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21 novembre 2011

Nuages sur les brûlés

Hervé Biron, Nuages sur les brûlés, Montréal, Les Éditions Fernand Pilon, 1948. 207 p.

Lorsque surgit la Crise, le gouvernement décide d’ouvrir de nouveaux territoires à l’agriculture en Abitibi et au Témiscamingue. Certains ouvriers en chômage mais aussi des agriculteurs désireux d’améliorer leur sort se lancent dans l’aventure. Accompagnés d’un curé et soutenus par des subventions pendant les premières années, les colons souvent sans expérience ont vite fait de découvrir la difficulté de la tâche qui les attend. Largués en pleine forêt vierge (dans le cas présent, dans un brûlé), il leur faut d’abord abattre des arbres pour tracer une route. Puis, ils doivent dégager un espace afin d’ériger un campement temporaire, soit une cabane en bois ronds. Quand celle-ci tient debout, ils font venir femme et enfants. Au début, les travailleurs travaillent ensemble. Au début, les travailleurs travaillent ensemble. Commence alors le dur travail de défrichement : il faut couper les arbres, essoucher le terrain et faire brûler les restes, ce qui doit leur permettre d’ensemencer un petit bout de terrain lors de la deuxième année. Et bien entendu, tout en travaillant pour soi, il faut prévoir l’église-école de monsieur le curé. L’hiver, pour gagner de l'argent, les hommes montent dans les chantiers. Il va sans dire que certains plient bagage assez vite.

C’est ce que raconte Hervé Biron dans Nuages sur les brûlés. Il n’y a pas vraiment d’action romanesque dans les cent premières pages. Souvent l’auteur se contente d’une vue d’ensemble, ce qui rapproche son roman du documentaire. On présente quelques familles sans s’arrêter à une en particulier. Dans les 100 pages suivantes, on a droit à une action dramatique. Deux familles ressortent du lot, surtout que leurs enfants se fréquentent : les Hamelin, une famille exemplaire, et les Lacourse, une famille problématique à cause du père alcoolique. Armande Hamelin est amoureuse de Freddie Lacourse. Tout irait pour le mieux sans le père Lacourse qui a contacté d’énormes dettes. Quand son fils revient du chantier, il saisit ses gages et va les dépenser à Rouyn.

Freddie est obligé de travailler pour un usurier qui menace de faire emprisonner son père. Il retarde ainsi son installation sur sa propre terre et son mariage. Il bûche illégalement du bois sur un lot qui appartient à des Anglais au profit de l’usurier. La police l’arrête et il passe trois mois en prison. Il perd son Armande. Le temps passe, il sort de prison, travaille un temps à Rouyn, mais finit par rentrer au bercail. Armande est toujours là, toujours amoureuse de lui, même si entre-temps elle est sortie avec un autre gars. Elle lui pardonne, ayant compris qu’il n’avait fraudé la loi que pour sauver son père. Ils s’épousent. Le roman se termine quand Armande met au monde des jumeaux, une fille et un garçon.

D’autres auteurs ont abordé le même sujet : Damase Potvin dans Le Français, Claude-Henri Grignon dans « Réconciliation », une nouvelle du Déserteur,  Marie Le Franc dans La rivière solitaire, Marie-Victorin dans « Le colon Lévesque », une nouvelle de Récits laurentiens, et Félix-Antoine Savard dans L’Abatis. J’avoue ma préférence pour le roman de Marie Le Franc.

