12 avril 2024

Le vent du diable

André Major, Le vent du diable, Montréal, Les éditions du Jour, 1968, 143 p. (Coll. Les romanciers du jour R-34)

Albert a quitté la ville, s’est acheté une maison près d’un lac au cœur de la forêt. Il y vit seul avec Loup, son chien. À la boulangerie du village travaille Marie-Ange. Il l’aime bien, couche avec elle, l’épouse pour éviter l’exclusion sociale. Plus haut dans la montagne vit Tom, « dit Patte-Croche », un homme qui a des problèmes psychologiques. Il y a amené de force une orpheline dont personne ne voulait surnommée la « Verte ». Il l’a enfermée « dans sa cabane comme une bête sauvage qu’on veut dompter en lui enlevant sa liberté ». Tom est au désarroi depuis qu’elle s’est enfuie. Il attribue sa disparition au « vent du diable » qui souffle sur la montagne en automne. Il demande à Albert de l’aider à la retrouver. Ce dernier la retrouve chez une famille métis qui vit aussi dans la montagne. Le hic, c’est qu’il en tombe éperdument amoureux et qu’elle répond à ses sentiments. Quand vient le temps d’annoncer à Marie-Ange qu’il veut la quitter, elle lui apprend qu’elle est enceinte. Il choisit de rester auprès d’elle tout en continuant de voir la Verte. L’hiver ayant passé, Marie-Ange en a assez, le quitte. Il décide de retourner en ville avec la Verte.

Au début de la seconde partie, intitulée Le Carnet bleu, le narrateur nous apprend qu’il n’avait pas l’intention de développer davantage le récit des amours entre Albert et la Verte. On comprend que « Le vent du diable » est une fiction d’inspiration fortement autobiographique qu’il a écrite à l’intention d’une femme qu’il aime, ce qu’il n’arrive pas à lui dire. Le roman de Major s’éloigne de ses modèles (Giono, Thériault, Savard) et, par cet habile jeu de miroir, nous plonge dans le Nouveau roman. Nous quittons la forêt et ses êtres primitifs, la sauvagerie du vent, les forces telluriques et nous nous retrouvons en ville en présence d’un journaliste qui se meurt d’amour pour sa bien-aimée, prêt à tout renoncer pour elle, à commencer par sa vie de vagabondage. « Je salue bien bas ma jeunesse errante, car me voilà cloué à ces responsabilités qui nous vieillissent et donnent aux jours une saveur un peu amère. Jeunesse est passée. Jeunesse est morte ! Vive la vie ! La vie sans majuscule, puisque c’est la vie de tous les jours, avec son horaire déterminé, précis et chargé, avec ses obligations, ses fatigues, ses petits plaisirs payés cher. »

Le point de départ du roman de Major est plutôt banal : une histoire de passion amoureuse. Il lui fallait habiller cette intrigue : la première couche, c’est la nature. Major est maître dans l’art de la décrire, d’associer les pulsions irrepressibles de ses personnages aux forces de la nature. La seconde couche, plus faible, c’est la politique : encore une fois l’indécision du héros est associée à celle du peuple québécois. Enfin, la dernière, c’est le récit dans le récit, le romancier qui s’observe dans l’image que lui renvoie son imaginaire.

Extrait

Elle passe en elle, cette envie, décuplée, et alors rien ne les retient plus de se délivrer du silence épuisant, d’écouter la voix souffrante de leur passion. Tais-toi, le vent, dit Albert, je ne t’écoute plus. Emporte les feuilles, c’est ton métier. Va traquer Tom si ça t’amuse. Va, l’espace est ton chemin. Rien ne t’arrête, toi. Mais laisse-moi l’aimer, elle, comme il faut qu’on s’aime avec sa bouche, ses bras, son ventre, ses jambes, avec tout ce qui dépend du cœur et de rien d’autre.

Ils sont bouleversés de retrouver l’un chez l’autre ce qu’ils n’étaient pas certains d’avoir découvert la veille, de retrouver cela et de le juger nouveau, et beau, et bon aussi. Elle, gémis­sante parce que sa main réchauffe sa poitrine; et lui, fou de plaisir parce qu’elle ouvre ses cuisses trop douces pour pren­dre le fruit plein qu’il lui tend. Ils se mangent les lèvres, longtemps, longtemps, même quand leurs corps se détendent enfin, après s’être raidis jusqu’au dernier battement d’oiseau dans le nid tendre. Elle refuse de relâcher sa proie, elle veut le garder ainsi, prisonnier rayonnant, pour toujours, dussent les feuilles de l'automne les recouvrir, la neige les ensevelir, la glace durcir leur suaire, le printemps et ses eaux affolées les charrier à l’autre versant du pays où la terre se noie dans la vaste mer qui est la dernière mort. Tout est donc possible, se dit-elle, puisque nous voilà mêlés et seuls, face à face, avec le plus beau sourire du monde. (p. 66-67)

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