Charlotte Savary, Le député, Montréal, Les éditions du jour, 1961, 219 pages.
On
est en 1938. Les trois frères Bouchard font de la politique. Jean-Pierre est député
fédéral du comté de Carillon, Antoine est l’avocat du gouvernement et Victor,
l’avocat des grandes compagnies. Antoine et Victor, à la solde de politiciens
anglais, ont chargé le père Hildebrand de la Croix de convaincre (même de le
forcer, quitte à le faire chanter) leur frère Jean-Pierre, député de Carillon, un
faible, de présenter une motion qui transférerait les pouvoirs de l’instruction publique du provincial au
fédéral. Le but, c’est d’angliciser le Québec. Comme si on avait décidé, une
fois pour toutes, que ce pays sera viable seulement quand tout le monde parlera
anglais. Le vieux rêve de Durham. Tout le reste du roman nous décrit les
manigances des deux frères, surtout de Victor, pour parvenir à leur fin. Comme
la guerre sera bientôt déclarée et qu’il faudra probablement lancer une
nouvelle conscription, le projet est renvoyé aux oubliettes. Et qui sera sacrifié
sur l’autel du pouvoir? Le naïf Jean-Pierre, bien entendu.
L’image
du monde politique est on ne peut plus détestable. Oublions le père Hildebrand qui
est une vraie crapule. Les trois frères, eux, sont des arrivistes. Antoine est
prêt à tout pour devenir sénateur et Jean-Pierre, ministre. On ne comprend pas
toujours les motivations de Jean-Pierre dont l’ambition politique se veut un
baume sur ses problèmes conjugaux. Quant à Victor, c’est la griserie du pouvoir
qui le motive : il n’hésite pas à sacrifier son propre frère pour assouvir
son désir de domination. Parlant de motivation, je dirais que ce qui fait
marcher l’un et l’autre n’est pas toujours convaincant. On a du mal à accepter que
ces trois hommes puissent vendre les leurs, d’autant plus que leur père était
un fervent nationaliste. On voit très peu les personnages qui agissent en
amont, donc on ne comprend pas très bien leur plan d’action. Comme Charlotte
Savary nous sert dès les premières pages (lire l’extrait) l’enjeu de son roman,
tout ce qui suit nous laisse sur notre faim. Il y a beaucoup de raccourcis dans
ce roman, trop pour qu’il soit convaincant.
On a
droit à la vie familiale des trois frères Bouchard. Et ce qu’on remarque, c’est
que les trois mariages battent de l’aile. Les femmes mènent une vie parallèle,
complètement coupées du travail de leur mari... et du monde. Chacune s’est
réfugiée dans ses propres rêves. Deux d’entre elles sont complètement effacées
alors que l’autre s’est lancée dans le théâtre et les amants pendant que son
mari (Antoine) folâtre avec sa maitresse. Quant aux enfants, laissés à
eux-mêmes, ils ont l’impression de vivre dans un monde qui ne leur appartient
pas, qui leur est étranger.
J’ai
déjà blogué quelques romans qui mettent en scène le monde politique : Pour la
patrie (1895), L’arriviste
(1919), L’Appel de
la race (1922), La Chesnaie
(1942). Le roman de Charlotte Savary s’inscrit dans cette lignée.
Extrait
« Ce
mot malsonnant de « nationalisme »
écorche les oreilles du fils du docteur Bouchard. Un mot qui résonnait
fièrement sur les lèvres de son grand-père, l'instituteur; qui prenait un
accent de tendresse dans la bouche de son père, le médecin de campagne. Depuis
les jours lointains de son adolescence, il a appris à se méfier du vocable, de
l'idée nationaliste. L'indéfinissable malaise qu'il ressent, l'avertit du
danger. Jamais le député de Carillon n'a sous-estimé un adversaire. La force
que lui donna la certitude de sa petitesse a été, jusqu'ici, le gage de sa
réussite. Une fois de plus, Jean-Pierre Bouchard saura se dérober.
— Ce
que vous me demandez, mon père, est extrêmement délicat. Présenter à la Chambre
des Communes une motion demandant qu'une adresse soit soumise à Sa Majesté,
pour amender l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, la constitution de 1867,
de façon à transférer du domaine provincial au domaine fédéral la compétence
législative en matière d'instruction publique...
D'une
voix monocorde, le représentant de Carillon récite les termes de la motion. Les
mots prennent corps en lui, sur ses lèvres. Il ne le savait pas encore, les mots
ont une odeur, un visage. Mentalement, il répète : « Une motion pour
présenter une adresse au roi d'Angleterre. » Ainsi, seul, le souverain du
Royaume-Uni, c’est-à-dire son gouvernement, celui d'une nation étrangère, a le
pouvoir d'amender la constitution canadienne.
Jean-Pierre
Bouchard rougit comme s'il avait reçu une gifle. La conscience de la sujétion
de sa patrie lui fait mal. Mais le regard du moine pèse si lourd, qu'il baisse
les yeux pour enchaîner dans un balbutiement:
—
Arracher aux provinces l'instruction publique pour la remettre au gouvernement
fédéral... C'est contraire toutes nos traditions... La langue française, la
religion catholique seront en danger... Pourtant, je désire vous faire
plaisir...
...quel-est la valeur de ce livre si le livre n'a aucune page de découpé ???...si je me puis !? ;)
RépondreEffacerUn bouquiniste va vous donner 5$ pour le revendre 10 ou 15$.
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