dégage est un peu surprenante, tout de même. Choquette décrit avec beaucoup d’emphase et de sympathie les sentiments patriotiques de Ribaud et de ses compagnons d’armes. Mais la fin du roman nous amène sur la voie de la nécessaire réconciliation. On voit dans le roman un curé assez surprenant ; lui, malgré son patriotisme, il encourage l’amour de Madeleine et Percival.

L’intrigue amoureuse occupe plus de place que l’intrigue historique. Les événements historiques sont bien minces. On y aperçoit Papineau « l’homme à la chevelure relevée en faisceau sur la tête » et Viger décrit comme « un bandit ou un démon ». On n’assiste pas aux batailles, on voit les événements presque uniquement à travers les yeux de Madeleine, elle qui ignore tout de la politique, qui est très loin des assemblées publiques et des scènes de combat. Le traitement est très romantique : les sentiments sont exacerbés, les personnages pleurent, veulent mourir d’amour, ou pour l’honneur, ou pour la patrie. Le roman, malgré des faiblesses de construction, se lit encore très bien. ***½


Extrait
Oh ! la maladie au foyer, quelle tristesse !
Le docteur Ribaud, dans sa longue expérience de médecin, avait côtoyé bien des souffrances, assisté à beaucoup de scènes navrantes, vu couler bien des larmes, et il n'y était pas resté indifférent, sans doute ; mais quel changement ce fut pour lui d'endurer ces angoisses pour son propre compte.
Depuis vingt-quatre heures, la fièvre le brûlait presqu'à l'égal de Madeleine. Tout l'épouvantait, tout l'oppressait dans la maison. Ces voix et ces pas en sourdine des domestiques, les chocs des verres à potions, les chuchotements inquiets, les gestes navrés des visiteurs, les portes fermées doucement, puis cette crainte mortelle subitement en constatant chez Madeleine une menace d'aggravation de la fièvre, du pouls, — toutes ces choses l'écrasaient et le laissaient sans la moindre énergie.
Mais, en même temps, quel soulagement, quel dégonflement de poitrine il éprouvait, quand, comptant tout bas sur son vieux chronomètre niellé : un deux, trois, quatre, cinq, six, il concluait à une amélioration des symptômes.
Il vivait ainsi, dans des alternatives d'espoir et de découragement, suivant les indications que lui donnait le pouls ou la fièvre de Madeleine.
Pendant ce temps-là, celle-ci toujours étendue sur son lit blanc, laisse entendre un soupir, un gémissement, ouvre tantôt un oeil, se retourne sur elle-même, murmure des lambeaux de phrases délirantes où se mêlent, dans une divagation complète, des noms, des mots dont elle embrouille et tronque les syllabes.
On voit cependant qu'il se fait un travail dans son cerveau à ses négations de la tête, ses gestes qui appellent ou repoussent, ses mouvements de lèvres, tantôt caressants, tantôt suppliants, et qu'épie anxieusement son père assis auprès d'elle.
— Souffres-tu ? lui demanda-t-il, tout bas.
Elle fit signe que oui.
— Où souffres-tu ? reprit-il.
Elle montra son front.
— Tu as mal à la tête ?... hein ?... Me reconnais-tu, maintenant ?... Regarde-moi...
— Oui... Ah !... les tambours... cours vite... tu le guériras, toi,... tu es si bon ;... lui aussi est bon... Les voilà...
Le docteur eut un froncement de sourcils.
Encore,... toujours,... murmura-t-il,... pauvre Madeleine,... comme elle l'aimait,... et il se mit à réfléchir profondément.
Qu'il avait donc durement payé les moments de bonheur qu'il avait eus dans sa vie. Comme tout lui avait menti. Il s'était fait un point d'orgueil et d'honneur d'aimer sa famille et son pays ; ces sentiments si nobles, qu'il avait fièrement affichés, lui avaient menti comme le reste. Sa torture avait été plus douloureuse, ses angoisses plus poignantes, le fiel bu plus amer, justement parce que son cœur avait été meilleur, son âme plus généreuse, son patriotisme plus ardent.
Sa conscience ne lui reprochait rien, non, rien,... pas même la mort de Percival. Il souffrait horriblement de la maladie de sa fille ; il n'avait pas dormi un seul instant durant les quarante heures, longues comme des années, qu'il venait, le cœur tenaillé par l'angoisse, de passer auprès d'elle, et pourtant,... s'il ne pouvait rien se rappeler, rien revoir sans frémir de la scène de là-bas, dont le tableau lui traversait si souvent l'esprit dans un éclair, il n'éprouvait ni regret ni remords.
Il combattait constamment pour oublier le rapport qu'il y avait entre ces deux noms : Madeleine et Percival. Car il ne voulait point, en s'accusant avec larmes du sort pénible de sa fille, envelopper dans la même douleur le sort du capitaine anglais.
Ce qu'il avait fait avait un contrecoup très rude. C'était bien triste pour Madeleine,...mais pour Gabriel?... Et ceci le consolait. (p. 291-296)


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