LIVRES À VENDRE

22 décembre 2007

Noël d'antan (12)

Chères lectrices,
Chers lecteurs,

Bon temps des Fêtes à toutes et à tous. J'espère que vous avez apprécié le caractère suranné de ces douze poèmes de Noël. Qui d'autres que Jean Narrache pour compléter la série! Je ne reprendrai pas ce blogue avant le 15 janvier. J'ai deux ou trois livres de notre époque (eh oui!) que je voudrais lire.... Bonne année 2008 !

LE TEMPS DES FÊTES

V’la l'temps des Fêt's pis des étrennes.
Les magasins, les grands journaux
Annonc'nt Santa Claus d'puis trois s'maines
C'est l'p'tit Jésus des temps nouveaux.

...Dir' que Santa Claus te remplace,
Ah ! pauvre Jésus d'mon jeun' temps !
C'est-i' vrai qu' t'as perdu ta place
Dans la croyanc' des p'tits enfants !...

Tandis que tout l'mond' se garroche
Aux magasins, j'passe en r'gardant,
Tout seul, les deux mains dans mes poches...
J'ai pas d'autr' chose à mettr' dedans.

L’argent, on pogn' pas ça au piège,
Faut travailler pour en avoir ;
Ça l'fait exprès, on n'a pas d'neige
A ramasser su' les trottoirs.

J'aim'rais ça fair' des bell's étrennes
A ma vieille et aux p'tits enfants ;
J'leu donn' c'que j'peux... Ça m'fait d'la peine
Vu qu' j'ai ben l'coeur, mais pas l'argent...

Des p'tits quêteux r'gard'nt les vitrines
Plein's de nénane et d'beaux joujoux ;
Le coeur leu bat dans la poitrine,
Y'en voudraient ben eux-autr's étou.

En r'gardant ça, i' s'font d'la bile
A s'expliquer c'qui z'aim'r aient l'mieux.
Pourtant, i'sav'nt qu' c'est inutile,
Santa Claus ira pas chez eux.

...Eh oui ! c'est d'mêm' tout l'long d'la vie !
Qu'on soit p'tit ou ben qu'on soit grand,
On est plein d'rêve et plein d'envies,
Pis, on s'fait plus d'mal en rêvant !

(Jean Narrache, Quand j'parl' tout seul, 1932)

21 décembre 2007

Noël d'antan (11)

CHANT DE NOËL
J'adore ta venue, enfant, frères des mondes,
Œuvre de votre amour, ô Père, ô Saint Esprit!
Sublime Agneau, victime et sauveur, Jésus-Christ,
Dont le front doit bleuir à nos douleurs profondes.

Je t'adore, ô Promis de toute éternité,
Je t'adore en mes cris, je t'adore en ma joie;
D'une âme que le feu de ses désirs rougeoie
Je t'adore en mon rêve et mon humanité.

Je t'adore!... Car j'ai compris ton beau sourire :
Sur ta lèvre divine où ses plis sont posés
Comme en un grand miroir, bouche et traits convulsés,
Le Prodige inouï du Calvaire se mire...

Ô divin Rédempteur! Flambeau des paradis
Que la chair et la vie agitent devant l'Être;
Ô Sauveur! Apprends-moi ce que je dois connaître
Pour dompter la chimère et ses envols maudits.

Car je veux, avec Toi, grandir dans l'humble enceinte;
Comme Toi, je veux mettre à mon front le roseau;
Je veux m'agenouiller auprès de ton berceau,
Pour expirer plus tard aux pieds de la Croix Sainte.

(Arthur de Bussières, Les Bengalis, 1931)

20 décembre 2007

Noël d'antan (10)

LE SAPIN DE NOËL

Le frère des buis et des houx.
Le sapin des arpents de neige,
Jouit, au pays de chez nous,
D'un liturgique privilège.

Près de la Crèche, le hameau
Érige encore dans l'église
La parure du baliveau,
Qu'une étoile argentine irise.

Suivant le rituel ancien
De la divine nuit de fête,
Le petit sapin canadien
Est enguirlandé jusqu'au faîte.

