2 août 2007

Le Beau Risque

François Hertel, Le Beau Risque, Montréal, Bernard Valiquette/Action canadienne-française, 1939, 136 pages)

Hertel raconte l’évolution d’un élève, Pierre Martel, depuis la méthode (secondaire 3) jusqu’à l’obtention de son baccalauréat (DEC). Hertel utilise un truc classique pour donner de l’authenticité à son roman. Celui-ci ne serait rien d’autre que le « journal composé aux heures perdues » du père Henri Berthier.

Pierre est un élève un peu rebelle, qui se « classe définitivement dans la catégorie des mauvaises têtes ». Pourtant, le narrateur est fasciné par cet étudiant aux résultats moyens, décelant en lui « un feu intérieur » qui en fait un individu aux qualités supérieures, un futur leader pour tout dire. C’est pendant une retenue, par le biais de la pratique des sports, activité hautement considérée (même le golf est élevé au rang d’art mineur!), que le Père Berthier entre en contact avec lui. On suit donc l’évolution vers la maturité de ce jeune rebelle : on a droit à ses interrogations spirituelles et morales qui surviennent au fil des années, et aussi aux interventions du Père Berthier qui essaie de le faire cheminer, de l’amener à trouver sa voie, à reconnaître ses immenses talents. On découvre les camaraderies, on voit à travers ses confidences au prêtre que ses premières amourettes sont difficiles, que le lien d’admiration envers son père se dissout progressivement pour se reporter sur son grand-père. Bref, aucun événement extérieur marquant, mais une analyse psychologique de l’évolution du personnage principal qui chemine vers la maturité. J’oubliais la conclusion : Pierre Martel a rencontré une jeune fille, s'est réconcilié avec la religion et prévoit se diriger en sciences, une carrière sans issue à l’époque. Parlant de ses petits gars, le père Berthier conclut : « Ils sont rendus au seuil de la vie chrétienne, de la vie tout court. Ils s’avancent, confiants, vers ce que je me plais à nommer le beau risque. »

Critique
Le roman n’est pas très bon. Le choix du narrateur, un professeur qui ne voit l’élève que dans le cadre scolaire, empêche le narrateur d’approcher son personnage au-delà de l’intellectuel. Hertel est même obligé, en cours de route, de faire intervenir le journal personnel de l’élève, journal auquel aurait eu accès le Père Berthier quelques années après les faits. Bref, c'est un roman sans chair, le filtre étant trop épais entre le narrateur et les événements.

Cependant, le roman est plus intéressant si on le considère comme un essai, comme un témoignage de l’éducation que dispensaient les anciens collèges classiques, du moins ceux des Jésuites. En bref, le jeune homme, appelé à former l’élite de demain, doit pour ainsi dire mourir à son propre milieu pour renaître dans un nouveau monde, un monde supérieur. Et c’est ici que le bat blesse, pourrait-on dire. En d’autres mots, la philosophie éducative des Jésuites pourraient se résumer ainsi : comment fabriquer des intellectuels coupés de la réalité? Ce jeune homme est un être partagé, divisé entre les hautes exigences morales des Jésuites et ses faiblesses bien humaines, entre le milieu intellectuel du collège et son milieu familial plus prosaïque, entre le mystérieux univers féminin et le monde entièrement masculin du collège, entre le monde matériel de la vraie vie et le monde très intérieure, antimatérialiste qu’encensent ses professeurs…

« De nouveaux horizons s'ouvrent. Toutefois, le lourd matérialisme de l'atmosphère montréalaise se venge à maintes reprises. Tristesse des jeunes qui voudraient vivre de l'âme dans un milieu où tout conspire contre elle. Comme ils sont nombreux, même parmi les condisciples de Pierre, ceux qui, éveillés un instant, reprendront bientôt leur course aux nourritures terrestres ! Combien auront failli s'épanouir à la vie, que notre brutal milieu américanisé courbera de nouveau à son joug ! » (p. 71)
Autre idée intéressante : la société canadienne-française est entrée dans une phase de dégénérescence. Il faut renouer avec l’esprit de ceux et celles qui ont fait la Rébellion. Il faut se rapprocher de la nature, de la vraie vie, sans renoncer à la vie intellectuelle. Il faut combattre le mercantilisme américain qui corrompt les hommes, du moins affaiblit leur volonté, les éloigne du spirituel. Il faut trouver son âme en tant qu’individu et en tant que peuple. Il faut élever le code moral de la société canadienne-française.

« Choses de chez nous, notre folklore, notre histoire, nos poètes étriqués méritent une attention émue. Pauvres enfants ! On leur a tellement parlé, un peu partout, de nos multiples incompétences, de notre congénitale impuissance, de nos tares. Ils ont tellement la mentalité de leurs pères dans le sang: la peur, le défaitisme, le lâchage, le sentiment de notre infériorité. Côte abrupte à gravir. Ascension lente et qui s'accompagne de tant de chutes.

Comme il faut procéder avec prudence, avec lenteur ! Combien l'on doit posséder à fond leur estime avant d'aborder cette question épineuse: le devoir patriotique ! Il est des jeunes qui douteront de leur maître quand il osera attaquer ce sujet depuis longtemps classé par le père, par les grandes sœurs, par les amis. » (p. 65)

« La vraie révolution, elle est en train de prendre corps avec ta génération. Jusqu'ici, on n'a parlé que de politique. Ce n'était pas assez. Tout récemment, on insiste sur le point de vue économique. C'est déjà beaucoup mieux. Mais, ce qui est vraiment bien, c'est la tendance des jeunes. Vous commencez à comprendre que l'on ne conquiert pas à un peuple son âme, son autonomie, sa fierté, par le dehors. La vraie révolution doit venir du dedans. C'est en soi-même qu'il faut l'accomplir d'abord. Tant que nos gens sont demeurés foncièrement honnêtes, véritablement chrétiens, il n'y a pas eu de danger pour la survivance; la victoire finale n'a jamais été douteuse. Nos fils ont renoncé à leurs âmes. Et ces âmes, voici qu'elles renaissent avec vous. C'est pourquoi j'aurais voulu assister au centenaire de '37. » (p. 95)

Ce roman est à mettre en lien avec le mouvement « La Relève », mais aussi avec tout un courant d’idées qui décrie l’affaiblissement de la société canadienne-française des années 1920-1930. Un
article récent de L’Actualité révélait que ce Pierre Martel pourrait bien être Pierre Trudeau.

François Hertel sur Laurentiana

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