LIVRES À VENDRE

24 novembre 2023

La main au feu

Roland Giguère, La main au feu, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1973, 145 pages. (coll. « Rétrospectives »)

La main au feu comprend : 

§  28 poèmes inédits, couvrant la période 1949-1960, dont Liminaires (3 poèmes) et La main de l’homme (25 poèmes);

§  deux sections du recueil Le défaut des ruines est d’avoir des habitants (1957), à savoir Miror et Lettres à l’évadé;

§  deux recueils publiés après 1960 :  Pouvoir du noir (1966) et Naturellement (1968);

§  un texte paru dans les Écrits du Canada français (no 16, 1963), soit Dialogue entre l’éphémère et l’immobile.

Je ne reviendrai pas sur les parties déjà bloguées : Miror et Lettres à l’évadé.

Liminaires : À vingt ans, Roland Giguère, d’une lucidité étonnante, offre un aperçu de la démarche qui sera la sienne : « Pour ouvrir une seule fenêtre, il nous fallait enfoncer un nombre incalculable de murs. Plusieurs fois, au terme du poème, nous sommes allés traverser un fleuve, les yeux fermés, dans le seul désir de créer d’autres rives; en plein ciel, nous avons façonné des îles par centaines pour pouvoir un jour les inonder. » (« Au futur », 1949)

La main de l’homme : La plupart des poèmes sont en prose. Plusieurs empruntent la voie du récit, un récit alambiqué qui suit la logique du rêve ou du cauchemar. Le plus souvent, on retrouve l’idée d’une quête, d’une fuite même si le but n’est pas toujours prometteur. La traversée est toujours difficile. La nature est très présente, non pour elle-même, mais comme personnage de ces récits qui ressemblent parfois à des fables surréalistes. Les motifs, chers à Giguère, comme la main, le cri, le feu, la ruine, sont repris ici et là.

LA MAIN DE L’HOMME DÉTERMINE LA MOISSON

Du vase le plus pur parfois s’envolent les plus noirs corbeaux pour aller détruire les promesses de pain blanc couchées au soleil d'été, et si la main de l’homme, trop lourde, ne parvient pas à saisir une aile de corbeau et à la jeter au feu, c’en est fini : la prochaine saison en sera une de famine, et l’on aura beau retourner les jarres, rien n’en tombera plus, pas même une eau de pluie. / Ni pain ni eau. / Et le sommeil sera de sable.

Dialogue entre l’éphémère et l’immobile : Par le biais d’un dialogue, Giguère nous raconte une fable. « L’immobile c’est vous, / l’éphémère c’est tout ce que vous aimez. / L’immobile est vieux, millénaire, grave, / l’éphémère est jeune et enjouée. » Elle se termine ainsi : « L’immobile recèle l’imprévisible, souviens-toi ! Adieu! »

Pouvoir du noir (1966) est disponible sur internet. Le recueil accompagnait une exposition de 22 toiles de Giguère au Musée d’art contemporain. « Le poète sait très bien que le poids des mots varie selon l'éclairage des autres mots et la structure des phrases. De même, le blanc et le noir entrent dans un rapport dialectique modifié par l'espace. Le pouvoir du noir est fonction de la magie du blanc. » (Gilles Hénault dans la présentation du recueil). Extrait : « Dans la ténèbre de la vie / c'est la clarté qui envahit / l'opaque est l'assiégé / et nous saluons l'envahisseur / car l'envahisseur luit / dans notre nuit confuse / comme un souffle d'espoir / enfermé dans sa géode. »

Naturellement (1968) : Le recueil original comprend 8 poèmes accompagnés de 8 sérigraphies en couleur. Il a été tiré à 40 exemplaires. Il aurait été inspiré par la nature des Cantons-de-l’est, d’où le titre : « Des feuilles, des plantes ramassées autour de la maison, un papillon mort trouvé dans son atelier, et Giguère l’imprime sur le pochoir, tout l’arc-en-ciel est mis en contribution. Cela est sauvage, argileux, étoilé. Le poète est amoureux, tortueux, torturé. Les poèmes naissent de la même main, du même feu, du même désir… » (Gaétan Dostie, Le Jour, 30 mars 1974) Extrait : « le temps traverse le brasier et noircit / à l’aube nous fouillerons la cendre / pour célébrer la dernière étincelle // nous jaillirons ensemble. »

