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26 avril 2024

David Sterne

Marie-Claire Blais, David Sterne, Montréal, Éditions Le Jour, 1967, 129 p. (coll. Les romanciers du jour, no 24)

David Sterne et son ami, Michel Rameau, approchent la vingtaine. Élèves brillants, ils se sont connus au Séminaire et, depuis, ont complètement décroché. Pourtant rien ne destinait ces jeunes hommes à un tel destin. Ils viennent d’une famille bourgeoise, font partie des privilégiés qui peuvent fréquenter un Séminaire, école de meilleur niveau à cette époque.

Rien de concret ne vient expliquer leur déchéance et c’est le défi de ce roman d’essayer de rendre cela plausible. Commençons par Michel. Il a une idée fixe : se suicider et, du coup, tuer la souffrance en lui, une souffrance qui ne le quitte pas. « Une seule chose demeurait : la souffrance, et seule la souffrance pouvait tout expliquer, résoudre, lorsque Michel Rameau passait au tribunal de ses pensées. » Paradoxalement, il n’a de cesse de semer la souffrance autour de lui : il a entretenu des relations homosexuelles avec des jeunes de 11 ans, il a violé une jeune fille… Il finira par se jeter du clocher du séminaire qu’il fréquente. « Ma vertu à moi, c’est l’infinie violence de ma justice, de ma condamnation à mort, vous êtes témoin Seigneur que ma frêle mort ne connaît pas votre pitié... »

Le cas de David Sterne est un peu différent : on croirait que l’idée du mal lui est venue au contact de son ami Michel. « C’est étrange, il n’était pas pervers au départ, c’est comme s’il avait inventé toutes ses perversions, soudain… » L’idée de la perversion lui plait, le mal pour le mal, comme un défi lancé à la vie. « Ma vérité, je la voyais, c’était la nuit verte de ma colère, de mon orgueil inguérissable. » C’est un peu la mission qu’il s’est donnée, car lui aussi sait que ses jours sont comptés. Il a quitté le séminaire après le suicide de son ami. Il a quitté sa famille (son père est historien, un de ses frères est prêtre et un autre, avocat), vole et se prostitue pour survivre, passe ses nuits dans des tripots mal famés. On l’a placé dans une école de réforme, il a fait de la prison. Il finit sous les balles d’un jeune policier zélé.

David va rencontrer sur son chemin François Reine, un étudiant en droit qui rêve de sauver le monde. Au contact de David, qu’il rêve de sauver, il va perdre toutes ses illusions. Il est obligé d’admettre que le mal existe (pas juste sur le plan individuel) et qu’il n’est pas possible de toujours le neutraliser. Il finit par tout remettre en question (qui suis-je pour dire aux malheureux ce qu’ils doivent faire?) et conclut que « l’agonie du monde [est] déjà commencée » : il s’immole par le feu devant une installation militaire.

Roman choral dans lequel le narrateur donne la plus grande place au discours des trois « amis », mais aussi à ceux de la mère de David, du juge qui l’a envoyé en prison, du père Antime son directeur spirituel au séminaire, de la jeune fille qui a été violée, des jeunes qui ont été exploités sexuellement.

Ce roman est plus près de Tête Blanche et du Jour est noir que d’Une saison dans la vie d’Emmanuel. Il est difficile de déterminer si l’action se déroule dans les années 50 ou 60, ce qui pourrait en modifier l’interprétation. Encore une fois, Marie-Claire Blais nous plonge dans un univers glauque, sans aucune ouverture, ne serait-ce un brin d’humour ou de tendresse. Tout comme les bons sentiments, trop de mal-être peut devenir lassant.

Marie-Claire Blais sur Laurentiana
La belle bête 
Tête blanche
Le jour est noir
Une saison dans la vie d’Emmanuel
David Sterne
Lesromanciers du jour

18 avril 2024

La nuit

Jacques Ferron, La nuit, Montréal, Parti pris, 1965, 134 p. (coll. Paroles no 4)

François Menard vit paisiblement dans une banlieue de la Rive-Sud de Montréal avec sa femme Marguerite. Il projette l’image du petit bourgeois qui a réussi sa vie. Il a gravi tous les échelons dans la Majestic Bank.

