7 octobre 2015

Les Amours d'un communiste

Henry  Deyglun, Les Amours d'un communiste, Montréal, Éditions Albert Lévesque, 1933, 186 p.

Au début des années 1930, en pleine Crise, un groupe de communistes, parachutés de la Russie, établit ses quartiers généraux  au nord de la rue Berri, à Montréal. Le groupe est dirigé par un certain Dostoïevsky. Comment celui-ci est-il arrivé à Montréal ? Comment a-t-il réussi à implanter son groupe ? On ne le saura pas. Ce qu’on apprend, c’est que le parti clandestin compte 10 000 sympathisants, dont 1000 sont prêts à passer à l’action. Ils ont même mis en place une stratégie pour s’emparer de la ville de Montréal quand le signal du Grand Jour leur sera donné. Par qui ? Par Moscou ?

Jean suit, avec une tension d’esprit toujours plus grande, la manœuvre, la tactique qui sera celle du Grand Jour.
Je répète, dit Dostoeivsky:
- Dès l’ordre reçu, les hommes, comme de paisibles promeneurs, gagnent leurs postes. Un furieux incendie éclate dans chaque quartier de la ville. Les pompiers accourent. La police vient rétablir l’ordre. Au même instant, les ponts sautent, les routes sont gardées, la ville est isolée de l’extérieur. L’Hôtel de Ville, les Postes, les Télégraphes, les Stations de T. S. F., les gares, la direction de la Police, les pouvoirs d’eau et de lumière, les journaux sont envahis.
Six mille hommes bien instruits peuvent se rendre maîtres de la ville en moins de deux heures. Mais il faut que les hommes soient bien disciplinés, l’action rapide, courte et précise. Vous avez instruit votre monde, chacun connaît son devoir; nous n’aurons plus qu’à agir lorsque l’heure X sonnera.
En attendant, nous faisons une propagande intense dans le prolétariat. Nous communiquons à la foule les scandales qui se produisent dans tous les gouvernements. Nos émissaires nous renseignent sur les faits et gestes des ministres. Nous leur faisons une énorme publicité lorsqu’ils commettent une erreur.
Soulevons l’opinion, réveillons les énergies. L’heure du Grand Jour est proche. Le capitalisme bat de l’aile. N’attendons pas qu’il se guérisse pour lui livrer bataille; attaquons-le durant son mal. (p. 73-74)

Bien entendu, il n’y aura pas de Grand Jour.

Le héros de l’histoire, c’est Jean Dufresne. Orphelin élevé par des gens très pauvres, ses idées face à l’inégalité sociale l’ont amené au parti. Au début, il travaille dans un restaurant, mais vu ses talents, sa prestance, sa beauté (il suffit qu’il entre dans une pièce pour que toutes les femmes tombent en pamoison), le parti manoeuvre pour le faire nommer secrétaire d’un ministre. En poste, il découvre que le ministre est un homme sincère, honnête, qui compatit à la misère des siens (n’oublions pas, c’est la crise). Il n’arrive tout simplement pas à trahir sa confiance et ne refile aucune information aux camarades. Un jour, le ministre lui présente sa fille Nicole. Jean Dufresne, qui avait repoussé l’amour au nom de sa cause, a le coup de foudre. Au même moment, une ancienne communiste dénonce le groupe. On les enferme les têtes dirigeantes dans le « Camp des réprouvés de Beloeil ». Laissés à eux-mêmes, on espère que le groupe implosera, ce qui semble se produire. Entre-temps, Nicole  convainc son père (Nicole est sa seule famille, sa femme étant décédée) de quitter la politique d’ici un an et d’accepter comme gendre Jean le communiste, sûre que l’amour va lui remettre les idées en place. L’épilogue lui donne raison. Trois ans ont passé, Nicole et Jean sont mariés et habitent Westmount. Ce dernier est même à la tête d’un grand journal : « Il avait renoncé à toutes ses idées politiques. C’était un modéré en tout, presque un sage. »


Le roman a peu de qualités littéraires. La composition est indéfendable (le complot russe, … le retournement final) et les personnages ne dialoguent pas, ils exposent longuement leurs idées. Pourtant, ces mêmes idées peuvent avoir un certain intérêt : les liens entre la Crise et la montée d’un groupe de gauche, entre la Crise et le capitalisme, entre la Crise et le communisme, entre le communisme et la religion catholique. On saisit une certaine image de la gauche de l’époque. (Rappelons que pour juguler les effets de la Crise, les « autorités » proposaient le retour à la terre). Deyglun traite d’un sujet sensible dans le Québec frileux de l’époque, mais il sait ménager la chèvre et le chou : on perçoit une certaine sympathie pour les idées de gauche, surtout quand elles sont compatibles avec le message évangélique (l’amour du prochain, la compassion, la justice).

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