L'arbre se dresse, endimanché,
Sous le velours vert qu'il étale,
Tel, vêtu d'un satin broché,
Le portechape dans la stalle.

On raconte que, certain soir,
A travers le givre et la mousse
Du bucolique reposoir,
Glisse une berceuse tout douce.

Est-ce le sapin de Noël
Dont le murmure, avec mystère,
Se mêle aux musiques du ciel
Et berce l'Enfant solitaire ?

(Nérée Beauchemin, Patrie intime, 1928)

19 décembre 2007

Noël d'antan (9)

VIEUX NOËLS

O beaux jours envolés! O Noëls de jadis!
Claire embrasure au fond lointain du Paradis!
En ces mois d'hiver où la nuit gronde et vente,
O douce vision, que vous êtes vivante!...
Magique pauvreté! Riens chers et bienvenus!
Tous les trésors étaient dans nos bas contenus!
Dès l’aube, très émus, retenant notre haleine,
Tremblants, nous saisissions l'énorme bas de laine
Où le petit Jésus, en secret, avait mis
Les cadeaux désirés et les bonbons promis.
Un bonheur grandissant brûlait notre prunelle
— Qu'as-tu? demandait l'un; — C'est un polichinelle !
— Et toi ? — C'est un cheval de bois! — Et toi, dis, dis ?
— Une poupée! Un sac de noix et de candis !
— Moi, disait l'autre, j'ai des crayons et des plumes,
Des raisins d'or et des pastilles pour les rhumes !
— Une toupie! — Un régiment! — Des animaux !
Et notre cœur joyeux s'exaltait dans ces mots !
Je vois passer encor devant moi ce cortège.
O belle âme d'enfant, neuve comme la neige !
Enchantements naïfs, jouets mirobolants,
Que vous étiez petits et que vous étiez grands !
Ma poupée au visage informe et teint de rose,
Que vous me paraissez maintenant peu de chose !
A côté de ces vers qui narguent mon désir,
Et de cet infini que je ne puis saisir!

(Blanche Lamontagne, Ma Gaspésie, 1928)

18 décembre 2007

Noël d'antan (8)

NOËL

Dans l'aube matinale,
Les cloches ont sonné !
La nature hibernale
S'est prise à frissonner,
Par les Cieux entonné,
A ce chant de Victoire:
Le Christ vous est donné,
Le Verbe s'est fait gloire !

Peuples, chantez ! Chantez
La trêve de souffrance.
Le Roi Jésus est né,
Voici la délivrance.
Dans votre exubérance,
Ployez vos deux genoux
Devant cette espérance
Qui vient du Ciel à nous.

Il est là dans sa crèche
De langes entouré
Là sur sa paille fraîche
Attend l'humanité.
Gage d'éternité,
L'Amour est son royaume;
Il vêt la pauvreté
Du plus subtil arôme.

Cet otage divin
Que donne Dieu le Père,
Adorons-le, Chrétiens;
Il vient nous dire : « Espère ».
Et la nature entière
A mêlé sa blancheur
A nos blanches prières
De Glorias vainqueurs.

(Rosaire Dion, En égrenant le chapelet des jours, 1928)

17 décembre 2007

Noël d'antan (7)

NOËL AUX BERGERIES

On dit qu'à la Noël, au pays des Bois-Francs,
Lorsque nos animaux dans les pailles nouvelles
Se prélassent après le dur labeur des champs,
D'étranges visions flottent sous leurs prunelles.

Tandis que les chevaux accompagnent les gens
Jusqu'à l'église au son des cloches solennelles,
Les agneaux endormis auprès de leurs mamans
Entendent à minuit des voix qui les appellent.

Et, parce qu'autrefois l'un d'eux a visité
Le divin Nouveau-Né dans la petite Étable
Et fut offert des mains d'un berger charitable,

Lorsque la cloche tinte, à la vive clarté
Que la lune projette à travers la fenêtre,
Ils voient soudain l'Enfant Jésus leur apparaître....