Un coup de téléphone, en pleine nuit, va bouleverser sa vie. Un inconnu demande à parler à Frank Scott. Plutôt que de lui signaler qu’il vient de commettre un faux numéro, Ménard s’amuse à lui monter un bateau : il finit par lui dire que Scott est mort. Et Ménard d’en rajouter sur le défunt, comme s’il le connaissait, si bien que l’inconnu lui donne rendez-vous à une adresse, à Montréal, qui s’avère être une morgue.

Dès le premier regard, Ménard reconnaît son interlocuteur : il s’agit de Frank Archibald Campbell, un agent de police qui lui avait administré un coup de poing et qui avait procédé à son arrestation lors d’une manifestation contre le Pacte de l’Atlantique-Nord, 20 ans plus tôt. Du coup, tout son passé resurgit : son séjour au Royal Edward Hospital pour soigner une tuberculose, la rencontre d’un communiste et son adhésion plus « organique » qu’idéologique au communisme, son reniement devant un juge, sa relation avec sa femme.

Ce que Ménard ne sait pas, c’est que Campbell lui a téléphoné en connaissance de cause. Le premier contact est cordial. Ménard ne lui en veut plus pour le coup de poing. Campbell l’invite à l’Alcazar, « une petite boîte Mauresque » où il a ses entrées. Il lui présente Barbara, une prostituée qui rappelle à Ménard sa mère et sa femme : « Serais-tu ma mère cadette? Et serais-tu en même temps Marguerite enfin accomplie, au visage radieux de sueurs? » Il couche avec elle pendant que Campbell l’attend. De retour, il découvre que ce dernier est décédé, après avoir goûté à la confiture de coing qu’il lui avait apportée. Simple coïncidence? Campbell a laissé un carnet intitulé Gotha of Quebec dont Ménard s’empare avant de rentrer chez lui. 

 L’histoire est complexe. Je ne pense pas que la lecture politique s’impose d’emblée. On ne peut y voir ni une réconciliation entre les deux solitudes, ni un règlement de compte. C’est plutôt tout ce qui se trouve en amont du politique qui est intéressant. La « nuit » permet à François Ménard de retrouver ses assises. Et curieusement, c’est l’Écossais Frank Archibald Campbell qui déclenche le processus de reconquête de soi, en le forçant à renouer avec un passé qu’il avait lui-même brisé en l’emprisonnant.

Au retour de cette « nuit », il ne quitte ni sa femme, ni son travail. Il retrouve une partie de son être qu’il avait gommée : il revoit ses parents, son enfance « décevante, faite de faux-fuyants », le pays du Maskinongé qui l’a vu naître, sa jeunesse turbulente. Il comprend que sa vie de banquier et le cocon ouaté (sinon maternelle) de sa femme ont tout gobé, qu’ils ont canalisé toutes ses énergies, détourné ses rêves, écrasé ses idées. Cette nuit lui permet de « retrouver son âme », de renouer avec le jeune homme qu’il a été, comme en témoigne sa rencontre avec le « jeune » felquiste.

Bizarrement, sa libération commence par la femme qu’il aime : il s’était réfugié dans son amour et, du coup, il avait abandonné la part de lui-même, plus rugueuse, contestataire, engagée.

« Elle m’entraîna dans la cuisine et se mit à table en face de moi. La pièce baignait dans la lumière. Je ne me souvenais plus très bien où j’avais laissé la nuit. Le soleil frappait Marguerite au visage; elle ne tentait pas de lui échapper, au contraire lui faisait face avec joie et hardiesse, de toute son âme retrouvée dont j’avais vécu auparavant et que je venais de lui rendre tout bonnement, sans y prendre garde, du fait que j’avais retrouvé la mienne. C’était beaucoup plus normal ainsi, d’avoir chacun son âme. Vraiment, nous avions été trop économes ... En lui rendant son âme, je ne la dépossédais pas de mon amour; je le revigorais. Inquiet, je me demandais si elle continuerait de le recevoir alors que de son côté, troublée par un émoi nouveau, sur le point d’être comblée de sa générosité, elle pensait déjà moins à recevoir qu’à rendre. Elle n’était plus la femme d’un interminable regret. Elle souriait au soleil. » (131-132)

Tout compte fait, il renoue avec l’idée découverte au sanatorium : il se trouve « une réalité derrière la réalité ». En d’autres mots, la vie est toujours plus complexe que ce qu’on peut en saisir : sa « nuit » le force à sortir de sa torpeur, à ouvrir les yeux (comme le lui rappellent sans cesse les engoulevents), à reprendre sa quête.