J’ai beaucoup lu la poésie des années 1950. Je ne vois aucune autre œuvre qui ressemble à la sienne. Giguère mélange l’intime et le social comme personne d’autres. Miron prendra la relève. Contrairement à plusieurs poètes des années 50, Giguère n’est pas à la recherche des sources du mal, mais toujours à la frontière pour apercevoir ce qui s’y trouve plus loin.

On peut chercher des significations complexes à cette œuvre, et on en trouve de brillantes sur le net. Quant à moi, on est d’abord devant un poète typographe peintre qui a sa propre voix, ses quelques thèmes et plusieurs façons de les apprêter. Et qui a propulsé la poésie québécoise vers de nouveaux horizons en conjuguant ses différents talents, ce qui en fait un incontournable.

Roland Giguère sur Laurentiana

Éditions Erta
Faire naître
Les nuits abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images apprivoisées
Les armes blanches
Le défaut des ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges
L’âge de la parole
La main au feu
Forêt vierge folle
Voix de 8 poètes du Canada

17 novembre 2023

L’âge de la parole

Roland Giguère, L'âge de la parole, Montréal, Éditions de l'Hexagone, 1965, 170 p. (Collection Rétrospectives). 

Publié dans la prestigieuse collection « Rétrospectives » de L’Hexagone, L’âge de la parole est un peu plus qu’une rétrospective. Dans la première partie, qui donne son titre au recueil, Giguère (1929-2003) présente 49 poèmes inédits. À ceux-ci s’ajoutent six recueils déjà parus chez Erta : Les nuits abat-jour (1950 - reprise partielle), Midi perdu (1951), Yeux fixes (1951), Les armes blanches (1954), Le défaut des ruines est d’avoir des habitants (1957 - reprise partielle) et Adorable femme des neiges (1959). 

 

L’âge de la parole a eu un tel impact qu’on en est arrivé à lui emprunter son titre pour désigner la période qui va du début des années 50 à celui des années 60. Avec Giguère et sa maison d’édition ERTA (et l’Hexagone), on arrête de répéter les discours tout faits, soufflés par les idéologies dominantes, on s’inspire de ce qui se fait ailleurs et on laisse la parole se déployer librement sur la place publique. Pour qu’un meilleur futur puisse advenir, il faut commencer par le dire. 

 

Giguère fait en quelque sorte le pont entre la Grande Noirceur et la Révolution tranquille. Il ne se contente pas de décrire son mal être, il condamne le monde dans lequel il vit. Il refuse de s’enliser dans le malheur, d’être broyé par « la grande main du bourreau » sans réagir. Il a la certitude qu’une lumière subsiste quelque part à l’horizon, quitte à l’inventer pour qu’elle advienne : « L’âge de la parole – comme on dit l’âge du bronze – se situe, pour moi, dans ces années 1949-1960, au cours desquelles j’écrivais pour nommer, appeler, exorciser, ouvrir, mais appeler surtout. J’appelais. Et à force d’appeler, ce que l’on appelle finit par arriver. C’était l’époque, pas si lointaine, où nous croyions avoir tout à dire puisque tout était à faire et à refaire. » (Dans la préface de l’édition de 1991)

 

Je ne reviendrai pas sur les recueils déjà présentés.  Je vais me contenter de commenter brièvement les 49 poèmes inédits. Ceux-ci sont datés et présentés chronologiquement.

