7 novembre 2011

Rédemption

Rodolphe Girard, Rédemption, Montréal, Imprimerie Guertin, 1906, 188 pages. (Illustrations hors textes par Georges Delfosse)

Montréal, 1892. Réginald Olivier, parce qu’il a vu ses défunts parents se déchirer, a décidé qu’il ne se marierait jamais. Il est riche, bien éduqué, et plusieurs mères essaient de pousser leur fille dans ses bras. Avec délicatesse, il repousse toutes les avances. Lors d’une soirée, il rencontre un jeune femme : Claire Dumont. Elle est très attirée par lui et ne s’en cache pas. Lui aussi ressent de l’attirance pour elle. Par peur de succomber, il décide de fuir. Il prend un bateau qui l’amène en Gaspésie et, parce que le paysage lui plait, il débarque à Paspébiac pour quelques jours. Ses plans changent lors de la visite de l’église. Il entend une organiste qui joue avec une telle finesse qu’il en est bouleversé. Et il découvre que l’organiste est une jeune fille ravissante : « Enveloppée dans un rayon de soleil qui filtrait à travers une des grandes fenêtres ceintrées de même qu'une sainte nimbée d'or, une jeune fille était assise au petit orgue de l'église. La figure tournée à demi présentait le plus pur profil qu'il fût donné à l'homme de voir : la ligne légèrement aquilinée du nez, la bouche orgueilleusement arquée, le menton ni carré, ni rond, énergique et doux. Encadrant son front en une masse opulente d'or rouge, d'un de ces rouges étranges comme les charbons à moitié consumés de l'âtre devant lequel nous rêvons les interminables soirs d'hiver, — sa chevelure se partageait sur ses épaules en deux longues et lourdes tresses. Son teint avait la blancheur éclatante des rousses, légèrement hâlée par le soleil de la mer. Ces traits reflétaient la candeur et la fierté, la froideur et la passion, l'enfant et la femme. »


Il n’a plus qu’un désir : rencontrer cette jeune fille. Le hasard fait bien les choses. Désireux d’aller en mer, il demande à deux vieillards de l’y emmener. Le matin très tôt, sur le rivage, il retrouve son « ange de beauté ». Elle est la petite-fille de Johnny Castilloux, un vieux pêcheur de 75 ans. Elle s’appelle Romaine, et comme lui, elle est orpheline. Elle a été élevée par le curé et son grand-père avec qui elle vit.  Elle a étudié dans les meilleurs couvents, ce qui explique ses talents musicaux. Réginald va lui faire la cour même si tout lui dit de fuir. Vient un temps où les deux se déclarent leur amour.  Réginald traite la jeune fille comme une vierge qu’il ne faut surtout pas souiller. 

Toujours cette peur de la souillure va gâter la sauce. Un jour sur la plage, Romaine découvre qu’elle aussi est très attirée par le jeune homme, ce qui l’épouvante :

« Jusqu'à ce jour elle était restée pure, non par orgueil ni ostentation, pour la seule gloriole de s'entendre répéter qu'elle était honnête, mais par cette pudeur instinctive chez toute jeune fille qui n'a eu sous les yeux que des exemples de vertu et de décence.
Simple et droite, elle n'ignorait ni ses défauts ni ses mérites. Surtout elle était certaine d'être restée immaculée. Si loin que se reportât sa mémoire, elle était demeurée l'enfant blanche et d'or, qui sous le voile des premières communiantes, s'était approchée de la Cène.
Elle était honnête parce qu'elle était bonne: elle ne voulait pas offenser celui qui lui demanderait son coeur et son corps en lui passant au doigt l'anneau nuptial. Si trop souvent le mariage est une vulgaire transaction commerciale, un contrat d'achat et de vente, elle voulait que la marchandise qui serait achetée fût digne du prix que l'on en donnerait. »

Voulant éloigner cette pensée, elle décide d’aller en mer, même si l’orage se prépare. Son bateau est projeté sur le rivage et on la retrouve, morte, le lendemain. Brisé, Réginald assiste aux funérailles et rentre à Montréal le lendemain.