Extrait
L'aventure avait commencé un matin de juin, au centre du canton Motltbeillard. Il n'existait encore qu'un chemin de pénétration. À un mille de distance l'un de l'autre des rangs tracés par les arpenteurs au moyen de marques sur les arbres - des trails - indiquaient le site des routes futures.
C'est à l'une de ces intersections qu'ils descendirent. En tout, une vingtaine d'hommes et de jeunes gens. Des vêlements d'étoffe, des bottes à épaisses semelles et des casquettes de drap gris leur conféraient une allure de rudes bûcherons. Mais la gaucherie des citadins se décelait bien vite en eux. Le chômage, la misère, les humiliations leur courbaient le dos. Leurs mains décharnées semblaient avoir désappris le maniement des outils.
La désolation des lieux frappa leur imagination. Pas un arbre que les feux auraient laissé intact. A perte de vue, des brûlés. Des bouleaux sans branches et sans têtes, comme des colonnes de marbre torses. Des épinettes noires calcinées. Des massifs d'aulnes. Des mares à grenouilles.
— Nous v'ia dans un beau trou ! cria Saul Gendron, en  arrachant de  rage  sa casquette  pour  se gratter le sommet du front. Ça prend des enfants de chiennes pour nous amener icitte !
— Attention à ton pack-sack ! lança Oscar Langlois.
La lourde besace de toile venait de glisser dans un lit de boue. Gendron hurla un chapelet de jurons. Son gros ventre frémissait d'indignation.
— Faut pas s'en  faire,  dit Ovide  Hamelin.  On n'est pas venu icitte pour danser des sets et chanter des chansons  à répondre.  C'est pour faire  de la terre.  Si les  arbres sont à moitié brûlés, tant mieux !   Ça  sera  moins  dur  à  bûcher.   J'aimerais autant les voir tous à terre, et les souches pourries, par-dessus le marché.  Préfères-tu, Saul, aller quêter ton piton de chômeur ?
— On peut pas, batême,  sortir  d'un enfer  sans sauter dans un autre ?
— M'est avis qu'on va en sortir de celui-là, reprit Hamelin. Donne-moué queuques années, moue pis mes gars. J'te dis qu'on va la néteyer, la vingt-gueuses de terre !
Cet accès d'optimisme étonna tous les auditeurs. Quelques-uns baissèrent de nouveau la tête; d'autres s'approchèrent d'Hamelin pour continuer la conversation.
Un beau type d'homme, Ovide Hamelin. D'une taille moyenne, le visage profondément labouré par les rides, les yeux vifs comme des tisons, les membres souples, l'activité l'empêchait de tenir en place. Il mâchait sans cesse, parlait vite, par saccades, et déployait largement les bras quand il exposait ses idées. (Pages 14-15)

En 1958, le roman a inspiré un film à Bernard Devlin, produit par l’ONF : Les Brûlés

Hervé Biron sur Laurentiana

11 novembre 2011

Contes de chez nous

Rodolphe Girard, Contes de chez nous, Montréal, s.n., 1912, 242 pages.

Le recueil, le dernier livre de Girard, compte 12 récits qui privilégient la fantaisie au drame. Le plus souvent, l’auteur décrit des milieux aisés. Le sentimentalisme déborde, les histoires amoureuses sont dignes des contes de fées. Le style est trop fleuri, les fins sont souvent précipitées, et les dialogues, artificiels.  Quant à moi, le récit le plus intéressant est « L'auto de la famille Robichon ». On y découvre comment l’automobile pouvait être désirée et haïe en même temps. Elle perturbait la vie des campagnes, faisait peur aux bêtes, filait à toute allure, risquant de frapper un humain ou un enfant. « La guignolée » est présentée comme un souvenir d’enfance. « Dialogue sur les morts » et « Le doigt de la femme » sont de courtes pièces de théâtre (de courtes scènes de boulevard).

Le castor de mon oncle Césaire
Césaire chérissait un vieux chapeau en castor qui aurait appartenu à Chénier. À sa mort, il désire qu’on l’enterre avec lui. Son ami, chargé de ses dernières volontés, décide de garder le chapeau. Plein de remords, il se met à boire, sa santé périclite. Finalement il dépose le chapeau sur la tombe de son ami et reprend une vie normale.

