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9 avril 2008

Les Îles de la nuit

Alain Grandbois,
Les Îles de la nuit, Montréal, Parizeau, 1944, 135 pages (Illustré de cinq dessins de Pellan
)

Nous tenons ici un livre-phare de la littérature québécoise. Il valut à l’auteur le prix David. En plus, l’édition de Parizeau est très soignée et les dessins de Pellan ajoutent à la valeur du recueil. Les Îles de la nuit comptent 28 poèmes, dont plusieurs méritent de figurer dans toute anthologie de la littérature québécoise qui se respecte. Ce recueil contient les Sept poèmes d’Hankéou, petit livre mythique publié en Chine en 1934, dont seuls quelques exemplaires nous sont parvenus, l’essentiel du tirage ayant été perdu dans un naufrage.

Bien malin qui pourrait expliquer chaque vers, chaque image de ce recueil, dense, métaphorique. La poésie de Grandbois est tout en images. Autant Garneau traduit son mal-être dans un style dépouillé, autant Grandbois le fait dans l’exaltation langagière. Grandbois aime beaucoup les figures d’insistance, entre autres l’anaphore et la répétition, ce qui fait dire à certains commentateurs que sa poésie ressemble à des litanies et que ses vers sont des versets.

Comme toutes les grandes oeuvres poétiques, celle de Grandbois exige une certaine fréquentation. Sa poésie est difficile, surtout dans Les Îles de la nuit, car elle n’est pas tellement incarnée, bien que très sensuelle. Le monde que le poète a parcouru n’est jamais nommé, mais plutôt réduit à un certain nombre d’archétypes : l’île, le rivage, le ciel, la mer; le minéral et le végétal. Et il y a toutes ces variations atmosphériques : la pluie, le brouillard, l’orage, le soleil du midi… Toutes ces femmes qu’il a rencontrées se dissolvent dans l’évocation archétypale de l’amour. Et l’univers temporel est régi par des balises peu précises : le passé, le présent, le futur; la nuit, le jour, l’aube, l’aurore. Voilà donc, à vue de nez, ce qu’il en est du matériau de l’œuvre.

On est très loin de toute forme de régionalisme, bien qu’il soit possible d’associer le sentiment d’impuissance qui traverse le recueil à une certaine atmosphère d’angoisse bien présente autour de la Seconde Guerre mondiale, renforcée au Québec par ce qu’on va appeler la Grande Noirceur. Grandbois n’a pas désavoué son appartenance à la « poésie de la solitude », catégorie dans laquelle il voisine les Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Rina Lasnier... Mais cette poésie n’a pas besoin d’être lue en référence au contexte social. L’auteur aborde des thèmes universels, tels l’amour, la souffrance, la mort, le voyage. Sous le couvert d'images flamboyantes, il traduit un cheminement personnel, intime, spirituel, une recherche angoissée du sens de l’existence.

J’aurais envie d’utiliser cette image un peu pompeuse pour décrire la poésie des Îles de la nuit : c’est une poésie de l’élan refréné. D’où vient ce refrènement? De l’hostilité du monde? De la perte du bonheur originel de l’enfance? De la méchanceté humaine? De la vanité de tout espoir puisqu’il y a la mort? De l’impossible escale dans le temps ? D’un peu tout cela sans doute.

« Je suis comme un désir figé parmi les îles de la nuit » Il y a très peu d’îles dans la nuit de Grandbois. L’enfance fut l’une d’elles. « Les musiques de l'enfance / Se sont-elles jamais tues / De l'autre côté du monde / Avec là-bas ton ombre qui s'efface ». On peut dire que tout bonheur se mesure à l’aune de ce bonheur ancien, près de la mère, dans une nature bienveillante. Pour Grandbois, le Temps, c’est l’ennemi. Toute intimité heureuse est détruite par le passage du temps. Vient un moment où même le recours à la mémoire est compromis : « Ô Vous tous sur ce chemin perdu de mon passé / Je fais appel à vous de toutes mes blessures ouvertes ». Une autre « île » dans sa « nuit », c’est l’amour, parfois associé à l’enfance d’ailleurs. « Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche / Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche / Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul // Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher / Et tes bras qui t’entourent d’éclairs nonchalants / Et ton genou rond comme l’île de mon enfance ». L’amour contient à la fois la plus haute allégresse et sa propre perte, car il est soumis au pouvoir dissolvant du temps. Mais c’est ce moment de bonheur fugace, ou son simple rappel, qui lui permet de contenir, ne serait-ce momentanément, sa détresse. « N'étions-nous pas partis lestés d'étoiles étincelantes / Nos sourires dans nos gorges comme des anneaux de fiançailles / Nos doigts comme des oiseaux tremblants / Nos yeux vissés plus loin que les éternités. » Voilà pour les îles.

Et la « nuit »? Comme on vient de le mentionner, c’est d’abord le temps destructeur. C’est lui qui explique le perpétuel corps à corps avec le présent, ce regard décalé sur les êtres et les choses, cette désillusion tenace face à tous projets humains. Grandbois a tellement aimé le voyage, et pourtant toutes ses pérégrinations semblent bien inutiles, comme si l’aube ou le rivage n’existaient pas. « Ah toutes ces rues parcourues dans l'angoisse de la pluie / Mes pas poursuivant la chimère d'un asphalte luisant et sans fin ». Un autre aspect de la « nuit » du poète, c’est le sentiment d’étrangeté, cher aux existentialistes, que l'humain ressent face à l’univers. Ce dernier est hostile, l’homme est pris dans une tourmente, à la merci des éléments. Et le monde que l’homme construit n’est pas mieux : les grandes villes minérales sont froides, on ne peut que s’y perdre : « J'étais l'animal haletant dans mille corps et les villes se succédaient / Les rues de mille villes se succédaient toutes pareilles ».

Alors que sont ces « îles de la nuit »? Quelques petits morceaux de bonheur dans sa « nuit » désespérée, des moments d’accalmie dans cette grande traversée orageuse, un peu d’enfance soleilleuse, de courts passages amoureux, la tendresse d’une mère. Bref, de bien maigres résistances face aux puissances de destruction que sont le temps et la mort. « Car l'heure parfaite n'est pas dans le temps assez reculée / Car le plus secret des astres n'est pas dans l'espace assez lointain / Pour que morte la Mort et morte son ombre / Elle ne puisse nous saisir ».

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Né à Québec





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