Alphonse Piché, Voie d’eau, Montréal, Fernand Pilon,
1950, 56 pages.
J’ai présenté le premier recueil d’Alphonse Piché : Ballades de la petite extrace. Voie d’eau est son troisième, Remous l’ayant précédé en 1947.
Dans
le « poème-préface », intitulé Routes
anciennes, Piché revient sur son parcours plutôt difficile : « Routes
de troubles attirances; / De chutes et d’intimes souffrances / En l’ornière
fauve survenues // Routes blêmes et mercenaires / De la promesse à nu, / De la
détresse austère; » Suit une période de révolte : « A bas ! la
pourriture /Des marais en bordure / Où ma course s’est abreuvée! // « À
bas! Les portes closes … » Et ça continue ainsi pendant quelques strophes.
Et vint la rédemption, toute féminine : « ELLE a vaincu le deuil, /
ELLE a conquis le seuil / Où se butait la cécité ». Le poème se termine
par ces vers pleins de la solidité amoureuse : « Son profil infini /
Désormais à mon flanc / Étanchera la lie ». Le reste du recueil reprend en
quelque sorte les mêmes thèmes.
« Une
voie d'eau est une entrée d'eau imprévue dans un navire par la suite d'une
ouverture dans la coque sous la ligne de flottaison. » (Wiki)
Dans
beaucoup de poèmes, Piché se sert de l’imagerie maritime pour traduire les soubresauts de sa vie amoureuse. On n’a qu’à considérer quelques titres pour s’en convaincre : Elle et l’eau, Port, Rivage, Marée, Écueil, Épave, Remous..., Départ ..., Ressac ..., Calme. On
comprend que l’amour a tardé à entrer dans sa vie : « La lassitude du
roseau / Dans la vague et le vent / Pose en moi l’écho doux / De mes amours
penchées / Sur un éveil lointain / D’astres lents à venir » (Elle et l’eau). Beaucoup de déconvenues
(remous, écueil, rivages…) et de solitude l’ont précédé : « Beau
rivage aux lèvres d’eau, / Unis ma solitude à l’élan de tes arbres; / Accueille
mon amour promis aux larmes / Et à la nuit » (Rivage). Et encore, même conquis, tout amour finit par s’étioler : « Eux
savent la chambre close / Où s’étiole la tige de tout amour, / De toute blessure, de toute chose » (Sirène).
Le dernier poème du recueil ne laisse guère de doute sur la fin : « Tu
vins seule, en ma nuit, mystérieuse enfant, / Verser l’urne d’eau vive à mon
flanc desséché; / Et j’ai mis à la voile, et la mer retrouvée / Immense s’est
offerte à mes embrassements. » (Fin)
Souvent on associe Piché à ses Ballades de la petite extrace. Il me semble que Voie d'eau, plus personnel et plus moderne, marque une avancée dans sa poésie.
REMOUS
Fuis
cette onde placide
Où
s’ébat trop de ciel;
Je
saurai de mon ventre fluide
T’arracher
au soleil.
Je
saurai,
Tes
jambes à mes jambes sœurs
Et
ton cœur enserré de mes bras,
Épuiser
l’ultime paysage
Du dernier souvenir.
Ta
nuit seule en ma nuit;
Ton
âme flétrie à mon agonie;
Ta
musique ardente morte à mon long silence :
Je
glisserai sur toi mes lentes caresses d’algues . . .
Et
dans les conques nouvelles de ta bouche et tes yeux
J’éterniserai
La
mortelle douceur de mon baiser.
Et
de mes larmes.
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