Un enlèvement au dix-septième siècle
L’histoire  dure une quinzaine d’années et se passe à Trois-Rivières. Le petit Jean, cinq ans, fils  du comte de Champflour, a été enlevé par Aontarisati et est retenu par les Agniehronnons (Iroquois). Pour lui éviter la mort, ce dernier décide de l’adopter comme esclave, mais il l’élève comme son fils. 15 ans passent et Jean, devenu Andioura, est devenu un puissant guerrier. Pourtant, une tristesse lui vient à tout propos. Dans une expédition contre Trois-Rivières, il capture son père. Il ne peut se résoudre à le livrer au bûcher. Finalement, dans une finale invraisemblable, Aontarisati lui révèle la vérité et tout le monde se réconcilie.

Le Monsieur qui sait le bridge
Charles prend un train et descend incognito dans un petit village. Le soir, trois personnes lui demandent de se joindre à elles pour jouer au bridge. Comme il se montre bon joueur, les invitations se succèdent, si bien qu’il n’a plus de temps à lui et qu’il doit fuir.

Françoise la blonde
Paspébiac. Sur son lit de mort, la mère d’Abel lui a demandé de prendre soin de son petit frère, surtout de le faire instruire. À force de sacrifices, il réussit à tenir promesse : son frère est médecin. Il peut maintenant penser à lui et épouser la belle Françoise. Or son frère est aussi amoureux d’elle et lui demande d’intervenir en sa faveur. Abel s’y résout en souvenir de sa mère.

Noé Brunel et Narcisse Bigué
Une chicane entre Noé et Narcisse compromet le mariage de leurs enfants. Il faudra que la fille de Narcisse, un entêté, tombe malade pour qu’il passe par-dessus son orgueil.

L'auto de la famille Robichon
Les membres de la famille Robichon ont fait beaucoup de sacrifices afin d’acheter une auto. Lors d’une ballade, celle-ci tombe en panne. Personne ne veut les aider tant on déteste les autos. Finalement, c’est en charmant une jeune fille que le fils Robichon trouvera un bon samaritain. Bien entendu, cette jeune fille deviendra sa femme.

La fille du pochard
« Marius Ducharme se rendait à pied chez un ministre où il devait diner. » Sur son chemin, il butte sur un ivrogne qu’il décide de ramener chez lui. Dans le logis minable, il découvre trois orphelins, dont une magnifique jeune fille qui s’occupe de ses deux frères. Comme c’est le soir de Noël, il va leur acheter des cadeaux, de la victuaille et du charbon. Il a même une bague pour la jeune fille.

Le glas
Rosalyne  s’est éprise de Julien, un jeune homme original. Toinette, dont le « but unique de son existence de villageoise [est] de s’accaparer les hommages de la jeunesse à vingt milles à la ronde », décide de le lui enlever. La jeune fille en mourra et Julien ira se pendre à la corde qui sonne la cloche de l’église.

La guignolée
Dans l’enfance du narrateur, on représentait la Guignolée comme un monstre qui mangeait les petits enfants qui n’étaient pas couchés avant huit heures la veille du jour de l’An.

Le fer à cheval de ma tante Joséphine
Joséphine, 24 ans, désespère de trouver un mari (à 25 ans, on devient vieille fille!). Quand elle voit qu’un fer à cheval trouvé ne lui porte pas chance, elle le lance par la fenêtre. Le plaignant deviendra son mari.

Dialogue sur les morts
Une femme, veuve depuis six mois, est outrée qu’un ami d’enfance du défunt la courtise.

