Nora Harvey-Jellie, Le Merle dans
le cerisier, Montréal, Beauchemin, 1934, 72 p.
Chose rare, ce recueil contient
une introduction et une conclusion. Voici l’introduction : « Le vieux
merle, en sifflant, s’est trompé de mesure; / Le pinson, dans sa phrase, a
commis une erreur; / Et moi j’ai négligé la classique césure, / Je ne sais que
chanter ce que j’ai sur le cœur. » Début classique des recueils de poésie
du premier tiers du XXe siècle : on s’excuse en entrant.
Le chant (et la musique) est à la
fois le thème fort du recueil et la mesure du style de l’auteure, surtout dans
les premiers poèmes, beaucoup plus légers. Les phalènes, les
éphémères voisinent les oiseaux et les fleurs. Violoneux, ménestrel, harpiste
se succèdent pour faire chanter la nature : « Je suis le poète
amoureux, / Et je chante dans la rosée / De fruits, de fleurs et de ciel bleu…
»
Dans ces esquisses riantes vont
apparaître assez rapidement des notes discordantes : il y a cette première
neige qui « couvre[s] d’un manteau les mystères nocturnes, / La ruelle
infectée et le ruisseau fangeux, / Le pauvre toit croulant, le château
taciturne / Et la maison du vice ainsi que l’Hôtel-Dieu ». Apparaissent aussi
la violence des hommes (voir l’extrait) et celle de la nature. En plus,
l’attaque funeste du Temps menace de tout dissoudre, à commencer par
l’amour : « Souvenir lumineux, unique au sein des jours / Lentement
défilés en un morne cortège, / Mêlant sa chaude larme à l’idylle d’amour / Que
le temps désagrège! » Les œuvres d’art, même quand elles représentent les
dieux, « doivent mourir un jour! », à moins que, comme les
gargouilles de Notre-Dame, elles subsistent comme objets de dérision :
« Le fleuve houleux du temps coule sans vous atteindre / De son pouvoir de
destruction. / Vous êtes condamnés à durer, et à feindre / La gaité ou la
dérision. »
Le recueil se termine sur une
dissonance (titre du dernier poème) : « Ma pensée évasive est un joyau perfide,
/ Tel qu’on en voit briller au fond d’un clair bassin. / Quand on l’a retiré de
l’onde qui se ride, / C’est un caillou qu’on tient dans le creux de la main. » Sa
pensée est devenue un caillou que l’on tient dans la main. Pour en faire quoi?
Il
y a un peu de tout dans le recueil, de la légèreté, du sérieux, de la
fantaisie, du classicisme et même un peu d’humour : « Ma vieille pipe
culottée / Au noir fourneau, / Que de confidences soufflées / Dans ton
tuyau. »
D’un
point de vue formel, la poète use souvent des formes fixes (rondeau, triolet,
sonnet, etc.).
Le Petit Frère
(Mort au champ
d'honneur)
II était officier, il avait vingt-trois ans ;
Beaux cheveux blonds, yeux bleus, un sourire d'enfant.
Il était si content d'endosser l'uniforme !
La guerre était pour lui une aventure énorme.
Lui et ses
compagnons insultaient l'ennemi ;
A la mort embusquée ils jetaient le défi !
C'était pour le Drapeau, pour l'honneur de la France
Que ces enfants partaient avec insouciance.
Ceux qui sont revenus, — ils n'étaient pas nombreux —
En ont gardé toujours
l'horreur au fond des yeux.
Il y a tant d'enfants qui sont morts à la guerre,
Là-bas !
Mais lui, c'est différent ; c'était le petit frère...
Voilà !
Il était musicien; il écrivait des vers,
L'esprit tout embué de rêves, inexpert !
C'était l'enfant choyé d'une grande famille,
Un fils venu enfin, après nombreuses filles ;
Tout petit on
l'avait bercé entre ses bras !
Il est mort en héros, le front troué d'éclats,
A l'instant, sans souffrir, a dit le capitaine :
(Le saura-t-on jamais ! Tourment de penser vaine.)
Quand elle apprit sa mort, la mère n'a rien dit ;
Elle a beaucoup pleuré, puis elle est morte aussi.
Il y a tant d'enfants qui sont morts à la guerre,
Là-bas!
Mais lui, c'est différent; c'était le petit frère...
Mais lui, c'est différent; c'était le petit frère...
Voilà! (p. 53-54)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire