Marie-Claire Blais, Le Jour est noir, Montréal, Éditions du
jour, 1961, 123 pages.
Si je me fie à ce site (Le
Passe mot de Venise), Le Jour est
noir n’a pas reçu un très bon accueil de la critique lors de sa parution.
Et pour cause. Ce que j’écrivais sur Tête blanche, je pourrais le reprendre ici : « Les premiers livres de
Marie-Claire Blais sont très sombres. On n’y trouve pas l’ironie qui allège Une saison dans la vie d’Emmanuel. Les
enfants sont laissés à eux-mêmes, ignorés par des adultes perdus dans leurs
propres problèmes. » Je pourrais aussi reprendre ce passage que j’écrivais
sur La Belle bête : « On sent
l’influence d’Anne Hébert (Le Torrent)
[…] et ce, non seulement à cause des thèmes en commun. Blais écrit aussi une
histoire qui n’est pas ancrée dans la réalité québécoise (et dans la réalité
tout court), et use d’un style littéraire qui se veut poétique. L’histoire de
Blais est trop schématique pour qu’on y croie vraiment… »
On découvre les quatre personnages
principaux dans un long prologue de 14 pages. Ils ont entre 13 et 15 ans et
forment déjà des couples : celui de Raphaël et Marie-Christine et celui de José
et Yance. À travers leurs dialogues et quelques passages descriptifs, le narrateur
relate leur première expérience amoureuse, sexuelle et désastreuse dans le cas
du premier couple, tout en douceur pour le second. Inutile de résumer en détail
le reste du récit : on retrouve les mêmes personnages – et quelques autres
dont la sœur de Raphael et Yance - à des âges différents de leur vie. Et toutes
les désillusions amoureuses qu’on puisse imaginer : des couples qui se brisent
et se refont; des enfants qui repassent dans leurs pas; des hommes, les
violents comme les faibles, qui détruisent les femmes; celles-ci qui détruisent
leurs enfants. Femme insatisfaite, mari infidèle, homme immature et lâche, mère
indigne...
On sait comme le thème de l’enfant
qui ne veut pas devenir adulte est important dans la littérature des années
soixante. Marie-Claire Blais fut sans doute une des premières à se l’approprier :
« Quand il commencera à mourir pour moi, ses maîtresses passées lui
deviendront étrangement vivantes. Dans les rues de ma ville, j'envie les êtres
qui n'appartiennent pas à la même existence que moi. J'envie tous ceux qui
n'ont pas encore mis le pied dans le temps, les êtres inachevés dans leur
propre plénitude: les enfants. Je regrette de ne pas être cette adolescente à
jupe rouge et aux bas noirs qui rit, appuyée aux bras d'un garçon de son âge,
sans savoir qu'elle sera seule bientôt, dès qu'elle deviendra une femme. Je
songe aux dimensions diaboliques que prendra le monde pour elle. » (p. 59)
Il y a bien une tentative de
prolonger le thème, de lui donner une assise sociale, mais dans ce roman
poétique, le lien semble trop rare et trop mince : « L'enfant sur mon
cœur, l'interrogation de Raphaël devant l'avenir et le présent se fait mienne.
Je ne suis plus en confiance avec la génération que porte ma fille sous son
front innocent. Une nuit sans réveil se profile devant moi: sommes-nous
condamnés à mourir ? Sommes-nous la génération ténébreuse et choisie pour
assister à la fin de l'univers ? Ce doute n'est-il qu'un pressentiment d'une
horrible fatalité ? Raphaël est cynique à cause de la peur. Josué est faible
pour la même raison. Est-ce une ridicule panique devant sa propre mort ? Sa
pauvre petite mort ? Il est vrai que les êtres de notre génération souffrent
d'avancer dans un siècle de destruction. Ils préfèrent soudain ne pas avoir de
siècle. Délibérément ils choisissent des gouffres à la taille de leurs rêves. »
(p. 50)
Il est toujours difficile de
critiquer une auteure de l’envergure de Marie Claire Blais. Avec très peu de
matériaux autres que littéraires, Marie-Claire Blais parie que le roman puisse
tenir par la force du style. Malheureusement, on finit par se lasser de ces
personnages désincarnés qui sont plus des figures littéraires que des
personnes. Mais, comme les deux citations ci-dessus et l'extrait le démontrent de façon
magistrale, Marie-Claire Blais, c’est un style... et son prochain roman ne sera
rien d’autre qu’un chef-d’œuvre de la littérature québécoise. Comme quoi, mêmes
les plus grands doivent se « faire la main ». Comment ne pas lui
pardonner tout le reste?
Extrait
J’ai senti une flamme de vie à ma
taille, j’ai écouté battre toute l’âme d’une enfant dans mes veines, et l’amour
dans mon cœur, je suis vivante, saine et raisonnable à ma façon, mais Josué est
le reflet qui se multiplie, la nuit désarticulée en fantômes : il approche
les hommes et les choses sans les connaitre. Il vit dans une fugue continuelle.
Il est venu vers moi pour m’entraîner dans son pays de brumes et de dangereuses
féeries, il a caressé mon corps avec des mains innocentes et j’aurais dû
comprendre dès le début que cette innocence me tuerait puisqu'elle était plus
perfide qu’un maléfice. Oh ! Enfant malade loin de mon cœur ! Oh ! l’homme démuni
que l’on regarde avec des yeux pleins de larmes! Penchée sur le visage
indifférent de Josué, je sais que je ne l’ai pas choisi mais qu’il m’a choisie
pour le pire. Le jeune homme des ombres, si attirant parce qu’il était inhumain
de candeur, ne me laissera que la maison d’odeurs et de songes, peu de choses
vraies: il me laissera une petite fille sans consistance comme lui, une fleur
seulement faite d’un peu de rosée. » (p. 62)
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