Le doigt de la femme
Roland, un célibataire convaincu, a été mis à la porte par son richissime père parce qu’il ne voulait pas embrasser la carrière de médecin comme son père et tous ses ancêtres l’ont fait. Pour les beaux yeux d’une jeune fille, il changera d’idée, et sur son célibat et sur la médecine. En voici un extrait, on ne peut plus sexiste:


Roland (levant les épaules). — Aimer! encore un mot sonore et vide de sens. Comment veux-tu que je m'éprenne de celle-ci ou de celle-là. Les jeunes filles, tu t'adresses bien si tu veux faire leur panégyrique. Des êtres frivoles dont le cœur n'est qu'un caméléon et la tête qu'une girouette grincheuse; des êtres qui ne savent que parler jupons, chapeaux, corsages, bridges, réceptions, bals et défauts, des êtres qui changent d'amour septante fois sept fois; des êtres bouffis de prétention, de jalousie et de susceptibilité; des parvenues se réclamant toutes d'un high-life qui n'existe pas, des êtres dont l'idéal de la distinction, de l'esprit et de l'intelligence est un beau valseur . . . des êtres enfin qui s 'habillent, se déshabillent et babillent ... Oh ! on les connaît! Et voilà, toi, ce que tu me propose candidement comme stimulant à l'étude de cette maudite médecine !
Femme ou médecine, médecine ou femme, pour moi, la première qui sort du sac ne vaut pas mieux que celle qui reste au fond.
Paul. — Donne-moi une allumette. (Il allume une cigarette et en donne une à son ami). Pour déblatérer ainsi contre nos Canadiennes, il ne faut pas que tu les connaisses. Non Roland, détrompe-toi. Nous avons encore, et en très grand nombre. Dieu merci ! de bonnes et charmantes jeunes filles, dont le cœur fidèle ne demande qu'à chérir un mari qu'elles entoureront de soins affectueux et de prévenances caressantes ; dont la chaîne ne sera pas de plomb mais deux beaux bras blancs, lesquels, sois-en sûr, se dénoueront de temps à autre, pour donner à leur seigneur et maître un peu d'air et de liberté.
Si la vertu de certaines chancelle, faisons un silence et pardonnons-leur généreusement; elles ont trop ou mal aimé. Mais la forte majorité, n'en doute pas, est foncièrement honnête, et quant à leur esprit, halte-là, nombre d'entre elles en ont plus dans l'ongle de leur petit doigt que nous dans nos grosses têtes folles.
Roland. — Pour éloquent qu'il soit ton plaidoyer ne peut me convaincre. Entends-moi bien, jamais je ne me marierai, jamais je ne serai médecin. C'est mon dernier mot. Et si tu veux que nous soyons amis comme par le passé, restons-en là.


Rodolphe Girard sur Laurentiana

7 novembre 2011

Rédemption

Rodolphe Girard, Rédemption, Montréal, Imprimerie Guertin, 1906, 188 pages. (Illustrations hors textes par Georges Delfosse)

Montréal, 1892. Réginald Olivier, parce qu’il a vu ses défunts parents se déchirer, a décidé qu’il ne se marierait jamais. Il est riche, bien éduqué, et plusieurs mères essaient de pousser leur fille dans ses bras. Avec délicatesse, il repousse toutes les avances. Lors d’une soirée, il rencontre un jeune femme : Claire Dumont. Elle est très attirée par lui et ne s’en cache pas. Lui aussi ressent de l’attirance pour elle. Par peur de succomber, il décide de fuir. Il prend un bateau qui l’amène en Gaspésie et, parce que le paysage lui plait, il débarque à Paspébiac pour quelques jours. Ses plans changent lors de la visite de l’église. Il entend une organiste qui joue avec une telle finesse qu’il en est bouleversé. Et il découvre que l’organiste est une jeune fille ravissante : « Enveloppée dans un rayon de soleil qui filtrait à travers une des grandes fenêtres ceintrées de même qu'une sainte nimbée d'or, une jeune fille était assise au petit orgue de l'église. La figure tournée à demi présentait le plus pur profil qu'il fût donné à l'homme de voir : la ligne légèrement aquilinée du nez, la bouche orgueilleusement arquée, le menton ni carré, ni rond, énergique et doux. Encadrant son front en une masse opulente d'or rouge, d'un de ces rouges étranges comme les charbons à moitié consumés de l'âtre devant lequel nous rêvons les interminables soirs d'hiver, — sa chevelure se partageait sur ses épaules en deux longues et lourdes tresses. Son teint avait la blancheur éclatante des rousses, légèrement hâlée par le soleil de la mer. Ces traits reflétaient la candeur et la fierté, la froideur et la passion, l'enfant et la femme. »


