5 août 2007

Terres stériles

Jean Filiatrault, Terres stériles, Québec, Institut littéraire du Québec, 1953, 205 pages.


Village non nommé, près de Saint-Jérôme (Piedmont?). Fortunat Aubin, un veuf de 53 ans, a épousé Marie-Louise Patry, une « vieille fille » d’une trentaine d’années. Paresseux, Fortunat (nom prédestiné!) a flairé la bonne affaire : la terre reviendra à Marie-Louise quand son père, Jean-Baptiste Patry, quittera ce monde. Quant à celle-ci, battue par ce père tyrannique, elle trouve en Fortunat un allié inespéré. Les deux s’entendent comme larrons en foire, attendant pour ainsi dire la mort du Vieux.

Ils devront attendre quinze ans avant que leur vœu se réalise, devant supporter les malices et les colères du vieux despote. Et, même mort, ce dernier continuera à les hanter, les montant l’un contre l’autre. En effet, le soir du décès, Fortunat « a omis de signifier » à Marie-Louise que son père est en hémorragie. On le retrouve le lendemain, baignant dans son sang. Prise de remords, troublée d’avoir désiré la mort de ce père tant détesté, elle se retourne contre Fortunat (double œdipien?), cesse de lui parler, lui mène la vie dure, l’accusant même de l’avoir monté contre son père. Elle si douce reprend là où son père a laissé.

Dépité, malade, Fortunat finit par déserter la maison devenue invivable. Il s’en va chez sa fille Éva. L’accueil est glacial, surtout de la part du gendre, qui craint de devoir faire vivre ce paresseux. Il faut dire qu’il a abandonné sa fille lorsqu’il est devenu veuf. Fortunat en vient à la conclusion qu’il est encore mieux avec Marie-Louise. De grand matin, il décide de retourner chez lui, mais s’effondre au bord de la route. On le ramène chez Marie-Louise où il meurt presque tout de suite. Marie-Louise pleure toutes les larmes de son corps.

Quelques mois passent. Le médecin, qui a soigné ses deux hommes, lui propose d’accueillir un jeune homme de bonne famille qui doit se refaire une santé dans les montagnes du Nord. Elle consent, s’attache à ce jeune homme (fils œdipien?) comme s’il était son fils. Malheureusement, lui aussi meurt. Désespérée, Marie-Louise prend un bidon d’essence, met le feu à la maison, s’immolant avec le jeune homme mort (voir l’extrait).

Jean Filiatrault
C’est un roman de total désespoir. Il offre une triste vision de l’humanité, de la vie. Un certain existentialisme de l’absurde et du désespoir est passé par là. Tous les êtres sont des « terres stériles ». L’amour tout court, comme l’amour parental et l’amour filial, sont des leurres pour les uns, des prisons pour les autres.

L’écriture de Filiatrault est efficace, déjà cinématographique (il est l’auteur du controversé téléroman,
Paradis terrestre,1967-1972), donc très facile à lire. La composition de son roman sert la thèse qu’il défend : c’est surtout évident dans la dernière partie, celle qui concerne le jeune homme malade. On a l’impression qu’il a ajouté cette fin pour bien montrer que toutes les facettes de l’amour sont vouées à l’échec : après le père et le mari, voici que le fils symbolique meurt. Jean Filiatrault a reçu le Prix David pour Terres stériles en 1954. ***

Extrait
Marie-Louise maintenant se berçait, les yeux fixés à la petite flamme qui se tordait non loin d'elle, léchait le mur et montait jusqu'aux rideaux. Bientôt des flammes plus hautes se formèrent en colonnes torses et la cernèrent. Elle les narguait du regard, comme si, par la seule force de ses yeux, elle eût pu maîtriser l'audace de ces fauves qui se courbaient devant elle et la frôlaient avec hésitation.

A présent, elle régnait au centre de son enfer. Soudain, au milieu du cercle de feu, son père lui tendit une longue main décharnée. Un cri de haine s'échappa de sa vaste poitrine. Avant même que les flammes ne la touchassent, elle brûlait. Le brasier intérieur qui la dévorait dépassait en force toutes les douleurs qu'elle avait connues jusqu'ici. De Fortunat ni de Philippe le souvenir ne l'effleura un seul instant. Elle était seule, face à ce père maudit, et pour la première fois elle exhalait sans contrainte la haine implacable qu'elle lui avait vouée jusque dans la mort. Marie-Louise acceptait enfin sa vérité, le monstre qui était en elle.

Dans la nuit, la maison de Jean-Baptiste Patry éclairait le village d'un faux jour. Jusqu'au matin, elle crépita.

Filiatrault chez Laurentiana
Terres stériles
Le Refuge impossible

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