Napoléon-Magloire Mathé, Ma Cousine Mandine, Montréal , Éditions Édouard Garand, 1928 , 147 p. Coll. «Le Roman
canadien» (1re édition 1923)
L’action se déroule à M., probablement un village en Ontario. L’histoire
est racontée par Paul, un étudiant universitaire. Il passe ses vacances d’été à la ferme, chez un oncle et une tante qui ont adopté une jeune fille qu’ils
ont beaucoup gâtée. Elle s’appelle Allemandine (Mandine) et elle est
la fille d’un couple d’Allemands morts pendant leur voyage d’émigration au
Canada. La jeune fille, très romanesque, rêve d’une vie somptueuse, alors que
son père adoptif n’est qu’un petit cultivateur.
Un été, Paul emmène avec lui Jules, un jeune fonctionnaire. C’est le
coup de foudre entre Mandine et Jules. Comme l’oncle refuse ce mariage pour des
raisons obscures, les amoureux s’enfuient, s’épousent et s’installent à Ottawa.
L’oncle leur coupe les vivres. Mandine, toujours mue par ses idées de grandeur,
mène rapidement le jeune couple au désastre financier. Elle s’est acoquinée
avec une troupe de chanteurs anglophones qui donne des spectacles en Ontario.
Mandine trompe son Jules avec un Écossais. Jules boit, se drogue, et finalement
se suicide. Elle se retrouve pour ainsi dire dans la rue. Paul qui se sent
responsable de tous ses malheurs et qui en a toujours été amoureux sans se
l’avouer, la prend sous son aile et la convainc de retourner en bonne fille
repentante chez ses parents. Entre-temps, il termine ses études. Six mois plus
tard, il va la rejoindre, les deux se déclarent leur amour, au grand plaisir de
l’oncle et de la tante qui leur offrent comme cadeau de noces... une maison au
village.
Le roman est bien écrit, et plutôt bien édité (peu de fautes), ce
qui n’était pas toujours le cas chez Garand. L’histoire est rocambolesque, comme il se doit dans le roman populaire. L’action avance à grands pas, car Mathé ne s’enfarge
pas dans les motivations des personnages. Ainsi sont vitement expédiés le
suicide de Jules, l’amour soudain de Mandine pour Paul et le changement
d’attitude (et de nom) de celle-ci : « J’ai bien réfléchi depuis
quelque temps, continua-t-elle après un moment de silence, le chagrin porte à
la réflexion!... et je ne veux plus rien garder d’un passé de folie et
d’erreur. Je veux n’être maintenant qu’une simple petite Canadienne-française,
bien humble et bien soumise. Ce nom d’Allemandine me rappelle trop mes rêves de
grandeur et de vanité qui ont fait mon malheur! Il me semble qu’en m’entendant
appeler “Colinette”, surtout par toi, je serai plus heureuse, l’avenir me
paraîtra plus rose, et le passé désagréable disparaîtra pour toujours !... »
Bien que l’auteur ne le souligne pas à gros traits, une morale digne du
roman de la terre se dégage du récit de Mathé : on n’est jamais aussi bien
dans sa petite paroisse, loin de la ville corrompue, des Anglophones, des
mirages de la « grande vie ». L’auteur nous sert une critique
virulente du monde politique et du milieu des fonctionnaires (lire l’extrait). Il
évoque aussi l’assimilation à laquelle succombent beaucoup de Canadiens
français. L’auteur était musicien et cela est bien intégré dans le roman.
J’avais pris un verre de vin claret, plutôt pour la forme que par
besoin, et je ne voyais pas la nécessité
d’en ingurgiter un autre. Mais le pauvre garçon avait l’air si altéré, son
premier verre semblait avoir tant contribué à son bonheur, que je n’eus pas le
cœur de refuser. J’acceptai à condition que la seconde consommation serait encore
à mes frais. Il consentit à cet arrangement sans hésiter, et je crus même que
cela faisait très bien son affaire.
— Tu n’as pas peur que ton travail souffre de ton absence, et que ton
chef ne s’aperçoive que tu es sorti sans permission? dis-je en le regardant
humer son second verre.
— Bah! mon chef est au «Russell» à jouer sa partie de billard ! Il ne
sera pas au bureau avant midi et peut-être rien qu’après le «lunch».
— Et ton travail?
— Pour ça, par exemple, tu n’as pas besoin de te faire de bile. Mon travail
consiste à cataloguer, ou «indexer», une correspondance vieille de quarante
ans, et ça ne presse pas. On est quatre à faire ce travail et c’est moi qui en
fais le plus. Deux des autres employés sont en vacances depuis six mois ; le
troisième vient au bureau le matin, pour signer le livre de présence, deux ou
trois fois la semaine, mais... ne touche pas à son travail.
— Et il touche son salaire régulièrement?
— Beau dommage ! C’est le neveu du député ! Puis sa femme, qui est une
jolie personne, a l’oreille du ministre. Alors, tu comprends?...
— Et votre ministre, c’est?...
— L'honorable Sir Edgar, donc. Et tu sais qu’avec lui le jupon est
tout-puissant. La moitié de mes confrères de bureau doivent leur position aux
beaux yeux de leur femme. Et si Mandine voulait s’en donner la peine, je ne
prendrais pas grand temps à faire augmenter mon traitement!...
— Comment! tu ne t’abaisserais pas, ni elle j’espère, à user d’un tel
procédé?...
— Hé ! mon pauvre vieux, ce procédé est à la mode et il ne manque jamais
son effet. Si tu avais l’occasion, ou si tu te trouvais dans la nécessité de
faire l’antichambre chez le ministre, tu en verrais de belles! Ainsi, toi et
cinq ou six autres individus, des gens posés, sérieux, avec des raisons
peut-être graves et importantes, êtes là à attendre une entrevue avec le
ministre depuis une heure, deux heures. Une jolie fillette, ou une belle femme,
surgit tout-à-coup; elle envoie sa carte. Deux minutes après le messager vient
chercher la jeune fille ou la dame pour l’introduire chez Sir Edgar. Ce
messager revient ensuite vous annoncer gravement : « M. le ministre ne peut
vous recevoir aujourd’hui. Revenez un autre jour. » C’est comme ça que...
(pages 59-60)
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