Il n’a plus qu’un désir : rencontrer cette jeune fille. Le hasard fait bien les choses. Désireux d’aller en mer, il demande à deux vieillards de l’y emmener. Le matin très tôt, sur le rivage, il retrouve son « ange de beauté ». Elle est la petite-fille de Johnny Castilloux, un vieux pêcheur de 75 ans. Elle s’appelle Romaine, et comme lui, elle est orpheline. Elle a été élevée par le curé et son grand-père avec qui elle vit.  Elle a étudié dans les meilleurs couvents, ce qui explique ses talents musicaux. Réginald va lui faire la cour même si tout lui dit de fuir. Vient un temps où les deux se déclarent leur amour.  Réginald traite la jeune fille comme une vierge qu’il ne faut surtout pas souiller. 

Toujours cette peur de la souillure va gâter la sauce. Un jour sur la plage, Romaine découvre qu’elle aussi est très attirée par le jeune homme, ce qui l’épouvante :

« Jusqu'à ce jour elle était restée pure, non par orgueil ni ostentation, pour la seule gloriole de s'entendre répéter qu'elle était honnête, mais par cette pudeur instinctive chez toute jeune fille qui n'a eu sous les yeux que des exemples de vertu et de décence.
Simple et droite, elle n'ignorait ni ses défauts ni ses mérites. Surtout elle était certaine d'être restée immaculée. Si loin que se reportât sa mémoire, elle était demeurée l'enfant blanche et d'or, qui sous le voile des premières communiantes, s'était approchée de la Cène.
Elle était honnête parce qu'elle était bonne: elle ne voulait pas offenser celui qui lui demanderait son coeur et son corps en lui passant au doigt l'anneau nuptial. Si trop souvent le mariage est une vulgaire transaction commerciale, un contrat d'achat et de vente, elle voulait que la marchandise qui serait achetée fût digne du prix que l'on en donnerait. »

Voulant éloigner cette pensée, elle décide d’aller en mer, même si l’orage se prépare. Son bateau est projeté sur le rivage et on la retrouve, morte, le lendemain. Brisé, Réginald assiste aux funérailles et rentre à Montréal le lendemain.

Il se sent responsable de la mort de Romaine et décide qu’il lui faut expier sa faute, se racheter, d’où le titre. Il découvre que Claire Dumont s’est complètement déshonorée. Après son départ, elle a eu des amants et maintenant elle se fait vivre par le propriétaire d’un journal. Pour honorer la mémoire de Romaine, Réginald pense qu’il doit sauver cette fille. Il la sort des griffes de l’hypocrite journaliste, lui loue un appartement, la fait vivre, la visite régulièrement. Il lui offre même de l’épouser malgré tout l’opprobre que sa conduite lui a mérité. Malheureusement ou heureusement, la jeune fille meurt. Que faire? Fatigué de l’hypocrisie qui règne dans le milieu bien-pensant de Montréal, il décide de retourner à Paspébiac. Le grand-père est mort de chagrin et sa maison est à vendre. Il l’achète.

On comprend mal que Rodolphe Girard, qui avait démontré avec Marie Calumet qu’il était capable d’humour ait pu écrire un roman aussi pathétique. L’intrigue est digne des romans harlequin, vous l’aurez compris. L’histoire, trop moralisatrice, baigne dans une religiosité malsaine. Les clichés du genre « Les bijoux sont la raison d’être de la femme » ou encore « L’homme passe mais la vertu demeure » ne sont pas rares. En plus, Girard sur-écrit son roman, ce dont les quelques passages que j’ai cités font sans doute la preuve. La description des personnages est tellement amplifiée qu’elle leur enlève toute crédibilité.