« J’avais retrouvé mon âme perdue, après une longue maladie, mon âme rêveuse et un peu folle, ma sœur nocturne qui transforme en coquille d’œuf les apparences trop claires. Je vivrai désormais à l’abri du monde, au centre de moi-même et au centre de tout, derrière l’oculaire de l’instant qui a trouvé son point définitif, plus présent à moi-même et plus présent à tout que si je me fuyais sous la lumière, dans les décombres de la nuit, en parcourant les quartiers de la ville et le labyrinthe des rues. » (121-122)

Ce roman est important dans l’œuvre de Ferron. Pour la première fois, il s’aventure dans son histoire personnelle : plusieurs pages sont consacrées à Louiseville, au Maskinongé, à ses parents… et à lui-même. Il va reprendre La nuit six ans plus tard sous le titre Les confitures de coing. Il va même s’expliquer dans l’ « Appendice aux Confitures de coin ou le congédiement de Frank Archibald Campbell ». (Voir l’extrait dans un commentaire ci-dessous).

12 avril 2024

Le vent du diable

André Major, Le vent du diable, Montréal, Les éditions du Jour, 1968, 143 p. (Coll. Les romanciers du jour R-34)

Albert a quitté la ville, s’est acheté une maison près d’un lac au cœur de la forêt. Il y vit seul avec Loup, son chien. À la boulangerie du village travaille Marie-Ange. Il l’aime bien, couche avec elle, l’épouse pour éviter l’exclusion sociale. Plus haut dans la montagne vit Tom, « dit Patte-Croche », un homme qui a des problèmes psychologiques. Il y a amené de force une orpheline dont personne ne voulait surnommée la « Verte ». Il l’a enfermée « dans sa cabane comme une bête sauvage qu’on veut dompter en lui enlevant sa liberté ». Tom est au désarroi depuis qu’elle s’est enfuie. Il attribue sa disparition au « vent du diable » qui souffle sur la montagne en automne. Il demande à Albert de l’aider à la retrouver. Ce dernier la retrouve chez une famille métis qui vit aussi dans la montagne. Le hic, c’est qu’il en tombe éperdument amoureux et qu’elle répond à ses sentiments. Quand vient le temps d’annoncer à Marie-Ange qu’il veut la quitter, elle lui apprend qu’elle est enceinte. Il choisit de rester auprès d’elle tout en continuant de voir la Verte. L’hiver ayant passé, Marie-Ange en a assez, le quitte. Il décide de retourner en ville avec la Verte.

Au début de la seconde partie, intitulée Le Carnet bleu, le narrateur nous apprend qu’il n’avait pas l’intention de développer davantage le récit des amours entre Albert et la Verte. On comprend que « Le vent du diable » est une fiction d’inspiration fortement autobiographique qu’il a écrite à l’intention d’une femme qu’il aime, ce qu’il n’arrive pas à lui dire. Le roman de Major s’éloigne de ses modèles (Giono, Thériault, Savard) et, par cet habile jeu de miroir, nous plonge dans le Nouveau roman. Nous quittons la forêt et ses êtres primitifs, la sauvagerie du vent, les forces telluriques et nous nous retrouvons en ville en présence d’un journaliste qui se meurt d’amour pour sa bien-aimée, prêt à tout renoncer pour elle, à commencer par sa vie de vagabondage. « Je salue bien bas ma jeunesse errante, car me voilà cloué à ces responsabilités qui nous vieillissent et donnent aux jours une saveur un peu amère. Jeunesse est passée. Jeunesse est morte ! Vive la vie ! La vie sans majuscule, puisque c’est la vie de tous les jours, avec son horaire déterminé, précis et chargé, avec ses obligations, ses fatigues, ses petits plaisirs payés cher. »

