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17 novembre 2023

L’âge de la parole

Roland Giguère, L'âge de la parole, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 1965, 170 p. (Collection Rétrospectives). 

Publié dans la prestigieuse collection « Rétrospectives » de L’Hexagone, L’âge de la parole est un peu plus qu’une rétrospective. Dans la première partie, qui donne son titre au recueil, Giguère (1929-2003) présente 49 poèmes inédits. À ceux-ci s’ajoutent six recueils déjà parus chez Erta : Les nuits abat-jour (1950 - reprise partielle), Midi perdu (1951), Yeux fixes (1951), Les armes blanches (1954), Le défaut des ruines est d’avoir des habitants (1957 - reprise partielle) et Adorable femme des neiges (1959). 

 

L’âge de la parole a eu un tel impact qu’on en est arrivé à lui emprunter son titre pour désigner la période qui va du début des années 50 à celui des années 60. Avec Giguère et sa maison d’édition ERTA (et l’Hexagone), on arrête de répéter les discours tout faits, soufflés par les idéologies dominantes, on s’inspire de ce qui se fait ailleurs et on laisse la parole se déployer librement sur la place publique. Pour qu’un meilleur futur puisse advenir, il faut commencer par le dire. 

 

Giguère fait en quelque sorte le pont entre la Grande Noirceur et la Révolution tranquille. Il ne se contente pas de décrire son mal être, il condamne le monde dans lequel il vit. Il refuse de s’enliser dans le malheur, d’être broyé par « la grande main du bourreau » sans réagir. Il a la certitude qu’une lumière subsiste quelque part à l’horizon, quitte à l’inventer pour qu’elle advienne : « L’âge de la parole – comme on dit l’âge du bronze – se situe, pour moi, dans ces années 1949-1960, au cours desquelles j’écrivais pour nommer, appeler, exorciser, ouvrir, mais appeler surtout. J’appelais. Et à force d’appeler, ce que l’on appelle finit par arriver. C’était l’époque, pas si lointaine, où nous croyions avoir tout à dire puisque tout était à faire et à refaire. » (Dans la préface de l’édition de 1991)

 

Je ne reviendrai pas sur les recueils déjà présentés.  Je vais me contenter de commenter brièvement les 49 poèmes inédits. Ceux-ci sont datés et présentés chronologiquement.

 

Giguère en chansons
On y retrouve le même univers déliquescent rencontré dans les recueils antérieurs, un monde aliénant qu’il s’agit de transformer, ne serait-ce que par l’imaginaire, comme le dit si bien le premier poème daté de 1949 : « je quittai pour toujours / les routes jalonnées de feux morts / pour d’autres routes plus larges / où mon sang confondait le ciel / comme une flèche confond sa cible // je commençai à vivre mieux. » Avancée difficile, il va sans dire : « la vie face aux murs prend figure de défaite / s’il n’y a dans quelque fissure l’apparence d’un espoir / l’espoir de l’amour l’espoir de la liberté / l’espoir qu’un jour nous vivrons tous pour aimer. » Il y a très peu d’éléments qui montrent directement du doigt la société canadienne-française, hormis ce passage : « La blancheur agonisante dans les brancards / les mêmes mots répétés jusqu’à moi et mort / vienne la métamorphose du dernier désir / et un nouveau départ à zéro / pour un pays sans faune ni flore / où habite un peuple sans langue. » L’amour est une des avenues qui aiguille la marche difficile vers l’espoir : « Immense et pâle belle à ravir / quand elle ferme les yeux / ses yeux-ciseaux / pour couper le fil du temps / oublieuse des saisons / et doucement cesser de battre / cesser / ces si beaux jours / ces si belles jarres / et l’eau claire de l’amour versée / dans la mare de boue ». La solidarité en est une autre : « pour chasser le malheur il faut être deux ». Bref, cette poésie témoigne de la lutte entreprise contre « l’ogre odieux » qui avilit les humains, et même si la fin désirée n’apparaît pas toujours clairement, jamais l’espoir ne disparait : « On mangera demain la tête du serpent / le dard et le venin avalés / quel chant nouveau viendra nous charmer ? » 

Par ailleurs, on sent ici et là l’influence surréaliste, un surréalisme qui n’a rien à voir avec celui des années 20 : les associations verbales (Un monde mou), les allitérations (« le sang fuit / le fruit faible »), certaines désarticulations du réel (Rose ovaire) en témoignent. Mais comme le poète l’a dit, le surréalisme chez lui est davantage une philosophie qu’un procédé de création. 

 

Ce recueil s’est mérité le prix France-Québec et le Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal. 


Son dernier recueil

Roland Giguère sur Laurentiana

Éditions Erta
Faire naître
Les nuits abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images apprivoisées
Les armes blanches
Le défaut des ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges

L’âge de la parole

La main au feu (à venir)

Forêt vierge folle (à venir)
Voix de 8 poètes du Canada

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