Rodolphe Girard - BAnQ
Je ne dérogerai pas à la règle que je me suis fixée et je vais relever quand même quelques points qui méritent  que Rédemption soit lu. C’est sans doute le roman le plus illustré que je connaisse. Plusieurs petites photos des lieux sont insérées dans le texte. En plus, il y a beaucoup d’illustrations hors-texte de Delfosse. Autre intérêt : Girard décrit le Paspébiac de la fin du XIXe siècle, et il essaie de donner une dimension sociohistorique à son roman. Il décrit la pêche à la morue telle qu’elle était pratiquée et l’importance de la compagnie Robin à cette époque. Dans les dialogues, il essaie de reproduire le langage local.

Extrait
La maison Robin, dans ses trente établissements des provinces de Québec, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau Brunswick, emploie cinq mille hommes. Celui de Paspébiac est le plus considérable. Il a ses menuisiers, ses charpentiers, ses tonneliers, ses forgerons-mécaniciens, sans compter, naturellement, les ouvriers employés à la préparation de la morue. Autrefois, la maison Robin possédait jusqu'à ses petits docks et ses chantiers pour la construction des barges et des goélettes de pêche.
Certains ont prétendu que, dans les années passées, aucun des employés n'avait la liberté de se marier. On n'a jamais défendu aux employés de prendre femme. Seulement, si l'un d'eux le faisait, il devait laisser sa femme dans l'ile de Jersey, si elle était de ce pays, ou l'y conduire si elle était canadienne.
En outre, on ne lui permettait d'aller la voir qu'à tous les dix-huit mois. C'était demi-mal quand la femme était une Jersiaise, mais les Canadiennes ne se sentaient pas aises d'aller vivre au milieu d'étrangers et de ne voir leurs maris qu'à des intervalles aussi éloignés. Conséquemment la maison Robin perdit beaucoup de ses meilleurs employés. Aujourd'hui, cet ordre sévère de la compagnie a été relâché, et les employés ont l'autorisation de se marier à leur gré, autorisation dont ils n'abusent pas, tant s'en faut.
La maison fut fondée en 1766 par un Jersiais du nom de Charles Robin. Durant un siècle, la maison fut connue sous la raison sociale de "Charles Robin & Cie". Deux banques de Jersey ayant fait faillite, la maison Robin dut fermer ses portes. Trois mois plus tard, quelques Jersiais s'associèrent et formèrent une société sous le nom de "Charles Robin Co., Limited". Enfin, il y a quelques années, cette maison s'est fondue avec celle de J. E. Collas, et depuis elle est connue sous la raison sociale de "The C. Robin Collas Company, Limited." 
Le fondateur de la maison rivale, celle des Frères LeBouthillier, était commis dans la compagnie Robin quand, en 1837, il fut élu député du comté de Gaspé au gouvernement représentatif du Bas-Canada. Ses patrons n'ayant pas vu d'un bon œil qu'il s'occupât de la chose publique, il leur donna sa démission et établit cette maison que depuis il a laissée à ses quatre fils. Il mourut conseiller législatif. » (p. 68-69)

