Eugénie Chenel, La Terre se venge, Montréal, Roger Garand, 1932, 109 pages.
Eugénie Chenel est née en 1898, à Sainte-Anne-des-Monts et est décédée à Montréal en 1977. Elle a collaboré aux revues et journaux suivants : L’Action catholique, Le Bulletin des agriculteurs, Chasse et Pêche. Elle a écrit plusieurs pièces radiophoniques.
Marcel Garon et Anna Morin, jeune couple, ont pris une terre en bois debout près de Sainte-Anne-des-Monts. Les débuts sont difficiles, mais ils sont vaillants. Le hic, c’est que huit ans plus tard, ils n’ont toujours pas d’enfant. Ils font donc une promesse à la bonne Sainte-Anne et, 15 mois plus tard, leur vœu est exaucé. Un fils leur est né.
Quand il a un an, le petit Paul, atteint de pleurésie, vient bien près de mourir. Grâce à des emplâtres de moutarde et à des infusions de tilleul, la mère réussit à le sauver. Le bonheur revient chez les Garon.
Paul a maintenant neuf ans. Il travaille avec son père dans les champs. Une petite cousine habite dans leur voisinage. Il en est amoureux, comme on peut l’être à neuf ans. Un oncle de l’Islet, un vieux curé, décèle en lui une vocation ; finis la paix bucolique et les jeux innocents avec la petite cousine. Le voilà transplanté dans un collège, pépinière de vocations. Il vieillit, réussit bien, mais ne se sent pas heureux. La vie religieuse le laisse froid. Il veut être cultivateur et retrouver sa petite cousine qui a grandi en beauté, en grâces et en sagesse. Il finit par avoir gain de cause. Il mène alors une cour plus assidue auprès de la jeune paysanne. Il réussit même à lui soutirer un baiser. Ainsi vont les cinq années suivantes, sans que la situation change.
Paul a maintenant 23 ans. Une jeune Anglaise, qui est venue se refaire une santé chez un de ses oncles paysans, fait chavirer tous les cœurs des garçons des environs. Paul résiste, mais lui aussi sombre dans les rets de l’étrangère. Au grand dam de ses parents, il abandonne sa petite cousine et épouse cette «vilaine» Anglaise. Pour son plus grand malheur, comme vous allez le constater.
Tout juste quelques mois viennent de passer et déjà notre Anglaise honnit Sainte-Anne-des-Monts! « La ville, j’ai besoin de la ville » clame-t-elle. Devant tant d’impétuosité, son mari n'a d'autres choix que d'optempérer. À Toronto, ils survivent tout au plus. Un enfant naît qu’ils appelleront John. Les choses allant de mal en pis, le couple traverse la frontière et déménage ses pénates à Manchester. Leurs affaires ne s’arrangent pas pour autant. Dorothy (c’est le prénom de la «méchante» Anglaise) est atteinte de tuberculose. Elle meurt sans que son mari en ait beaucoup de peine. Mais son fils est lui aussi emporté par cette maladie.
Seul dans la vie, perdu dans l’immensité américaine, Paul décide de rentrer chez lui. L’enfant prodigue est accueilli à bras ouverts. Malheureusement la petite cousine est morte huit mois plus tôt lors d’une promenade solitaire, en barque, sur le fleuve. Paul, conscient que la terre s’est vengée, consacrera dorénavant ses énergies à dorer les vieux jours de ses parents.
Petit roman du terroir classique, sans aucune originalité, qui rabâche des idées archi-connues, de façon trop sommaire pour avoir une quelconque crédibilité. Je pense qu’il n’y a qu’une façon de le lire : en s’amusant… Le thème du mariage mixte est traité aussi par Dugré, Potvin, Groulx… Il y a les bons Français et les méchants Anglais, la pure campagne et la ville inhumaine, etc.
Extrait
Pendant que chez les Garon on échangeait ces propos et d'autres encore, Paul arrivait chez Louise.
