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16 octobre 2015

Têtes fortes

Armand Roy, Têtes fortes, Montréal, Les éditions du Totem, 1935, 193 pages.

Insatisfait d’Albert Lévesque, son éditeur et ami, Albert Pelletier lance les éditions du Totem en 1933. Son entreprise ne durera que 5 ans (1933-1938) et sera surtout active entre 1933 et 1936 (10 titres sur les 12 que Totem publiera). En 1935 parait Têtes fortes, roman susceptible de froisser les susceptibilités frileuses, entre autres et surtout à cause du dénouement. En tant qu’éditeur indépendant, Pelletier entend bien tenir la dragée haute au clergé, en dépit de « L’affaire Les demi-civilisés » survenue un an plus tôt.

Ce roman ressemble beaucoup aux Amours d’un communiste d’Henry Deyglun publié chez Lévesque deux ans plus tôt. Dans les deux, on lit une histoire d’amour sur fond de revendications sociopolitiques. Tout au plus, les communistes sont remplacés par les nationalistes, un parti qui agit aussi dans une certaine clandestinité. Si chez Deyglun, la morale était sauve, on ne peut pas en dire autant du roman de Roy.

Louis Clément est un industriel qui possède une métairie à Saint-Bruno, près de Saint-Pascal de Kamouraska. L’immense ferme est tenue par Thomas Chevrier, ses trois fils et quelques ouvriers. Pour les Clément, la métairie est surtout un lieu de villégiature.

Au retour d’Europe, Serge Clément, le fils de Louis, se rend dans la métairie. Il est accueilli comme un enfant prodigue par la famille du métayer, surtout par Madeleine, une jeune fille instruite qui n’a rien d’une paysanne et sa compagne de jeu quand ils étaient enfants. Madeleine l’aime en silence.

Malgré son père qui n’a que du mépris pour tout ce qui est intellectuel, Serge devient professeur à l’Université Laval et s’engage dans le parti nationaliste. Lors d’une réunion avec les amis bourgeois de sa famille, il rencontre une jeune femme mariée qui lui fait la cour. Elle le poursuit de ses avances. Cette fille finit par l’exaspérer et, du coup, il se rend compte qu’il est amoureux de Madeleine Chevrier. Pendant tout un été, les deux jeunes amoureux flirtent avant que Serge se décide à demander sa main.

La vie de Serge bascule du jour au lendemain à cause de son  engagement politique. Un journal de droite, d’obédience religieuse, se lance dans une campagne de salissage contre le parti nationaliste : il associe le nationalisme au bolchévisme, à l’anticléricalisme et le rend même responsable du meurtre de deux fonctionnaires commis par un déséquilibré. Serge perd sa place de professeur et, bientôt, reçoit une lettre de sa fiancée qui rompt les fiançailles, poussée par le curé de sa paroisse qui a relayé les calomnies du journal catholique. Complètement désabusé, Serge se jette dans les bras adultères de la femme mariée.


Tout au long du roman, Serge fait étalage de ses « hautes valeurs morales ». Ceci rend d’autant plus provocante la fin du roman : « Elle passa un bras autour du coup de Serge, l’attira davantage et ferma les paupières en posant sa bouche humide sur la sienne. Une ivresse chaude les parcourut. Serge demeura sans force, à sa merci. »

Roy décrit les Canadiens français comme un peuple manipulé par le clergé et les journalistes de droite. L’école et le syndicalisme ne semblent pas en mesure de faire contrepoids. Pourquoi les « têtes fortes »? C’est le surnom qu’on donne aux membres du parti nationaliste. Armand Roy, contrairement à Henry Deyglun, demeure assez vague sur les idées et les intentions réelles du parti nationaliste. Vise-t-on l’indépendance ou la sauvegarde de la langue française dans le cadre fédéral? Disons qu’au parti nationaliste, on discute surtout de stratégie. Bref, les idées politiques ne sont pas très intéressantes puisqu’on se contente d’énoncer quelques grands principes. Il s’agit de « préparer le relèvement national et la révolution sociale ». 


Extrait
Ils se turent un moment. Serge prit le visage de Madeleine dans ses mains et le couvrit de baisers. A ce moment, elle attira son compagnon à elle, le serra très fort comme si elle eût voulu s’identifier à lui. Mais Serge se défit doucement de son étreinte et se leva, les yeux hagards. Tout à sa passion de jeune fille inexpérimentée, Madeleine ne comprit pas, d’abord, le sens de ce geste brusque. Elle restait couchée sur le côté, les cheveux et les vêtements en désordre.
—  Allons, viens. Filons, dit Serge. Elle reprit ses sens et se rendit compte qu’elle venait d’échapper à un danger. Alors elle se leva à son tour et, en signe de remerciements sans doute, se jeta au cou de Serge.
— Non, laisse, fit-il. Sortons d’ici au plus tôt. De ses deux mains il écarta les branchages et, suivi de Madeleine qui butait sur les racines, il s’engagea dans le sentier. Il pressait le pas parce qu’il sentait que la fatalité de la nature les menaçait encore. Dans la chevelure des arbres, les rossignols jetaient des rires per- lés. Serge n’entendit, ne vit rien. Ils avaient franchi le bois d’un pas inégal et marchaient maintenant à la li- sière du champ. Madeleine était bouleversée.
— Serge, mon chéri, cria-t-elle. Il ne répondit pas. Elle courut un peu et, l’attrapant par la manche, l’arrêta:
— Pourquoi m’en veux-tu? demanda-t-elle, les larmes dans les yeux. Alors il se calma et parla doucement:
— Pauvre petite, je ne t’en veux pas, dit-il. Nous allions céder aux exigences de la nature. Nous sommes tous des malheureux!  (Pages 136-137)

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