(Alphonse Desilets, Dans la brise du terroir, 1925)

16 décembre 2007

Noël d'antan (6)

CLOCHES DE NOËL

Cloches qui, dans la nuit, sonnez éperdument,
Carillons qui volez au-dessus des prairies,
Mêlez aux flocons blancs vos claires sonneries
Cloches qui, dans la nuit, sonnez éperdument.

Laissez tomber sur nous un peu de votre joie,
Emportez jusqu'aux cieux les désirs de nos cœurs
Sans jamais mettre fin à vos accents vainqueurs,
Laissez tomber sur nous un peu de votre joie.

Cloches qui, dans la nuit, sonnez éperdument,
Carillons qui volez au-dessus des prairies,
Mêlez aux flocons blancs vos claires sonneries
Cloches qui, dans la nuit, sonnez éperdument.

Laissez tomber sur nous un peu de votre joie,
Emportez jusqu'aux cieux les désirs de nos cœurs
Sans jamais mettre fin à vos accents vainqueurs,
Laissez tomber sur nous un peu de votre joie.

(Jean Bruchési, Coups d’ailes, 1922)

15 décembre 2007

Noël d'antan (5)

LA NUIT DE NOËL
Devant toi, ô mystère ! un sombre enfer s'enfuit.
L'univers attentif, dans un profond silence,
Écoute émerveillé. Au milieu de la nuit,
Tout à coup, dans l'espace, un coin du ciel immense
S'entrouvre, et laisse voir à nos yeux éblouis
L'éclatante splendeur d'une fête éternelle,
Et les accords, divins, que l'oreille a ouïs,
Ont frappé les échos d'une harmonie nouvelle.
Que se passe-t-il, alors, au-delà du ciel bleu ?
Écoutons un instant la voix pure des anges
Qui entonne, là-haut, près du trône de Dieu,
Un cantique nouveau publiant ses louanges.
Ces voix angéliques, dont les accents touchants
Ont retenti, jadis, au sommet des collines
De l'humble Bethléem, nous disent dans leurs chants
« En face de la crèche, il faut que tu t'inclines ;
« Car, dans ce faible enfant que le froid fait pleurer,
« Tu dois reconnaître un Dieu qui s'est fait homme ;
« Celui qu'à deux genoux tu dois seul adorer.
« Cet enfant de la crèche est celui que l'on nomme,
« Au ciel, sur la terre, Jésus, Notre Sauveur.»
Et ce divin concert des célestes phalanges,
Chaque année se répète avec joie et ferveur
Par les chrétiens fidèles à imiter les anges.

(Edouard Lavoie, Mélanges poétiques, 1922)

12 décembre 2007

Noël d'antan (4)

NOËL D'ANTAN

Minuit sonne au beffroi de givre recouvert.
Les cloches en prière ouvrent grandes leurs ailes
Dont l'essor généreux à l'horizon désert,
Répète avec douceur l'hosanna des fidèles.

La neige étale aux champs sa princière beauté ;
Une étoile a surgi tout à coup d'un nuage,
Et dans le soir rêveur par la lune argenté,
Un long frisson d'émoi descend sur le village.

Sous un toit en lambeaux, un enfant dans son lit
Tousse en mêlant sa plainte aux baisers d'une mère
Qui, malgré sa douleur, le contemple et sourit,
Songeant à l'Enfant-Dieu naissant dans la misère.

Près de la lampe éteinte et le front dans la main,
J'écoute, en regardant l'âtre qui brille et fume,
La bise sangloter au fond du ciel lointain,
Des grands pins dénudés la secrète amertume.

Malgré les froids aigus de cette nuit d'hiver,
Sortant de leur paisible et rustique chaumière,
Joyeux, des campagnards, vont d'un pas noble et fier,
Vers l'église où des voix chantent l'heureux mystère.

D'autres — les vieilles gens — dans leurs rudes traîneaux
Unissent leurs chansons à ceux qui, sur la route,
Se redisent entr'eux quelques noms amicaux,
Emportés par le vent vers la céleste voûte.

Les orgues éveillées déchirent leur ennui ;
L'encens parfume l'air et monte vers la crèche
Où le cierge d'or brille en éclairant Celui
Qui dort paisiblement sur de la paille fraîche.