Il se sent responsable de la mort de Romaine et décide qu’il lui faut expier sa faute, se racheter, d’où le titre. Il découvre que Claire Dumont s’est complètement déshonorée. Après son départ, elle a eu des amants et maintenant elle se fait vivre par le propriétaire d’un journal. Pour honorer la mémoire de Romaine, Réginald pense qu’il doit sauver cette fille. Il la sort des griffes de l’hypocrite journaliste, lui loue un appartement, la fait vivre, la visite régulièrement. Il lui offre même de l’épouser malgré tout l’opprobre que sa conduite lui a mérité. Malheureusement ou heureusement, la jeune fille meurt. Que faire? Fatigué de l’hypocrisie qui règne dans le milieu bien-pensant de Montréal, il décide de retourner à Paspébiac. Le grand-père est mort de chagrin et sa maison est à vendre. Il l’achète.

On comprend mal que Rodolphe Girard, qui avait démontré avec Marie Calumet qu’il était capable d’humour ait pu écrire un roman aussi pathétique. L’intrigue est digne des romans harlequin, vous l’aurez compris. L’histoire, trop moralisatrice, baigne dans une religiosité malsaine. Les clichés du genre « Les bijoux sont la raison d’être de la femme » ou encore « L’homme passe mais la vertu demeure » ne sont pas rares. En plus, Girard sur-écrit son roman, ce dont les quelques passages que j’ai cités font sans doute la preuve. La description des personnages est tellement amplifiée qu’elle leur enlève toute crédibilité.

Rodolphe Girard - BAnQ
Je ne dérogerai pas à la règle que je me suis fixée et je vais relever quand même quelques points qui méritent  que Rédemption soit lu. C’est sans doute le roman le plus illustré que je connaisse. Plusieurs petites photos des lieux sont insérées dans le texte. En plus, il y a beaucoup d’illustrations hors-texte de Delfosse. Autre intérêt : Girard décrit le Paspébiac de la fin du XIXe siècle, et il essaie de donner une dimension sociohistorique à son roman. Il décrit la pêche à la morue telle qu’elle était pratiquée et l’importance de la compagnie Robin à cette époque. Dans les dialogues, il essaie de reproduire le langage local.

Extrait
La maison Robin, dans ses trente établissements des provinces de Québec, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau Brunswick, emploie cinq mille hommes. Celui de Paspébiac est le plus considérable. Il a ses menuisiers, ses charpentiers, ses tonneliers, ses forgerons-mécaniciens, sans compter, naturellement, les ouvriers employés à la préparation de la morue. Autrefois, la maison Robin possédait jusqu'à ses petits docks et ses chantiers pour la construction des barges et des goélettes de pêche.
Certains ont prétendu que, dans les années passées, aucun des employés n'avait la liberté de se marier. On n'a jamais défendu aux employés de prendre femme. Seulement, si l'un d'eux le faisait, il devait laisser sa femme dans l'ile de Jersey, si elle était de ce pays, ou l'y conduire si elle était canadienne.
En outre, on ne lui permettait d'aller la voir qu'à tous les dix-huit mois. C'était demi-mal quand la femme était une Jersiaise, mais les Canadiennes ne se sentaient pas aises d'aller vivre au milieu d'étrangers et de ne voir leurs maris qu'à des intervalles aussi éloignés. Conséquemment la maison Robin perdit beaucoup de ses meilleurs employés. Aujourd'hui, cet ordre sévère de la compagnie a été relâché, et les employés ont l'autorisation de se marier à leur gré, autorisation dont ils n'abusent pas, tant s'en faut.
La maison fut fondée en 1766 par un Jersiais du nom de Charles Robin. Durant un siècle, la maison fut connue sous la raison sociale de "Charles Robin & Cie". Deux banques de Jersey ayant fait faillite, la maison Robin dut fermer ses portes. Trois mois plus tard, quelques Jersiais s'associèrent et formèrent une société sous le nom de "Charles Robin Co., Limited". Enfin, il y a quelques années, cette maison s'est fondue avec celle de J. E. Collas, et depuis elle est connue sous la raison sociale de "The C. Robin Collas Company, Limited." 
Le fondateur de la maison rivale, celle des Frères LeBouthillier, était commis dans la compagnie Robin quand, en 1837, il fut élu député du comté de Gaspé au gouvernement représentatif du Bas-Canada. Ses patrons n'ayant pas vu d'un bon œil qu'il s'occupât de la chose publique, il leur donna sa démission et établit cette maison que depuis il a laissée à ses quatre fils. Il mourut conseiller législatif. » (p. 68-69)

Rodolphe Girard sur Laurentiana

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