—Je viens te chercher, dit-il.
—Me chercher, pourquoi? demanda Louise, d'un air qu'elle cherchait à rendre indifférent, bien qu'intérieurement, elle tressaillît de plaisir.
—C'est la fête de maman, ce soir.
—Oui? Si je l'avais su, je serais allée tout de suite avec mon oncle et ma tante. Je m’ambitionnais à tricoter, ne me souciant pas de la nuit qui venait rapidement. Quand mon bas fut terminé, il faisait presque noir et j’avais peur de m'en aller seule.
—Tu n'auras pas peur avec moi?
—Avec toi, oh ! non, Paul, répondit-elle gaiement en jetant au jeune homme l'un de ces regards indéfinissables qui sont plus éloquents que mille phrases d'amour.
Et ils partirent.
Les deux jeunes gens cheminaient en silence, lorsque soudain, Louise sentit le bras de Paul entourer ses épaules.
—Que fais-tu? demanda la chaste enfant dont l'obscurité seule déroba aux regards de son compagnon la rougeur subite qui venait de se répandre sur ses traits.
—Louise, ma petite Louise, je t'aime tant... Veux-tu que je t'embrasse?... une fois, rien qu'une fois, implorait le jeune homme.
—Si ma tante savait, elle ne le permettrait pas, j'en suis sûre...
—Je t'en prie, Louise... Elle ne dirait rien, ta tante.
—Tu crois?
—J'en suis certain.
—Alors...
—Tu le veux?
—Oui, pour cette fois.
Attirant à lui de nouveau la jeune fille, Paul déposa sur sa bouche mignonne un long baiser dont furent seuls témoins les étoiles multiples qui parsemaient le ciel serein. Jamais amoureux, sans doute, n'échangèrent plus chaste baiser, jamais, peut-être, deux mortels ne furent plus heureux que Paul et Louise, à ce moment-là.
Les jeunes gens tournaient la deuxième page d'un roman commencé quelques semaines auparavant. (p. 52-53)
Eugénie Chenel est née en 1898, à Sainte-Anne-des-Monts et est décédée à Montréal en 1977. Elle a collaboré aux revues et journaux suivants : L’Action catholique, Le Bulletin des agriculteurs, Chasse et Pêche. Elle a écrit plusieurs pièces radiophoniques.
Marcel Garon et Anna Morin, jeune couple, ont pris une terre en bois debout près de Sainte-Anne-des-Monts. Les débuts sont difficiles, mais ils sont vaillants. Le hic, c’est que huit ans plus tard, ils n’ont toujours pas d’enfant. Ils font donc une promesse à la bonne Sainte-Anne et, 15 mois plus tard, leur vœu est exaucé. Un fils leur est né.
Quand il a un an, le petit Paul, atteint de pleurésie, vient bien près de mourir. Grâce à des emplâtres de moutarde et à des infusions de tilleul, la mère réussit à le sauver. Le bonheur revient chez les Garon.
Paul a maintenant neuf ans. Il travaille avec son père dans les champs. Une petite cousine habite dans leur voisinage. Il en est amoureux, comme on peut l’être à neuf ans. Un oncle de l’Islet, un vieux curé, décèle en lui une vocation ; finis la paix bucolique et les jeux innocents avec la petite cousine. Le voilà transplanté dans un collège, pépinière de vocations. Il vieillit, réussit bien, mais ne se sent pas heureux. La vie religieuse le laisse froid. Il veut être cultivateur et retrouver sa petite cousine qui a grandi en beauté, en grâces et en sagesse. Il finit par avoir gain de cause. Il mène alors une cour plus assidue auprès de la jeune paysanne. Il réussit même à lui soutirer un baiser. Ainsi vont les cinq années suivantes, sans que la situation change.