Rodolphe Girard sur Laurentiana

2 novembre 2011

Le Destin s’amuse

Lyse Longpré, Le Destin s’amuse, Montréal, Beauchemin, 1948, 347 pages.
J’ignore qui est Lyse Longpré, si elle a écrit d’autres romans et je n’ai pas le DOLQ sous la main. D’après ce que je comprends, ce roman paru chez Beauchemin a été publié à compte d’auteur.
Pendant ses vacances d’été dans les Laurentides avec sa famille, Claire Bertrand, une blonde que tout le monde trouve jolie, a rencontré un pianiste, Jacques Dumais. Naturellement ils ont su qu’ils étaient amoureux avant de se parler. L’idylle est de courte durée, puisque Jacques doit se rendre en France pour perfectionner son piano. Les deux amoureux s’échangent des lettres au quotidien. Jacques, seul à Paris, finit par s’ennuyer. Un copain lui présente sa sœur : Hélène. Les lettres cessent de parvenir à Claire. Elle en fait une dépression, d’autant plus que Jacques a décidé de poursuivre ses études pianistiques pendant une autre année. Pour gagner sa vie, il donne des concerts et enseigne le piano. Ce qu’il ignore, c’est que son père, un entrepreneur prospère, a tout perdu, qu’il doit gagner sa vie comme simple ouvrier et qu'il est très malade. Quand il meurt, Jacques doit rentrer au pays pour s’occuper de sa mère. Il promet à sa fiancée française de l’épouser dès que la situation de sa famille se sera stabilisée. Il revoit Claire et il s’aperçoit qu’il l'aime encore. Il écrit une lettre d’adieu à sa fiancée française et épouse Claire.
C’est un roman sentimental sans grand intérêt, beaucoup trop long, surtout dans la première partie. Mon résumé ne rend pas compte des intrigues secondaires qui mettent en scène les parents et amis des deux héros. La psychologie des personnages ne tient pas la route : il est difficile de comprendre qu’une fille puisse garder aussi longtemps l’amour d’un gars qui la rejette comme on jette des vieux bas : «  Sans ménagement aucun, Jacques lui annonçait une nouvelle année d'études à Paris, durant laquelle il prévoyait donner plusieurs concerts. Il regrettait de ne pouvoir plus trouver, comme autrefois, le temps de lui écrire souvent, mais, il espérait quand même qu'elle lui garderait une petite place dans son souvenir, en mémoire des belles heures qu'ils avaient vécues ensemble, autrefois. Il ajoutait même qu'il espérait recevoir de ses nouvelles à l'occasion, et lui souhaitait, pour l'avenir, beaucoup de succès et tout le bonheur possible. »
Et c’est trop souvent surécrit : « Claire eut une moue de dédain, en face du mensonge évident dont Jacques était devenu capable. Son cœur saigna abondamment, de cette blessure large et profonde que venait de lui infliger son ami, mais pas une larme ne vint humecter ses yeux translucides. Elle lut froidement, sans trouble extérieur, sauf un léger tremblement à sa main déséquilibrée. »
Inutile d'en ajouter, l’auteure y a sans doute mis beaucoup d’elle-même et, avec un bon éditeur et beaucoup de coupures, elle aurait écrit un petit roman sentimental qui aurait tenu la route.
Extrait
« Il ne goûtait rien de la splendeur d'une journée de juillet: ni le soleil qui mûrit les blés, ni le vent qui chante dans les feuilles, ni la source qui gazouille en serpentant dans la vallée. Il ne goûtait que la grande misère où son âme était plongée, où elle s'était plongée elle-même, que l'affreux tourment où son cœur se débattait.
« Claire ... Michèle ... » se répétait-il et, devant lui, comme dans un rêve, il revoyait ces deux jeunes filles qui avaient conquis son cœur.
Allait-il céder à l'ardeur du premier amour?
Claire! Elle était si jolie, si douce!
Comme il se sentait épris, dans ces lieux, de celle qu'il avait abandonnée, sans motif, dans un moment de solitude!
Il jeta un coup d'œil sur sa photo, celle que Louise lui avait donnée, puis, tout haut, en plein champ, il s'écria avec l'accent du délire: « Ma petite Claire, c'est toi que j'aime le plus au monde! Pardonne-moi de t'avoir délaissée », et il regarda son sourire, franc comme le bois qui pousse, baisa sa bouche avec la réticence que lui imposait l'erreur de sa vie!
Son âme était dans la joie et le trouble que provoque une vive exaltation amoureuse! » (p. 332-333)