 

Giguère en chansons
On y retrouve le même univers déliquescent rencontré dans les recueils antérieurs, un monde aliénant qu’il s’agit de transformer, ne serait-ce que par l’imaginaire, comme le dit si bien le premier poème daté de 1949 : « je quittai pour toujours / les routes jalonnées de feux morts / pour d’autres routes plus larges / où mon sang confondait le ciel / comme une flèche confond sa cible // je commençai à vivre mieux. » Avancée difficile, il va sans dire : « la vie face aux murs prend figure de défaite / s’il n’y a dans quelque fissure l’apparence d’un espoir / l’espoir de l’amour l’espoir de la liberté / l’espoir qu’un jour nous vivrons tous pour aimer. » Il y a très peu d’éléments qui montrent directement du doigt la société canadienne-française, hormis ce passage : « La blancheur agonisante dans les brancards / les mêmes mots répétés jusqu’à moi et mort / vienne la métamorphose du dernier désir / et un nouveau départ à zéro / pour un pays sans faune ni flore / où habite un peuple sans langue. » L’amour est une des avenues qui aiguille la marche difficile vers l’espoir : « Immense et pâle belle à ravir / quand elle ferme les yeux / ses yeux-ciseaux / pour couper le fil du temps / oublieuse des saisons / et doucement cesser de battre / cesser / ces si beaux jours / ces si belles jarres / et l’eau claire de l’amour versée / dans la mare de boue ». La solidarité en est une autre : « pour chasser le malheur il faut être deux ». Bref, cette poésie témoigne de la lutte entreprise contre « l’ogre odieux » qui avilit les humains, et même si la fin désirée n’apparaît pas toujours clairement, jamais l’espoir ne disparait : « On mangera demain la tête du serpent / le dard et le venin avalés / quel chant nouveau viendra nous charmer ? » 

Par ailleurs, on sent ici et là l’influence surréaliste, un surréalisme qui n’a rien à voir avec celui des années 20 : les associations verbales (Un monde mou), les allitérations (« le sang fuit / le fruit faible »), certaines désarticulations du réel (Rose ovaire) en témoignent. Mais comme le poète l’a dit, le surréalisme chez lui est davantage une philosophie qu’un procédé de création. 

 

Ce recueil s’est mérité le prix France-Québec et le Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal. 


Son dernier recueil

Roland Giguère sur Laurentiana

Éditions Erta
Faire naître
Les nuits abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images apprivoisées
Les armes blanches
Le défaut des ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges

L’âge de la parole

La main au feu (à venir)

Forêt vierge folle (à venir)
Voix de 8 poètes du Canada

10 novembre 2023

Adorable femme des neiges

Roland Giguère, Adorable femme des neiges, Châteaunoir Aix-en-Provence, Erta, 1959, 18 feuillets dans un portefeuille. (6 sérigraphies en couleur de l’auteur)

Livre de grande dimension (56 x 33 cm). Tiré à 20 exemplaires. Écriture calligraphique.

Adorable femme des neiges ne contient que le poème éponyme, un chant d’amour livré en 12 parties. Ce texte, qui est sans doute l’un des plus beaux poèmes d’amour offert à une femme, marque bien l’évolution poétique de Giguère.

Dans ses trois recueils antérieurs les plus consistants (Yeux fixes - 1951, Les armes blanches - 1954 et Le défaut des ruines est d’avoir des habitants - 1957), Giguère nous présentait un monde difficilement habitable.

Le malaise qu’on discernait dans les recueils précédents n’est pas complètement oblitéré, mais il est tenu en sous-texte si on peut dire. Giguère vivait en France à cette époque et ce recul pour ne pas dire cet isolement semble salutaire : « Nous sommes loin d’ici / sur les chemins de neige / nous sommes loin / de la veille sans lendemain / nous sommes seuls / et le silence prépare un feu parfait / à l’ombre même de nos désirs ». Avec la présence de la femme à ses côtés, nul besoin d’« inventer une histoire ». Elle est celle qui permet de s’ancrer dans l’espace et le temps : « il y a des jours où tout est vain / sauf ton image / sauf la blancheur de ton corps / sur ces terres amères »; elle est celle qui délie le douloureux passé : « à la lisière de la flamme / se consument les lourds fagots d’hier // la main haute sur les orages / le ciel sur tes épaules se repose »; elle est celle qui partage son amour : « La pointe du jour c’est ton sein gauche / appuyé sur le soir ».  Alors que le futur apparaissait fermé, livré au feu et à la destruction, voilà que la femme s’avance en toute liberté et « dérout[e] les plus sombres avenirs », contournant les « fléaux », sans renoncer à l’aventure. Le poète, libéré, accepte de la suivre :