Paul a maintenant 23 ans. Une jeune Anglaise, qui est venue se refaire une santé chez un de ses oncles paysans, fait chavirer tous les cœurs des garçons des environs. Paul résiste, mais lui aussi sombre dans les rets de l’étrangère. Au grand dam de ses parents, il abandonne sa petite cousine et épouse cette «vilaine» Anglaise. Pour son plus grand malheur, comme vous allez le constater.
Tout juste quelques mois viennent de passer et déjà notre Anglaise honnit Sainte-Anne-des-Monts! « La ville, j’ai besoin de la ville » clame-t-elle. Devant tant d’impétuosité, son mari n'a d'autres choix que d'optempérer. À Toronto, ils survivent tout au plus. Un enfant naît qu’ils appelleront John. Les choses allant de mal en pis, le couple traverse la frontière et déménage ses pénates à Manchester. Leurs affaires ne s’arrangent pas pour autant. Dorothy (c’est le prénom de la «méchante» Anglaise) est atteinte de tuberculose. Elle meurt sans que son mari en ait beaucoup de peine. Mais son fils est lui aussi emporté par cette maladie.
Seul dans la vie, perdu dans l’immensité américaine, Paul décide de rentrer chez lui. L’enfant prodigue est accueilli à bras ouverts. Malheureusement la petite cousine est morte huit mois plus tôt lors d’une promenade solitaire, en barque, sur le fleuve. Paul, conscient que la terre s’est vengée, consacrera dorénavant ses énergies à dorer les vieux jours de ses parents.
Petit roman du terroir classique, sans aucune originalité, qui rabâche des idées archi-connues, de façon trop sommaire pour avoir une quelconque crédibilité. Je pense qu’il n’y a qu’une façon de le lire : en s’amusant… Le thème du mariage mixte est traité aussi par Dugré, Potvin, Groulx… Il y a les bons Français et les méchants Anglais, la pure campagne et la ville inhumaine, etc.
Extrait
Pendant que chez les Garon on échangeait ces propos et d'autres encore, Paul arrivait chez Louise.
—Je viens te chercher, dit-il.
—Me chercher, pourquoi? demanda Louise, d'un air qu'elle cherchait à rendre indifférent, bien qu'intérieurement, elle tressaillît de plaisir.
—C'est la fête de maman, ce soir.
—Oui? Si je l'avais su, je serais allée tout de suite avec mon oncle et ma tante. Je m’ambitionnais à tricoter, ne me souciant pas de la nuit qui venait rapidement. Quand mon bas fut terminé, il faisait presque noir et j’avais peur de m'en aller seule.
—Tu n'auras pas peur avec moi?
—Avec toi, oh ! non, Paul, répondit-elle gaiement en jetant au jeune homme l'un de ces regards indéfinissables qui sont plus éloquents que mille phrases d'amour.
Et ils partirent.
Les deux jeunes gens cheminaient en silence, lorsque soudain, Louise sentit le bras de Paul entourer ses épaules.
—Que fais-tu? demanda la chaste enfant dont l'obscurité seule déroba aux regards de son compagnon la rougeur subite qui venait de se répandre sur ses traits.
—Louise, ma petite Louise, je t'aime tant... Veux-tu que je t'embrasse?... une fois, rien qu'une fois, implorait le jeune homme.
—Si ma tante savait, elle ne le permettrait pas, j'en suis sûre...
—Je t'en prie, Louise... Elle ne dirait rien, ta tante.
—Tu crois?
—J'en suis certain.
—Alors...
—Tu le veux?
—Oui, pour cette fois.
Attirant à lui de nouveau la jeune fille, Paul déposa sur sa bouche mignonne un long baiser dont furent seuls témoins les étoiles multiples qui parsemaient le ciel serein. Jamais amoureux, sans doute, n'échangèrent plus chaste baiser, jamais, peut-être, deux mortels ne furent plus heureux que Paul et Louise, à ce moment-là.
Les jeunes gens tournaient la deuxième page d'un roman commencé quelques semaines auparavant. (p. 52-53)
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