0 Noël ! il suffit d'un indicible accent,
D'un refrain de berger, pour que comme les Mages,
L'homme éloigné de Dieu revienne triomphant,
Déposer à ses pieds de repentants hommages.

(Ulric Gingras, La Chanson du paysan, 1917)

11 décembre 2007

Noël d'antan (3)

BALLADE DES NOËLS D'ANTAN
Noëls des lunes argentines,
Éveilleuses de fronts rêvants ;
Noëls des laudes et matines,
Noëls des neiges et des vents ;
Noëls des pins sur la ravine,
Noëls des joncs au vieil étang,
Je rêve de vous, vous devine ;
Mais où sont les Noëls d'antan ?

Noëls des gueux à triste mine,
Courbés sur les chemins montants,
Sans sou ni maille, ni chaumine,
Mais gais aux soirs du bon vieux temps ;
Noëls dont la fuite chagrine
Et dont le retour rend content,
Que j'aime votre aurore fine,
Mais où sont les Noëls d'antan?

Et toi, pâtre, sur les collines
Qu’aux vieux missels on vit souvent,
Des longs sentiers où tu chemines,
As-tu vu l’Étoile au levant ?

As-tu vu cette pèlerine
Qui rendit l'azur éclatant,
Là-bas sur la crèche divine ?
Mais où sont les Noëls d'antan?

ENVOI
Prince, devant Dieu je m'incline,
Ne peux-tu pas en faire autant ?
Comme les mages, j'imagine ?...
Mais où sont les Noëls d'antan ?

(Louis-Joseph Doucet, La Chanson du passant, 1908)

10 décembre 2007

Noël d'antan (2)

NOËL DE VIEIL ARTISTE
La bise geint, la porte bat,
Un Ange emporte sa capture.
Noël, sur la pauvre toiture,
Comme un De Profundis, s'abat.

L'artiste est mort en plein combat,
Les yeux rivés à sa sculpture.
La bise geint, la porte bat,
Un Ange emporte sa capture.

Ô Paradis ! puisqu'il tomba,
Tu pris pitié de sa torture.
Qu'il dorme en bonne couverture,
Il eut si froid sur son grabat !

La bise geint, la porte bat...

(Émile Nelligan, Émile Nelligan et son œuvre, 1904)

9 décembre 2007

Noël d'antan (1)

LA CRÈCHE DE NOËL
I
L’âpre saison déroule sur la terre
Son lourd manteau de neige et de frimas ;
Le vent du soir soupire avec mystère
Dans la ramure où brille le verglas.
Il est minuit. Le carillon du temple
Jette aux échos un hymne triomphant,
Et le chrétien, à deux genoux, contemple
Avec amour un adorable enfant.

II
Il est plus grand que tous les rois du monde
Plus radieux que l'astre universel,
Plus éloquent que la foudre qui gronde,
Plus pur et saint que les anges du ciel !
Et cependant, il est né sur la paille ;
Son divin corps éprouve des douleurs
Que l'univers d'allégresse tressaille,
Car cet enfant rachète nos malheurs !

III
Au front du ciel une étoile rayonne,
Guidant les pas des rois les plus puissants
Qui vont offrir — en guise de couronne—
Au nouveau-né l'or, la myrrhe et l'encens !
Allons chrétiens, à l'exemple des Mages,
Nous prosterner devant le Rédempteur !
Adressons-lui nos vertueux hommages
Et redisons : Gloire au Libérateur !

(J. B. Caouette, Les Voix intimes, 1892)

6 décembre 2007

Au Cap Blomidon

Alonié de Lestres (Lionel Groulx),
Au cap Blomidon, Montréal, Granger frères, 1943, 239 p. (1re édition : 1932)


Juin 1923. Jean Bérubé possède une petite ferme à Saint-Donat de Montcalm. Il vit surtout de la forêt. Il est le dernier membre vivant d’une famille qui a été décimée par une épidémie de consomption. Il est instruit (il a fait 6 ans de cours classique). Il est amoureux de Lucienne Bellefleur, la fille de ses voisins. Le père de celle-ci voit d’un mauvais œil cette union, les deux familles s’étant fait des procès pour des raisons de limites de terrain. Jean a aussi un vieil oncle qui, sa vie durant, a nourri le rêve de reprendre la terre de ses ancêtres acadiens à Grand'Pré, rêve qu’il n’a pu réaliser. Quand il meurt, il laisse tout son avoir à son neveu Jean, espérant que ce dernier accomplisse son projet. C’est effectivement ce qui se produit. Jean décide de partir pour Grand'Pré, demandant à Lucienne de l'attendre.