Je te laisse mes rênes à leur destin
je te tiens pour toute lumière
et mes mains te serrent
pour garder l’empreinte de ta présence

je froisse ta chair pour en tirer les éclats
je m’aveugle à ta foudre
je m’abîme en toi

Pour lire le poème : Écrits du Canada français ou L’âge de la parole, p. 151-162

Roland Giguère sur Laurentiana

Éditions Erta
Faire naître
Les nuits abat-jour
Yeux fixes
Midi perdu
Images apprivoisées
Les armes blanches
Le défaut des ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges
Voix de 8 poètes du Canada



Deux autres dont j'ai oublié la référence :



3 novembre 2023

Les nuits abat-jour

Roland Giguère, Les nuits abat-jour, Montréal, Erta, 1950, 45 feuilles dans un portefeuille. (Images d’Albert Dumouchel) Tirage : 25 exemplaires.

Comme Giguère a refusé que Faire naître et 3 pas soient repris dans les trois rétrospectives publiées chez l’Hexagone, on pourrait presque dire que Les nuits abat-jour est son premier recueil, du moins le premier qu’il juge suffisamment achevé.

Écrit entre 1949-1950, il contient 22 poèmes. Bien entendu, ma lecture ne rendra pas compte de la dimension iconographique du recueil. Je l’ai consulté il y a quelques années à la BAnQ Rosemont-La Petite Patrie et j’avais pris quelques photos à cette occasion. Pour ce qui est du texte, je me suis référé à sa reprise dans L’Âge de la parole, donc aux 10 poèmes retenus.

L’HOMME À LA PAILLE
Il vécut vingt ans avec une paille dans l’œil
Puis un jour il se coucha
Et devint un vaste champ de blé.

Les commentateurs citent souvent ce petit poème un peu facile de Giguère : il décrit un passage à vide et la rédemption d’un homme. Ou encore : un artiste pour qui tout s’éclaire tout à coup, comme le titre du recueil peut aussi le suggérer.

L’attente et la projection dans le temps sont des motifs qu’on retrouve chez Giguère : « Plus tard le ciel déchiré de cris / plus tard les enfants nus / plus tard les bruits légers des belles rencontres ». Le présent est fortement tissé de tensions, marquées métaphoriquement, par l’opposition entre l’ombre et la lumière, entre une nature saine et une autre, pervertie : « L’eau glauque l’eau glauque / je me souviens aussi de l’amande / de l’eau glauque de l’herbe tendre ». OU encore : « les regards limpides se perdent / dans une aube boueuse / la clarté revient sur ses pas ».

Comme on le verra dans plusieurs recueils, la femme lui offre la possibilité de sortir de l’impasse, à tout le moins d’apaiser les tensions : « Au fil de l’air propre et léger / au long des années perdues / tu prends forme de femme / femme complète femme immense / nue pour un regard intense / tige pâle au sortir de l’eau ». Rien ne garantit la pérennité de sa présence : « Il ne faudra pas crier / car tu t’en iras au son du cœur / laissé entr’ouvert derrière toi / au seuil du repos. » Bref, rien n’est magique, encore plus si on est un « magicien / exilé sur une île déserte ».

LE MAGICIEN
Elle pensait à lui
comme on pense aux coquillages
laissés sur la plage humide
elle pensait à lui
comme on pense à un oiseau
enfermé dans un encrier
elle pensait à lui
comme on pense à du verre brisé
qui reflète encore un peu de soleil

elle pensait toujours à lui
en pensant à autre chose

lui était magicien
exilé sur une île déserte.

Pour lire les poèmes : L’âge de la parole, p. 63-74

Roland Giguère sur Laurentiana

Éditions Erta
Faire naître
Yeux fixes
Midi perdu
Images apprivoisées
Les armes blanches
Le défaut des ruines est d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges
L’âge de la parole
Voix de 8 poètes du Canada