Émile Asselin, La Petite Aurore, Montréal, A. C. C. I.
film, 1952, 286 pages.
Émile Asselin est un comédien qui
a joué à plusieurs reprises Aurore au théâtre. C’est à la demande de J.
M. de Sève, qui avait acheté les droits sur l’histoire, qu’il a écrit ce roman.
Comme le texte dramatique était très mince, Asselin a reçu le mandat de le développer
afin qu’on puisse en faire un film. Asselin va aussi écrire le scénario que Jean-Yves
Bigras tourne en 1952, film qui a obtenu un grand succès (750 000
entrées).
L’histoire est tellement connue
que je vais la résumer à gros traits. Comme on s’en doute, les noms des personnages
et des lieux ont été changés. L’action ne se passe plus à Fortierville mais à
Normandville, et les Gagnon sont devenus des Andois.
Théodore Andois a épousé en deuxièmes
noces Marie-Louise, la servante qui s’est installée chez lui quand sa première
femme est tombée malade. Ils avaient chacun un enfant : Maurice et
Aurore.
Après la mort de sa mère, Aurore est allée habiter chez sa tante Malvina. Elle n’aime pas sa belle-mère qu’elle appelle madame. Elle s’est rendu compte que cette dernière a précipité la fin de sa mère. Il faudra que le curé insiste pour qu'elle revienne chez elle.
Après la mort de sa mère, Aurore est allée habiter chez sa tante Malvina. Elle n’aime pas sa belle-mère qu’elle appelle madame. Elle s’est rendu compte que cette dernière a précipité la fin de sa mère. Il faudra que le curé insiste pour qu'elle revienne chez elle.
Aurore est une petite fille parfaite.
Son père voit en elle une réplique de sa première femme, ce qui irrite la
belle-mère. Cette dernière n’a qu’une idée en tête : la détruire. Mais la
jalousie n’explique pas complètement le caractère cruel de cette femme. Asselin
nous fait comprendre qu’elle jouit du plaisir sadique qu’elle ressent à
maltraiter Aurore. Ce qu’elle veut détruire, c’est la beauté, la féminité de
cette petite fille. « Privée de sa plus grande source de jouissance, elle
couvait sa belle-fille d'un regard haineux, attendant des opportunités de
recommencer ses sauvageries. Elle épiait chacun des mouvements de la petite et
le levain de la jalousie fermentait de plus en plus dans son cœur. Les marques
physiques de la féminité de l'enfant provoquaient des sursauts de colère sourde
en cette femme au cerveau désaxé par l'emprise passionnelle des transes
envieuses. Aussi ne perdait-elle aucune occasion de meurtrir la fillette aux
endroits dont la vue attirait la rancune jalouse. Il lui revenait toujours à
l'esprit que le père avait trouvé sa fille belle, et elle continuait à ravager
cette beauté. » On le dit à mots à
peine couverts, mais elle s’attaque à ses organes génitaux : «Aurore
n'avait pas le dos tourné que la marâtre retirait soudain le tisonnier du
brasier. Il était rouge. Le glissant sous la jupe de l'enfant, elle se mit à le
lui promener entre les cuisses. La fillette poussa un hurlement de douleur et
voulut s'enfuir mais elle tomba de faiblesse. Marie-Louise la rejoignit et posa
de nouveau le tisonnier sur la chair. Aurore agitait les jambes et roulait sur
le plancher pour échapper au supplice. Dans l'agitation, sa robe resta un
moment levée et la belle-mère se mit à lui griller le ventre… » Elle
finit même par considérer que c’est l’enfant en son sein (elle devient encore
plus cruelle à partir du moment où elle est enceinte) qui exige les souffrances
et la mort d’Aurore (lire l’extrait). Voilà pour les motivations qui expliquent
le comportement.
Les atrocités que subit la jeune
Aurore sont tellement extrêmes que la société québécoise a souvent préféré les
traiter sous le mode de l’humour. Tel n’est pas le cas dans le roman.
Contentons-nous de les énumérer : Marie-Louise fait en sorte qu’Aurore ait
des poux pour lui couper sa belle chevelure; elle découvre en la frisant qu’il
est si facile et agréable de lui brûler le cuir chevelu; elle manipule tant et
si bien son mari qu’elle l’incite à deux reprises à battre sa fille avec beaucoup
de violence (lanières et manches de hache); pur plaisir sadique, elle ajoute du
savon liquide dans sa boisson gazeuse; elle la force à manger des sandwiches
au savon; elle lui cogne la tête contre les murs; elle lui administre des coups de coude dans le bas du
ventre; elle lui brûle au petit tisonnier les cuisses et le bas du ventre; elle
lui plaque les mains sur le poêle; elle lui fait débouler l’escalier.