Pendant les deux premières années, il travaille comme manœuvre agricole chez des fermiers, étudie l’agriculture, se fait un nom et devient l’intendant de Hugh Finlay, l'Écossais dont la famille s'est emparée de la terre des Bérubé (autrefois Pellerin) lors du Grand Dérangement. Évidemment, Jean veut racheter cette terre. Mais le jeune homme a des ambitions beaucoup plus grandes : il se voit comme la tête de pont du grand retour des Acadiens à Grand’Pré. Il fait d’abord venir son ami Paul, essayant de l’associer à son rêve. Les nouvelles concernant Lucienne sont souvent inquiétantes pour lui. Va-t-elle, lassée d’attendre, épouser un gars de la place?

Les Finlay ont 70 ans et sont prêts à léguer leur domaine à leur fils Allan, une espèce de vagabond alcoolique. Fleurant la bonne affaire, celui-ci est revenu après sept ans d’absence, laissant croire qu’il allait épouser une fille de la place et reprendre la terre. Mais en plus de son alcoolisme, il est épileptique et sa santé mentale est très fragile. Malgré tout, son père croit qu’avec l’aide de Jean, il pourrait réussir, mais Allan déteste Jean qui lui rappelle vaguement un personnage qui hante ses cauchemars.

Jean est désespéré : son beau rêve semble s’écrouler, mais il fait quand même une offre au vieux Finlay. Celui-ci ne comprend pas ce soudain intérêt, mais finit par découvrir que Jean est Acadien, qu’il a de l’argent... Il se rappelle une ancienne prophétie d’un vieille Acadienne un peu sorcière : les chiens seront chassés du domaine et le maître reviendra. Le fils Finlay, à bout de nerfs, ayant finalement refusé la donation, tombe malade. De vieux démons s’éveillent en lui : l’ancêtre Finlay aurait abattu le père et les trois fils acadiens dont il aurait usurpé la terre. Il est hanté par ce cauchemar, récurrent dans la famille Finlay. À moitié fou, il tente de tuer Jean et s’enfuit. Épuisé et malade, Jean entre à l’hôpital.

Finalement tout se dénoue pour le mieux. Le vieux Finlay, pour conjurer le mauvais sort qui plane sur ses descendants, décide de racheter le crime familial et de céder la terre à Jean. Lucienne, dont le père vient de mourir, viendra le rejoindre. Paul, lui, est amoureux d’une Acadienne.

Groulx décrit ce roman comme un « divertissement de vacances, un dérivatif à des tâches plus austères ». Il a surtout voulu montrer un jeune homme de « notre race : héros de volonté et d’action, ambitieux de vastes entreprises, surhomme de la foi ».

Ce roman patriotique est un rappel du Grand Dérangement. La reconquête est au service de la foi d’abord. Le symbole en est une église qui brille au soleil. « Un peuple fidèle à son Christ a toutes les chances d’être fidèle à soi-même. Qui met la foi au-dessus de tout met à bonne hauteur tout ce qui la protège, la défend, la conserve : la tradition, la langue, l’histoire. » La stratégie patriotique est assez claire. Il suffit de se servir des morts pour motiver les vivants : « … pour éveiller la conscience d’un peuple, exalter ses énergies, le suprême moyen c'est de le tenir mêlé à ses morts, faire qu’en lui continue la poussée héroïque des ancêtres. »

Extrait

Depuis son arrivée dans la région du golfe, l'une des grandes tristesses de Jean Bérubé, c'est de constater la continuation du Grand Dérangement. Loin d'avoir pris fin, le triste exode va toujours. La seule différence avec autrefois, c'est qu'aujourd'hui les Acadiens se déportent eux-mêmes. Ils franchissent la frontière américaine comme ils franchiraient la clôture du voisin, et par nul autre motif trop souvent que l'aversion de la jeunesse pour la culture de la terre. Pourtant, se dit Jean Bérubé, les races qui vainquent et les races qui durent, ce sont les races qui épousent le sol. Peuple agricole — peuple moral et immortel ! Équation dont témoignent, selon lui, la raison et l'histoire.