Le point de départ du roman de Major est plutôt banal : une histoire de passion amoureuse. Il lui fallait habiller cette intrigue : la première couche, c’est la nature. Major est maître dans l’art de la décrire, d’associer les pulsions irrepressibles de ses personnages aux forces de la nature. La seconde couche, plus faible, c’est la politique : encore une fois l’indécision du héros est associée à celle du peuple québécois. Enfin, la dernière, c’est le récit dans le récit, le romancier qui s’observe dans l’image que lui renvoie son imaginaire.

Extrait

Elle passe en elle, cette envie, décuplée, et alors rien ne les retient plus de se délivrer du silence épuisant, d’écouter la voix souffrante de leur passion. Tais-toi, le vent, dit Albert, je ne t’écoute plus. Emporte les feuilles, c’est ton métier. Va traquer Tom si ça t’amuse. Va, l’espace est ton chemin. Rien ne t’arrête, toi. Mais laisse-moi l’aimer, elle, comme il faut qu’on s’aime avec sa bouche, ses bras, son ventre, ses jambes, avec tout ce qui dépend du cœur et de rien d’autre.

Ils sont bouleversés de retrouver l’un chez l’autre ce qu’ils n’étaient pas certains d’avoir découvert la veille, de retrouver cela et de le juger nouveau, et beau, et bon aussi. Elle, gémis­sante parce que sa main réchauffe sa poitrine; et lui, fou de plaisir parce qu’elle ouvre ses cuisses trop douces pour pren­dre le fruit plein qu’il lui tend. Ils se mangent les lèvres, longtemps, longtemps, même quand leurs corps se détendent enfin, après s’être raidis jusqu’au dernier battement d’oiseau dans le nid tendre. Elle refuse de relâcher sa proie, elle veut le garder ainsi, prisonnier rayonnant, pour toujours, dussent les feuilles de l'automne les recouvrir, la neige les ensevelir, la glace durcir leur suaire, le printemps et ses eaux affolées les charrier à l’autre versant du pays où la terre se noie dans la vaste mer qui est la dernière mort. Tout est donc possible, se dit-elle, puisque nous voilà mêlés et seuls, face à face, avec le plus beau sourire du monde. (p. 66-67)

André Major sur Laurentiana

Le cabochon

Le froid se meurt

Holocauste à deux voix

5 avril 2024

Le fou de la reine

Michèle Mailhot, Le fou de la reine, Montréal, Les éditions du jour, 1969, 126 p. (Coll. Les romanciers du jour, R 49)

Le fou de la reine raconte les difficultés que vivent Hélène et Charles, un couple mal assorti. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’amour entre eux, ce serait plutôt qu’ils ont une philosophie de vie tellement différente que les relations sont toujours tendues. Hélène est vibrante, elle mord dans la vie, elle ne s’enfarge pas dans les grands débats d’idées; Charles est un intellectuel, idéologiquement à gauche, inquiet, toujours en train de se questionner, de questionner son couple et la société dans laquelle ils vivent. Il est hésitant, elle a une totale confiance en elle-même. Ils s’aiment et se haïssent, se font du mal. Elle règne sur leur couple, sûre d’elle-même, forte des pouvoirs de la séduction, comme la reine de cœur et son fou. Des soupirants, elle n’a qu’à tendre les bras et ils vont accourir. Et il le sait. « Il fallait l’adorer et savoir se réjouir du seul fait qu’elle existât. » Il est en quelque sorte un dépendant affectif, il croit que cette femme va le sauver de ses tracas, qu’elle va faire de lui un nouvel homme. 

