Moïsette Olier, Cha8inigane,
Trois-Rivières, les Éditions du Bien public, 1934, 66 p. (La couverture
reproduit un bois gravé de Rodolphe Duguay)
Dans des textes, le plus souvent
poétiques, Moïsette Olier raconte de façon chronologique l’histoire de Cha8inigane (prononciation Autochtones), du temps préhistorique jusqu’à l’ère industrielle.
Aux confins de
plusieurs rivières, Shawinigan était une halte appréciée des
« Attikamèques » : « Sans rêves et sans cruauté, jouissant en sages de leurs bonheurs paisibles, de leurs chasses abondantes et de leurs habitudes séculaires, ces bons Indiens au cœur prudent n’aimaient pas l’aventure. » Ils vont s’étonner de croiser des « visages
pâles » en quête de fourrures : « Les hommes nouveaux se disent
des frères, eux aussi, et ils sont venus dans des canots très grands, plantés
d’arbres et tout habillés comme des matins de brume… » Avec les marchands viendront les missionnaires, dont le père Buteux qui repoussera plus au nord la connaissance européenne du
Saint-Maurice. Viendront aussi les coureurs des bois, les guerres iroquoises.
Le temps passera, la région
finira par se pacifier et sera prise d’assaut par les bûcherons. L’immense chute
constituera longtemps un obstacle sur la route du Nord. Il faudra attendre la
fin du XIXe siècle et un Américain qui entreverra la richesse de cette chute.
Il dressera un barrage qui brisera à jamais le paysage (« l’assassinat des
Chutes »), ce qui donnera naissance à une petite ville industrielle :
« Et c’est ainsi que dans le secret des banques et des ministères, l’assassinat
des Chutes fut décrété et l’avènement de la lumière promulgué. // Le récital
des Grandes orgues s’achevait sur un thème de souffrance et d’immortalité. »
Olier se plaît à nommer toutes
les industries qui se sont implantées : l’industrie de l’aluminium, la
Belgo (« formidable mangeuse de forêts »), la Compagnie de carbure,
la Canadian industries et des filatures…
Elle n’oublie pas de
mentionner les multiples clochers qui se dressent dans la ville devenue
prospère : « Paysage de grandes orgues muettes... remplacées par les
hymnes des églises, par la musique des clochers, par le cœur émouvant de vingt
mille voix chrétiennes ! » Elle nous propose même un tour de ville : nous
sont présentés les « six paroisses », « l’église, l’école, le couvent », «
Cascade Inc. », les deux gares et surtout la «cinquième rue » :
« c’est elle qui habille la ville » avec ses vitrines, ses étalages,
son cinéma, l’édifice municipal, la place du marché, etc.
Extrait 1
Sous la chaude lumière d'un matin d'été, alors que les
Grandes Orgues glissaient des rythmes mineurs de leur sonate à la nuit aux
rythmes éclatants d'un prélude au soleil, les dompteurs de chutes envahirent la
solitude mélodieuse et parfumée. […]
Sans un frémissement devant cette marée de splendeurs
dont ils devaient briser les élans, sans une émotion d'interrompre cet obsédant
concert qui débordait de sa cage de pierre et s'élançait dans la clarté du jour
en un vol sonore, ils se plongèrent dans leur hostile labeur.
Soumis à la dynamite, des rochers immuables rugissent et
oscillent. De rapides fêlures croisent leurs veines noires dans la montagne
brutalisée. Les mitrailleuses fouillent le granit qui éclate, crépite, bondit
dans une fumée douloureuse et acre, crible les échos et retombe émietté sur le
sol. (p. 47)
Extrait 2
Shawinigan : clair de lune de la Mauricie.
Paysage de lumière et de clochers, sous la balustrade
bleue d'un horizon circulaire qu'ouvragent des montagnes.
C'est elle qui allume les lampes de son pays, du même
geste secret dont la nuit allume les étoiles au firmament.
Jaillie d'une étincelle électrique, elle s'est épanouie
brusquement, comme la radieuse gerbe d'un feu d'artifice.
Axe de l'énergie canadienne.
Essor de collines... Le cortège allègre des maisons suit
d'un coeur léger toutes les pentes.
On la découvre des hauteurs, et le soir, au fond de sa
vallée de silence, elle rutile comme un ciel d'Orient prodigieusement éclairé.
Deux bras clairs, arrondis en une attitude d'humaine
étreinte, les deux bras du Saint-Maurice, entourent la cité et lui font une
ceinture aux anneaux d'argent.
Symbole de perpétuité : tous ses édifices, ses maisons de
bois, ses maisons de pierre, ses temples, ont le roc pour assises. » (p. 56-57)
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