Pour remédier au grand mal, avec le temps les projets du jeune homme se sont précisés, s'ajustent mieux à la réalité. Mais cet idéaliste de claire raison achève ses rêves sans les diminuer. Patriote d'espoirs toujours ambitieux, on sait quelle forme concrète il a choisi de donner au dessein de sa vie. Sur la terre des ancêtres, il voudrait dresser un clocher catholique avec une centaine de familles autour. Coûte que coûte, il entraînera la jeunesse acadienne à la reprise d'une partie du Bassin des Mines. Et pourquoi, se demande-t-il parfois, nous serait-il interdit de prendre ces terres, de préférence à de nouveaux venus, surtout quand nous ne parlons point de spoliation, nous, mais de rachat?

De ce grand et beau dessein, le jeune homme ne se contente pas de s'enivrer. Pour le réaliser, les projets affluent en son esprit. Il unira son effort au noble clergé acadien qui a déjà tant fait pour grouper, organiser les opprimés, les instruire, rallumer dans les cœurs affaissés une flamme vivante. Il se joindra aussi aux courageux patriotes qui, de toutes leurs forces, ont secondé l'action de leurs prêtres. Autour de lui, il groupera une élite de jeunes hommes, dont ce sera la tâche élue d'étudier les problèmes acadiens, d'aller, par les paroisses du Nouveau-Brunswick, de l'île Saint-Jean, de la Baie Sainte-Marie, ranimer la vieille amitié pour la terre. Pour le rachat de la patrie et l'établissement des rapatriés, il fondera un denier national: contribution annuelle de dix sous par chaque famille acadienne du Canada et des États-Unis. Il songe enfin à écrire une histoire populaire de l'Acadie, histoire illustrée, puissante en images. Il la veut capable d'aller parler au peuple, d'aller lui dire, avec des mots attendris comme ceux de la légende et vibrants comme des appels de clairon, le charme héroïque du passé, la splendeur des devoirs actuels. D'instinct le jeune homme a compris que, pour éveiller la conscience d'un peuple, exalter ses énergies, le suprême moyen c'est de le tenir mêlé à ses morts, faire qu'en lui continue d'agir la poussée héroïque des ancêtres. (p. 113-115)

Lionel Groulx sur Laurentiana

Chez nos ancêtres
Les Rapaillages
L'appel de la race
Au cap Blomidon


Sur l’Acadie
«Évangéline» dans Essais poétiques

2 décembre 2007

La ferme des pins

Harry Bernard, La Ferme des pins, Montréal, L’Action canadienne, 1930, 206 p.

James Robertson a immigré, directement d’Angleterre. Il s’est d’abord installé en Ontario, puis au Québec, dans les Cantons-de-l’est, où il a épousé une Canadienne française qui lui a donné trois fils et une fille. La ferme a prospéré et constitue, aujourd’hui qu’il est vieux, un beau petit domaine. Sa fille est mariée, sa femme est décédée. Il est seul avec ses trois garçons célibataires. Il voudrait que ceux-ci perpétuent sa « race », donc épousent une Québécoise anglophone. Or, les Québécoises anglophones sont plutôt rares dans le coin, les Anglais ayant quitté les Cantons, remplacés par des Canadiens français et leur nombreuse famille. Son fils aîné, quand il  présente sa fiancée canadienne-française à son père, essuie un refus. Il se rebute, quitte la ferme, va vers l’Ouest et est happé par un train. Le deuxième, lui aussi amoureux d’une Canadienne française, attend, espérant obtenir le consentement du père. Finalement ce dernier, se sentant coupable de la mort de l'aîné, finit par céder. Il lui abandonne sa terre et, à 65 ans, décide de retourner en Ontario pour que le plus jeune puisse embrasser sa nationalité.

Roman du terroir à l’envers : habituellement, c’est le Canadien français qui est le minoritaire menacé dans son identité. C’est lui, le patriote, qui ressent « l’appel de la race ». Ici, c’est un anglophone qui se sent brimé dans sa nationalité. Robertson ne déteste pas les Canadiens français. Il en a même épousé une! Si les mariages mixtes s'avéraient catastrophiques dans L'Appel de la race ou La Campagne canadienne, dans ce roman tout se passe pour le mieux... du moins pour les parents.

Robertson ressent tout simplement le besoin de perpétuer son identité. Le roman montre l’importance des racines. Dans le fond, c’était très habile de la part de l’auteur, lui-même natif de l’Angleterre, mais fidèle de Lionel Groulx. Il montre les Canadiens français sous un jour très favorable, pas du tout comme des oppresseurs des minoritaires.

Extrait
Dans le train qui le ramenait à Montréal, Robertson pensait à ces choses. Comme il se reprochait de n'avoir pas vu clair ! De plus en plus, il voulait amener Robert à Kingston, pour que Robert pût y continuer, selon la tradition, la famille Robertson. Libre à Thérèse de s'être donnée, corps et âme, aux Canadiens-français. Libre à Georges, puisqu'il l'entendait ainsi, d'épouser une Canadienne, et d'avoir un jour des enfants dont l'âme ne saurait vibrer en face de l'Union Jack. James Robertson n'interviendrait sûrement pas dans les affaires de cœur de son fils aîné. Mais il arracherait le troisième, s'il était possible, aux influences qui lui avaient enlevé ses autres enfants. Ces idées, toujours les mêmes, ne cessaient de le harceler. Il les caressait en lui comme des bêtes familières, les cajolait dans son cœur. Il les choyait et les redoutait. Il se disait qu'elles ne proposaient à son problème qu'une solution brutale, dont il ne serait pas sans souffrir. Déjà il s'apercevait, arraché d'un coup à tout ce qu'il aimait, à tout ce qui avait été sa vie: sa campagne et ses travaux, le milieu qui l'avait accueilli, ses manies d'homme vieilli, qui a pris des habitudes. Il quitterait des amis de trente ans et plus, des gens devenus ses parents, d'autres qui lui étaient peut-être antipathiques, mais qui tous étaient nécessaires au décor de son existence. Et il y avait le coteau des Pins, la rivière rocheuse aux eaux noires, les paysages, variés selon la saison, qui bornaient sa vue depuis tant d'années.
Quand il s'abandonnait sur cette pente, Robertson se sentait attendri. Alors, il se laissait gagner par le charme paisible de son pays d'adoption, se disait qu'un peuple en vaut un autre, et que les Canadiens-français étaient d'excellentes gens, dont il n'avait qu'à se louer. Robertson ne leur pouvait rien reprocher. Ils l'avaient reçu jadis, quand il était seul, quand il était pauvre, et une de leurs filles n'avait pas dédaigné de l'aimer. Il aurait mauvaise grâce à les renier, à élever en marge d'eux, sinon contre eux, ce fils qu'il leur voulait disputer à tout prix, et qui souffrirait lui-même, plus tard, d'avoir été déraciné. Mais l'autre sentiment, celui qui incorporait l'orgueil de la race dans la survivance, reprenait le dessus. Le fermier se reprochait sa faiblesse de caractère. Partagé entre ses deux pays, il se disait qu'il avait assez donné à l'un, sa vie durant, pour se croire justifié, arrivé à la vieillesse, de pencher un peu vers le second. Partagé entre deux manières de penser, de sentir, il concluait qu'il avait assez sacrifié à l'une, à l'encontre même de ses préférences, pour n'être pas blâmable de se rapprocher de l'autre. (p. 180-182)

Harry Bernard sur Laurentiana
Dolorès
Juana mon aimée
La Dame blanche
L’Homme tombé
La Ferme des pins
La Maison vide
La Terre vivante
Les Jours sont longs