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24 novembre 2016

La crise

François Provençal (Félix Charbonnier), La crise, Montréal, Édouard Garand, 1929, 52 pages (coll. Le roman canadien no 59)

L’action se déroule à Repentigny dans les années 20. Jean Bélanger croyait avoir la vocation religieuse. Au terme de son année de rhétorique, il passe l’été à la ferme de ses parents et il découvre que son amitié pour Alice, une amie d’enfance, s’est transformée en passion amoureuse. Il lui déclare sa flamme, mais quelques jours plus tard, il découvre que celle-ci, qui avait semblé sensible à ses sentiments, est fréquentée par un autre gars. Ayant le sentiment d’avoir été trompé, il lui écrit une lettre méchante. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la jeune fille partageait ses sentiments.

Par la suite, il rencontre une jeune fille de Westmount (Élixida) qui fréquente Repentigny durant ses vacances. Il la sauve d’une noyade certaine et cette jeune fille frivole se transforme en véritable sainte. « La logique humaine n’avait rien à voir avec ce cas de psychologie surnaturelle. », nous dit l’auteur sans doute conscient que cette couleuvre est dure à avaler. Jean la fréquente mais  quand il apprend que sa petite Alice est très malade, il vole à son chevet et se réconcilie avec elle. Partagé entre ces deux demoiselles et sa vocation, Jean ne sait plus où donner de la tête. Survient un prêtre bien décidé à récupérer cette vocation en péril. Il l’inscrit dans une retraite fermée où Jean subit un véritable lavage de cerveau (c’est moi qui le dis). Il décide de rentrer au grand séminaire à l’automne. Cerise sur le gâteau, Élixida rentre chez les sœurs.

Félix Charpentier a le mérite d’exposer sans hypocrisie les stratagèmes (de la manipulation) qu’utilisait le clergé pour augmenter ses effectifs. Je n’exposerai pas ici toute l’argumention qu’on mettait en œuvre : disons grosso modo qu’on essayait par tous les moyens de convaincre ces jeunes hommes qu’ils étaient des êtres d’exception et qu’il leur appartenait de s’élever au-dessus des chrétiens ordinaires. « […] le prédicateur, un confrère du directeur de la retraite, a montré éloquemment qu’on ne peut être chrétien à demi, à une époque où la main divine secoue les peuples pour en faire sortir des soldats intrépides, et pour reléguer les résidus humains loin de la ligne de combat où s’endorment les pusillanimes, les poltrons, les lâches, tous ceux qui sont indignes d’entrer dans la milice du Christ, parce qu’ils sont amollis par les caresses du monde. »

Par la prêtrise, le jeune homme accédait à un degré supérieur de l’amour, l’amour universel. Et comme c’est le cas pour Jean, on n’hésitait pas à réduire l’amour humain à bien peu de choses. Et s’il le fallait, on utilisait les grands moyens pour éloigner la nouvelle recrue de la femme, perçue comme la tentatrice : « En plein dans son sujet, le prédicateur atteint la plus haute éloquence ; il évoque toutes les défaites dues à la néfaste influence des femmes corrompues et corruptrices, à travers l’histoire profane et l’histoire sacrée. Mais, ajoute-t-il, un jeune homme vertueux est encore bien plus exposé, s’il est mis en présence d’une âme également vertueuse, en dehors des conditions normales d’un légitime amour ; il ne verra d’abord rien de coupable dans une amitié qui lui paraîtra innocente ; hélas ! il sentira bientôt s’allumer dans ses entrailles un feu dévorant qu’il ne pourra plus éteindre… Malheur à lui !… Ces flammes impures, émanées de l’antre infernal, symbolisent déjà les brasiers éternels où il risque d’être précipité à jamais ! »

La crise, c’est un très mauvais roman. La psychologie des personnages est assez désastreuse. Pour le curé Charbonnier, il y a la psychologie virile et la psychologie féminine. Quand Jean remet en question sa vocation, c’est la part féminine qui parle en lui. Autre exemple : Éxilda Chênevert change du tout au tout en une journée : «  J’étais perverse, mais je ne le suis plus, je vous le jure.  »

Des prêtres imbus d’eux-mêmes jusqu’au mépris, plus manipulateurs que bons, comme Charbonnier en décrit dans La crise, pour ceux et celles de ma génération, ce n’est pas une découverte. On comprend facilement que beaucoup de religieux et de religieuses, enrégimentés dans un rôle qui ne leur convenait pas,  aient défroqué dans les années soixante.


Félix Charbonnier (né en France en 1873-19??) faisait partie du comité de lecture des éditions Garand. Il servait en quelque sorte de caution morale à l’éditeur. Il a aussi été critique littéraire dans la revue L’Action française. En plus de La crise, il a publié Fleur lointaine (1926), toujours chez Garand, et toujours sous le pseudonyme de François Provençal.

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