Oscar Massé, La Conscience de Pierre Laubier,
Montréal, Éditions Beauchemin, 1943, 160 pages.
Le roman est publié en pleine guerre, d’où son intérêt. En
1943, la France est occupée depuis 1940 et la conscription a été votée.
Massé, contrairement à Pierre
Tisseyre (55 heures de guerre), Jean
Vaillancourt (Les Canadiens errants),
Jean-Jules Richard (Neuf jours de haine),
ne décrit pas vraiment la guerre. On quitte le Québec seulement via les lettres
que les soldats expédient à leur famille et les émissions de radio.
Le roman débute en septembre 1939
et on suppose qu’il se termine en 1941. Georges Debray et Henri Laubier, deux
amis, se sont enrôlés. Le père de Georges avait participé à la guerre de
1914-1918 en tant que médecin, alors que celui d’Henri s’était éclipsé dans la
nature, évitant l’enrôlement. Les deux hommes n’encouragent pas leurs fils à se
lancer dans l’aventure, mais honneur oblige, les deux se sentent pour ainsi
dire obligés de s’enrôler. Il faut dire que la désertion du père d’Henri, en
1918, a en quelque sorte terni son image publique et gâché sa vie. Son fils
veut donc sauver l’honneur de son père et de sa famille. Malgré quelques
prouesses en tant qu’aviateur, il y laissera sa vie. Son père et sa fiancée ne
s’en remettront jamais : le père mourra noyé dans ce qui ressemble à un
suicide alors que la fiancée entrera chez les Carmélites. « Louise Debray
n’est plus. Seule, dans l’austère, mais sereine, mais reposante solitude du
Carmel, Sœur Saint-Henri attend que la mort libératrice vienne rompre ses
derniers liens terrestres pour la conjoindre à celui qu’elle aime toujours,
mais de cette passion surnaturelle qui unit les cœurs et affrère [sic] les âmes
en Celui dont l’amour infini a rédimé l’humanité du servage de la chair. »
Cette citation donne une idée assez
juste du ton et du vocabulaire employés dans La Conscience de Pierre Laubier. Le roman est plein de clichés,
d’interventions du narrateur et de discussions dignes du Cid
de Corneille sur l’honneur familiale. Je ne m’y attarderai pas.
La position du narrateur étant
mal assise, il est difficile de savoir jusqu’à quel point l’auteur endosse tout
ce qui va suivre. Relevons plutôt quelques idées de l’auteur en gardant en
mémoire que le roman est écrit alors que l’issue de la guerre n’est pas encore
jouée. Sans être spécialiste dans le domaine, il me semble que Massé devient
porte-parole des politiciens qui ont imposé la conscription. Son roman nous
sert plusieurs morceaux de propagande typique des temps de guerre. On ressort
Dollard (« un preux, un chevalier, un croisé »), la glorieuse
ascendance française, la fierté nationale, le culte de l’héroïsme, la guerre
comme aventure exaltante pour la jeunesse…
Commençons par un passage sur les
« vertus » de la guerre : « Un peuple n’est vivant que dans
la mesure où son histoire s’enrichit chaque année. Ceux qui se figent, les yeux
dans le dos, et qui croient que leur sang ne peut plus produire de héros,
courent grand’chance de s’affaisser dans le coma, car la vertu militaire, comme
les autres vertus, comme les autres manifestations de la générosité de l’âme et
de la force du caractère, ne peut tomber sans que ce soit un signe certain que
le peuple qui l’a laissé choir s’est abandonné lui-même. »
Du fait que l’Angleterre vole au
service de la France occupée, l’auteur tire une conclusion sur notre double
identité : « Britanniques, et c'est là notre chance, nous n'en restons pas
moins étroitement attachés à la patrie de nos esprits et de nos âmes. Nous
sommes des Français du Canada, et rien de ce qui touche la France ne peut nous
laisser indifférents. »
Il hésite à condamner le régime
de Vichy : « Chez nous, on crie bravo au général de Gaulle qui, sans
ignorer que la France est insuffisamment préparée, sait d’autre part que
l’armée de Syrie et celle d’Algérie sont intactes ainsi que la marine,
s’insurge contre la capitulation et déclare que la France doit rester fidèle à
ses engagements envers son alliée l’Angleterre dont, dans certains milieux, on
a mésestimé l’énergie et la force de résistance. / Chez nous, on fait également
confiance au maréchal Pétain dont chacun reconnaît l’imposant prestige et dont
personne ne peut, d’autre part, suspecter le patriotisme éprouvé. »
Massé se permet ce drôle
d’amalgame : « Tous ces ismes
dont on nous rabat les oreilles : fascisme, communisme, capitalisme, nazisme,
sont des trompe-l’œil, d’anciens concepts affublés de noms nouveaux. Les
peuples ont toujours gravité dans le même orbe, et les générations qui se
succèdent ne font que réapprendre les anciennes routines. / Dans le domaine
politique surtout, l’humanité n’innove plus guère que dans les modalités et les
désinences. Ce sont sensiblement les mêmes systèmes, îles mêmes régimes qu’on
nous ressert, dans le cours des années, sous des étiquettes différentes. »
Les opposants à la conscription
sont présentés comme des couards : « … ceux-là même qui tâchaient, par une
propagande insidieuse, à faire échec à l’enrôlement, qui érigeaient leur
couardise en doctrine politique, qui donnaient leur anglophobie pour du
patriotisme, quitte, la Saint-Jean-Baptiste venue, à s’emplir la louche de
tirades sonores sur «notre glorieux 22e », «nos vaillants gars de Vimy », etc. »
Et pour terminer, cette petite
leçon sur l’amour au féminin : « Au surplus, quand l’aimé est
malheureux, fût-il coupable, l’amour de la femme souvent s’accroît en
s’apitoyant, et c’est par là qu’il atteint au sublime. L’amour d’une femme pour
un homme heureux, s’il n’est pas de l’égoïsme, n’a pas la même auréole. »
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