21 juin 2008

Les Habits rouges

Robert de Roquebrume, Les Habits rouges, Paris, Éditions du Monde nouveau, 1923, 280 p.

Les événements de 1837, la Rébellion des Patriotes, figurent en toile de fond du roman. L’histoire est plutôt bâtie autour d’une jeune fille, Henriette de Thavenet, 19 ans, dont le père est ami des Anglais. Contrairement à celui-ci, elle est une patriote. Un soldat anglais, le lieutenant Fenwick, est amoureux d’elle, mais elle le tient à distance. Elle a pour amie la fille de Colborne, Lilian, elle-même courtisée par deux Canadiens français, D’Armontgorry (un Canadien français qui fait partie de l’armée anglaise, mais qui se rangera du côté des patriotes et qui sera fusillé) et Jérôme de Thévenet (le frère d’Henriette). Bref, toutes ces histoires d’amour entre Anglais et Canadiens français seront brisées par le conflit.

Roquebrune décrit la bataille de Saint-Denis où les patriotes sont victorieux et celle de Saint-Charles où ils sont défaits. On voit davantage leur désir de créer une république à l’américaine que de devenir indépendants. Roquebrune montre bien que l’aristocratie et le clergé se rangent du côté des Anglais. Il décrit aussi le peu d'empressement du peuple à embrasser la cause des patriotes.

Plusieurs personnages historiques font partie de l’histoire : Lord Gosford est présenté comme un bon fonctionnaire anglais, ayant beaucoup d’empathie pour les Canadiens français; le général Colborne, au contraire de Gosford, ne rêve que d’écraser les rebelles. A côté de ces personnages anglais, on rencontre Papineau, Nelson, Lorimier, Chénier, Haldimand… Mais on ne les voit pour ainsi dire à peu près pas, tout compte fait moins que les Anglais. Il y a aussi le vieux notaire Cormier et son serviteur Cotineau (personnages fictifs, sauf erreur) : le premier sera tué lors de l’affrontement de Saint-Charles, le second fera partie des 12 pendus.

« Les Habits rouges ont bien la clarté, la sobriété et l’impartialité de l’œuvre historique; mais ils sont dépourvus des qualités d’imagination, de sensibilité, de chaleur, de coloris et d’intérêt soutenu qui sont le propre de la trame romanesque.. » (Jean-Charles Harvey, Pages de critiques, Québec, Le Soleil, 1926, p. 115). Je suis d’accord avec Harvey. Voilà un roman qui se lit bien, assez vif, bien fait et pourtant... Il me semble qu’il ne lève pas vraiment.

Voulant sans doute éviter les grandes envolées romantiques et le patriotisme facile de ses contemporains, Roquebrune a vidé son roman de toute émotion. Il n’y a pas de héros, les intrigues amoureuses sont à peine esquissées. Plus encore, il n’y a pas de parti-pris. Colborne figure comme le « méchant Anglais », mais le gouverneur Gosford et le jeune lieutenant Fenwick sont très sympathiques. Même chose du côté canadien-français. D’Armontgorry peut sembler un traître, mais il abandonne l’habit rouge dès le début des hostilités, ce qui « tue » le personnage du point de vue romanesque. Seule Henriette de Thévenet accomplit une action un tant soi peu héroïque. Si au moins elle avait assumé son amour naissant pour le jeune officier Fenwick... Elle prendra la pleine mesure de son sentiment, quelque temps après la mort de celui-ci.

La partie historique demeure malgré tout intéressante : le fil des événements, la stratégie des patriotes et le refus de s’engager du clergé et des aristocrates sont bien rendus. Les batailles de Saint-Denis et de Saint-Charles sont sommairement décrites. Il me semble que le récit s’interrompt trop tôt, abandonnant les patriotes condamnés à leur exil et, pour douze d’entre eux, à leur échafaud. ***

En livre de poche, dans les années 60
Extrait
Les candélabres allumés sur la cheminée et dont les sautillantes lumières se reflétaient dans la glace trouble, achevaient de donner à ce salon un aspect funèbre.
Une dizaine d’hommes y étaient réunis. Assis ou debout, ils causaient à mi-voix. Des anneaux bleuâtres de fumée montaient des pipes et des cigares et s’étiraient vers la chaleur du poêle. Chaque fois que la marteau de la porte retentissait, les conversations s’interrompaient. Le nouveau venu entrait, serrait les mains, échangeait quelques mots avec chacun, puis s’isolait dans un coin avec Cormier. Celui-ci tirait fréquemment sa montre qu’il consultait d’un coup d’œil. Ce geste avait quelque chose de nerveux et de machinal qui trahissait une préoccupation inquiète.
Enfin, à dix heures, il s’avança au milieu de la chambre, parut faire le compte de ses hôtes et dit d’une voix grave : 
« Messieurs, nous sommes au complet. » Puis se tournant vers un homme de haute taille qui, devant le poêle, chauffait la semelle de ses bottes :
-- Papineau, à vous la parole.
Il y eut un mouvement général des fauteuils. Le silence se fit immédiatement. Quelqu’un secoua sa pipe sur son talon. Papineau se retourna.
Sa figure apparut éclairée d’un côté par les bougies. Ses traits, modelés durement par la lumière et l’ombre, avaient un relief magnifique. Aucune mollesse ne venait alourdir ce masque où les yeux se creusaient comme dans une figure de pierre. Le front était allongé par les cheveux rejetés en arrière. La bouche mince, aux lèvres un peu tombantes, était dédaigneuse sous un grand nez frémissant. La maigreur de ce visage était vigoureuse et une autorité émanait de tout l’homme. Drapé dans son manteau qu’il avait gardé, il prenait une attitude un peu théâtrale. Toutes les têtes étaient tendues vers lui.
-- Messieurs, dit-il lentement, il était bon de nous réunir encore ce soir. Il était nécessaire de nous concerter avant de prendre une décision définitive. Et cette assemblée revêt un caractère d’autant plus solennel qu’elle sera la dernière que nous tiendrons. » (p. 119-122)



1 commentaire:

  1. Les Habits Rouges de Robert de Roquebrune.
    Récrire ce roman.
    Le porter à l'écran...
    Pierre Demers physicien
    26VI2011
    http://www.blogger.com/comment.g?blogID=3607328563375810374&postID=3348199624060697491
    c3410@er.uqam.ca
    LISULF Québécium

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