« Je vengeais mes rêves avortés sur la réalité qui les avait étouffés. Une réalité que je confondais avec Hélène et qui s’appelait plaisir, désinvolture, paresse, amabilté, sociabilté, bonté ; des pentes douces qui emmènent de moi exécré vers l’aimable suicide de la vie superficielle, bonne et bête, douce et idiote, irréfléchie inconsciente finalement inacceptable. Le nouveau-né ne ressemblerait jamais à sa mère que par des qualités dont il ferait autant de défauts, de vices et de malheurs. Cela parce qu’il aimait trop sa maman et que sa maman exigeait trop de lui. Hélène voulait que je sois le mari, l’enfant et l’amant ; l’or, la soumission et la fantaisie ; le père, le fils et le saint-esprit : une trinité de poche où fourrer sa main quémandeuse et douce et volage. » (p. 71-72)

Il finit par quitter Hélène et il s’engage dans un groupe révolutionnaire, tout en reprenant son rôle de dépendant affectif en quelque sorte :

 « Parce que je n’ai pas une once d’identité, pas une seule idée à moi, j’emprunte leur air de famille. Je ne suis qu’une âme bâtarde qui quémande une charité spirituelle. Une idée, une toute petite idée s’il vous plaît pour l’amour de Dieu. Arrachez-moi de l’orphelinat de l’esprit et donnez-moi une idée-mère, un refuge aussi vrai qu’un ventre maternel qui nourrit, enveloppe et te dépose dans la vie tout habillé de chair et bourré de sang chaud. »

 « Le banquet est servi, une véritable orgie de croyances, et ils m’invitent. Affamé comme je suis, je n’ai pas à faire la fine bouche. Je m’empiffre et j’en redemande encore. Un plat de grenades m’est resté sur l’estomac mais je bois du cocktail molotov et ça se tasse. Ma tête crépite de credos, le trou est rempli, mon âme déborde d’apostolat. Vous verrez ce que vous verrez, la foi transporte les montagnes et le Mont-Royal en sera témoin ! (113-114)

La situation devient carrément intenable et cruelle quand il découvre qu’Hélène est maintenant la maitresse de Messien, le chef de son groupuscule révolutionnaire. Bien entendu, tout le monde a compris qu’il est vulnérable, on lui lave le cerveau et on l’incite à déposer une bombe dans une boîte postale. Il est arrêté et le présent récit nous parvient de sa cellule.

Ce roman reprend l’intrigue de Prochain épisode : le révolutionnaire amoureux qui échoue amour et acte révolutionnaire et qui écrit de sa prison. Deux anti-héros. Métaphore du Québécois indécis. 

Mailhot se démarque par ses fines analyses psychologiques plutôt que par un récit d’action dans un cadre géographique comme dans Prochain épisode. Elle ne donne pas dans les analyses psychologiques rigoureuses pour autant; par touches successives, on pénètre dans l’âme des protagonistes; on lit de longs passages lyriques pour expliquer leurs états d’âme mais aussi les variations de leur humeur (lire les extraits).Au point de vue de l’écriture, Mailhot n’a rien à envier à Aquin. Ce roman n’a pas eu toute la reconnaissance qu’il méritait.


Extraits

« Mais ce n’est pas ainsi. Ce piteux résultat tient justement au fait que mon ressentiment courait à fleur de peau, de susceptibilité, d’orgueil et qu’il ne trouvait jamais, même à sa pointe extrême intensité, les griefs suffisant à le justifier; que je n’arrivais pas à trouver le point de frappe d’une douleur pourtant vive qui s’exacerbait encore de ne pouvoir être fixée sur tel ou tel de tes gestes. Un carré de soie, un parfum, voilà des arguments qui expliquent mal la guerre. Mais je ne retraçais rien d’autre que de pareilles insignifiances. » (p. 84)

Âme légère, donne-moi la grâce de la futilité, débarrasse-moi du sérieux de l’esprit, de la tristesse des creuses profondeurs et apprends-moi l’effleurement amoureux des surfaces joyeuses, le tendre ghssement du soleil sur la terre.

Âme paresseuse, apprends-moi le renoncement. Retiens-moi de l’agitation stérile, de la turbulente action, pour me garder immobile et satisfait au creux des heures lentes, comme un arbre arrêté sous la lune frivole. Ame égoiste, enseigne-moi la grâce de la contemplation. Délivre-moi des regards extérieurs qui me distraient d’habiter ma maison. Apprends-moi la douceur et l’audace d’être moi-même, attentif à ma vie comme à la seule générosité possible… (P. 91-92)