La fin de l’histoire est semblable
à ce qui s’est passé dans la réalité : Marie-Louise est condamnée à la
pendaison, mais sa peine est aussitôt commuée en prison à vie parce qu’elle est
enceinte. Elle aurait donné naissance à deux enfants monstrueux et aurait passé
le reste de sa vie (morte à 40 ans d’un cancer) dans un asile d’aliénés. Sa fin
donne dans le mystique : Aurore, sous les traits d’un
ange, vient la chercher. Quant à Théodore, condamné à 10 ans de travaux forcés,
il serait revenu dans son village au bout de cinq ans et aurait refait sa vie.
On aura beau dire et en rire, la
véritable question qui nous vient à la lecture de ce mélo est la suivante: comment expliquer que cette histoire,
d’une violence inégalée dans la littérature québécoise, ait pu faire courir les foules pendant
plus de trente ans? Qu'est-ce que le Canadien français pouvait bien
trouver dans ce drame? En quoi ce trio (la mère marâtre, le mari bafoué,
l’enfant martyr) pouvait-il le rejoindre? Jacques Ferron est un des premiers à
avoir posé la question en ces termes. «Quelle est la signification de ce
mélodrame ? On préférerait qu'il n'y en ait pas. Aurore l'enfant martyre, quelle horreur, quelle insanité! Là-dessus
nos beaux esprits furent toujours unanimes. Pourtant c'est une œuvre précieuse.
Un aveu, bien sûr: la mission du théâtre en ce pays, à cause de la fausseté
régnante, est de faire remonter au grand jour, par une sorte de psychanalyse,
l'âme refoulée du peuple. Un aveu de culpabilité collective. La marâtre,
c’était tout simplement la bonne terre du Québec jusque-là maternelle, encore
débordante de vitalité mais trahie au cœur même de sa génération, qui ne
pouvait plus prendre soin de ses enfants et les voyait s’exiler, se perdre par
centaines de milliers. » Je serais plus porté à y voir l’aliénation d’un
peuple qui s’identifie aux victimes et qui se complaît dans leurs souffrances. On peut penser à Sainte-Donalda Laloge immolée sur l'autel de l'argent. Ou encore à tous ces orphelins qui peuplent la littérature québécoise des années 1930 à
1950. D’ailleurs, c’est l’un d’eux, Tit-Coq, qui prendra la relève d’Aurore
dans les années 50.
Extrait
Si cette femme s'était trouvée
sous observation, on aurait certainement reconnu en elle un cas pathologique
tout à fait exceptionnel. Outre la croissance normale de la grossesse, le travail
de gestation qui s'opérait en elle ne l'incommodait pas à la manière des autres
mères. Elle ne ressentait aucun goût particulier, aucun caprice inaccoutumé,
aucune fantaisie spéciale. Seul, le besoin de cruauté grandissait en elle,
devenait plus violent, plus impérieux, comme s'il évoluait au même rythme que
le développement de l'enfant qu'elle portait en son sein. C'est pourquoi elle
s'ingéniait constamment à trouver d'autres tortures, toujours plus cruelles,
pour que le martyre atteigne son point culminant en même temps que l'embryon
toucherait à sa maturité. Elle en était arrivée au point que l'enfant en
formation semblait demander ces explosions de fureur, les ordonner même. Quand
elle les espaçait trop, une douleur lancinante lui tenaillait les entrailles et
elle ne trouvait d'apaisement que dans la volupté de regarder sa victime se
tordre sous les morsures de la souffrance. Cet anormal et sadique appétit,
devenu vice impitoyable, aux suggestions infâmes, aux commandements
irrésistibles, cet appétit accaparait aussi son cerveau, le maîtrisait et le
dirigeait implacablement. Lorsque la crise montait dans la chair, l'obsession
s'emparait de l'esprit; rien d'autre ne comptait plus et la volonté restait
sans force comme sans action. Dans la détente, elle retrouvait toute sa
lucidité, mais cette lucidité totalement désaxée, de même qu'un rayon détourné
de sa ligne par une lentille aux angles réfractaires, n'éclairait plus qu'une pensée, toujours la même: préparer d'autres voluptés.
Aussi la marâtre se montrait-elle, à certains égards, d'une prudence extrême.
D'ailleurs, elle demeurait tout à fait normale dans l'accomplissement des actes
quotidiens de la vie courante. L'espèce de folie intermittente dont elle
souffrait ne pouvait apparaître aux yeux de quiconque la voyait agir ou
l'écoutait parler aux heures où les crises la laissaient en repos. Il lui
devenait donc assez facile de cacher son jeu. Et son plus grand effort
consistait à maîtriser les excès de sa passion en présence des personnes à
craindre. Elle tenait à se satisfaire dans l'isolement et la sécurité. »
(p. 154-155)
Aurore l’enfant martyr sur Laurentiana
La Petite Aurore d’Émile Asselin
Aurore l’enfant martyre de Léon Petitjean et Henri Rollin
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