13 mars 2008

Le Livre des mystères

Léo-Paul Desrosiers, Le Livre des mystères, Montréal, Le Devoir, 1936, 175 pages.


Le recueil contient sept nouvelles.


Marie
Toute la famille s’affaire aux préparatifs du jour de l’An, mais surtout les femmes et particulièrement la vieille Marie qui voit à tous et à tout. Les enfants arrivent, certains venant en traineaux de la campagne, d’autres en train de la grande ville. Ce soir, Eustache, son plus jeune, leur présente Jeanne, la fille qu’il a épousée et qu’ils n’ont jamais vue. À leur grande surprise, elle porte du rouge à lèvres, elle enduit ses ongles de vernis et, surtout, elle fume! Tous se sentent diminués par l’élégance de cette fille. Pourtant, elle va les conquérir par sa bonne humeur, sa simplicité, son bon naturel, au point que la vieille Marie va se demander si, en ville, une autre morale, tout aussi valable, n’avait pas pris place. « Ainsi le veut la vie qui détruit l’œuvre des mères. »

A vingt ans
Mariette et Yvan vont à la plage. Mariette est amoureuse d’Yvan, mais lui ne ressent rien pour cette fille laquelle, rationnellement parlant, semble tailler sur mesure pour lui. Il lui préfère Gaby, une jeune fille frivole mais pleine de vie, ou même la froide Pauline, avec laquelle il ne réussit pas à créer un véritable contact. L’espace de quelques heures, on voit évoluer ces quatre personnages et d’autres encore. Des couples se forment, inadéquats : « Mystère des attractions et des répulsions! songeait Yvan. Qui le comprendra jamais? »

Incompatibilité
Lucie est une jeune femme hypersensible qui a souffert amèrement de la mort de son père, ruiné par un concurrent déloyal. Pourtant, elle a épousé un homme qui se fait un honneur de détrousser la concurrence…

Artiste
Un peintre, coupé de la réalité, rencontre une jeune fille qui correspond en tout point à son idéal féminin. La jeune fille est aussi très attirée par lui. Pourtant, trop pris par son art, il passe à côté de cet amour, n’arrivant pas à s’engager le moindrement auprès de la jeune fille qui n’attend que cela.

Une visite
Une jeune femme veille près de son bébé de dix mois. Une vieille paysanne cruelle, La Morneau, entre et lui annonce brutalement qu’il va mourir. Puis, elle lui explique qu’un maléfice plane sur la famille de son mari : son beau-père aurait acquis sa terre en volant des corps dans les charniers pour les revendre aux facultés de médecine. (voir l’extrait)

Anne
Anne s’est éprise d’un « mauvais garçon ». Malgré la promesse faite à sa famille bourgeoise, elle continue de le voir en cachette, mentant à tous.

L’une d’elles
Luce est atteinte d’une maladie incurable. Depuis quatre ans, elle fréquente des sanatoriums. Cet été, elle est à Gaspé. Le jeune médecin stagiaire qui la traite s’amourache d’elle. L’été passe et bientôt il doit quitter le sanatorium. « Et jamais il ne la revit. Jamais il ne reçut de réponse à ses lettres. Jamais il ne sut rien de la corvée surhumaine qu'elle avait dû reprendre: saisir chaque matin son âme en détresse, tenter péniblement, dans les fatigues et dans les larmes, de la soulever, de la rouler comme une pierre trop lourde jusqu'aux sommets de la sérénité et de la lumière; la laisser échapper continuellement, la voir retomber et dégringoler dans les profondeurs de l'abattement; recommencer, sans trêve, jusqu'à la fin. »

Critique

Étonnamment la presque totalité de ces récits nous parviennent de la conscience d’une jeune fille ou d’une femme. Ce sont, pour la plupart, des histoires sentimentales, racontées avec finesse et économie de sentiments. Desrochers présentent avec beaucoup d’empathie une version féminine des relations amoureuses, relations le plus souvent impossibles, voire tragiques.

Extrait
Elle s'assoit en face de la porte-fenêtre. De tout le pays devant elle, elle ne retient que le firmament bleu, d'une nuance si pâle, si délicate; abolissant tout le reste dans sa pensée, elle tend ce ciel, comme une toile de tente, au-dessus d'un paysage de ses rêves, composé avec des photographies longuement examinées, et des souvenirs de lectures. Il y a des cocotiers très longs penchés sur de larges grèves de poussière de corail, des vagues qui soulèvent une mer bleue, et surtout des brises équatoriales, des brises tièdes, chaudes, parfumées. L'appel des pays tropicaux l'obsède.
Mais comment s'évader vraiment ? Enveloppée dans un gros châle, frileuse, elle voit le soleil descendre en arrière des montagnes; et alors la réalité est plus puissante que les songes.
Le pays s'impose, dur, métallique. Au bout de la plaine blanche, s'enflamme un crépuscule tout parsemé de grains blancs; sur la glace de la route luisante, les lisses des traîneaux crissent: on dirait une râpe promenée sur du fer. Et quelques arbres noirs, sans feuille, se tordent au-dessus de la blancheur de la neige comme des serpents d'acier.
Le froid devient si intense au dehors qu'il dérobe, comme un voleur, tous leurs vêtements aux promeneurs. Lainages, étoffes, fourrures, leur chaleur et leur poids s'évanouissent, ils sont comme s'ils n'existaient point. Et les nerfs se contractent et la chair souffre sourdement.
L'enfant pleure. Elle le prend sur ses genoux. Et la désolation entre en elle à grands flots.
Cette nature hostile à toute vie, la jeune femme en sent l'étreinte jusqu'en son âme. Elle montre autant de cruauté que l'humanité qui l'entoure. « Est-il douleur semblable à la mienne », pense-t-elle. Si tendre, si douce, pourquoi vit-elle dans ce monde implacable ? Elle est un être de chair et de sang au milieu d'une foule vêtue d'armures d'acier: le moindre contact la meurtrit, les coudes des autres la blessent. Elle se sent broyée. Où trouvera-t-elle une carapace pour s'y blottir ? (pages 131-132)

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