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21 février 2011

Figures et Paysages

Louyse de Bienville (Marie-Louise Marmette), Figures et paysages, Montréal, Beauchemin, 1931, 238 pages. (Préface d’Edouard Montpetit)

Marie-Louise Marmette est la fille de Joseph Marmette, auteur de François de Bienville. On comprend d'où lui vient son pseudonyme. Elle est aussi la petite-fille de François-Xavier Garneau. Elle a collaboré à différents journaux où elle a publié poèmes, critiques littéraires, écrits d’actualité... C’est sa fille Marguerite qui a rassemblé la trentaine de textes de Figures et Paysages.

Figures et paysages contient des critiques littéraires et artistiques qui n’en sont pas vraiment : ce sont plutôt des articles admiratifs qui veulent attirer l’attention des lecteurs sur les écrivains, les sculpteurs ou les musiciens. Ainsi en apprend-on  bien peu sur les oeuvres de Philippe Hébert, Joseph Marmette, Henri de Puyjalon, Ernest Choquette, Adolphe Routhier, Françoise, Albert Lozeau, Alfred Garneau, Louis Fréchette et François-Xavier Garneau à qui elle consacre un article. Quant à ses « Paysages », ils sont plus intéressants : on a droit à un reportage sur l’Île d’Anticosti du temps de Meunier et à une présentation de Montmagny, sa ville natale. On trouve aussi quelques écrits plus impressionnistes qui font une large place à la nature. Le texte qui m’a semblé le plus intéressant s’intitule « Hall d’hôtel pendant la guerre » : Marmette, dont les fils se sont enrôlés, développe une réflexion sur la légèreté de l’être humain (voir l’extrait).

Dans la suite de ma présentation, je ne vais retenir que les trois premiers textes, les plus intéressants à mes yeux : « L’âme canadienne », « Avons-nous une littérature » et « De l’inspiration ». Ce qui retient l'attention  à la lecture de ces textes, c’est l'amour inconditionnel de Marmette pour les artistes. Une vraie groupie! On pourrait même dire que ses écrits constituent une défense des arts et de la littérature. Elle déplore le pragmatisme anglo-saxon dans lequel s’est engagée la société canadienne-française. Elle s'interroge sur l'avenir de notre société, mais ne croit pas que l'exaltation patriotique ou le rêve bucolique des terroiristes ou le messianisme des catholiques puissent être la solution. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que ces idées soient complètement absentes de son livre. Elle trace une certaine hiérarchie et pour elle, ce sont d’abord les travaux de l’esprit qui peuvent permettre à un peuple de se démarquer. C’est par les arts que la nationalité peut atteindre une grandeur qui lui fait encore défaut :
« Hélas, les jeunes Canadiens ont trop l'admiration du système américain et ils s'inspirent volontiers de cette formule anglaise d'Herbert Spencer: la première condition pour réussir en ce monde, c'est d'être un bon animal!... Cela peut se concéder chez des peuples mercantiles, qui ont beaucoup d'appétits et peu d'idéals. Mais nous, les fils de France qui relevons de « quelque chose d'ultérieur, de supérieur et d'antérieur à nous-mêmes, — dit Brunetière — pouvons-nous, surtout dans le printemps de la vie, nous laisser aller à un tel oubli des fonctions de l'esprit et des aspirations du cœur. »
À la question : « Avons-nous une littérature? », elle répond « oui »,  sans doute en pensant à son père et à son grand-père :
« De toutes les forces de mon âme, je dis: OUI! Parce que cette littérature, je la porte dans le sang de mes veines! Elle berce les souvenirs de mon cœur et je la chéris dans l’éblouissement de mon esprit... puisqu'elle m'a appris à aimer mon Fleuve, mes arbres, nos montagnes et nos prairies, et tous les grands hommes qui ont glorifié ma patrie. »
Bref, pas question de renier le passé. Elle n’y campe pas pour autant et elle déplore que ses contemporains n’aient pas été à la hauteur des aspirations de leurs devanciers :
« Ne serait-il pas temps qu'en notre monde canadien l'art eût ses fervents, ses héros et ses martyrs.
Eh ! bien, puisque Dieu fut pour nous si généreux dans la formation de notre pays, admirable d'aspects dans la variété prenante de sa majestueuse et fertile beauté, d'où vient que, moins heureux que nos ancêtres, nous ne répondions pas à ce que ce pays semble exiger de nous en retour de ce qu'il nous offre. Canadiens, d'où vient que tant de splendeur nous laisse muets, froids, indifférents?
S'il est une terre d'inspiration, ce doit être la nôtre et cependant les arts, les sciences et la littérature, sont chez nous quantité négligeable. »
Louyse de Bienville avait voulu rassembler en livre ses écrits. Elle désirait « continuer la lignée littéraire de [s]a famille », selon sa fille Marguerite. Ses écrits ne sont certes pas en mesure de lui assurer une place dans l’histoire littéraire et intellectuelle. Si cela peut la consoler, le fils de son cousin Paul Garneau, Hector de Saint-Denys, s'en est chargé.

Extrait
[…] Ici, sur la haute terrasse, les promeneurs marchent à pas hâtifs; il fait froid et Cupidon circule en vain de groupe en groupe! Il semble qu'on lui fait grise mine, que le bandeau délectable tombe des yeux, comme lorsque l'âme laisse tomber son rêve et que la réalité surgit banale, indésirable, faite d'angles, d'ombres, de solitude.
Seuls, durant la promenade, je vois les vieux couples se resserrer, habitués à la mauvaise humeur des fins de saisons; ils en ont tant vu que leurs regards se sont habitués aux changements des décors à la chute des feuilles qui est moins triste que le tourbillonnement des illusions qui tombent dans le néant. Mais ils sont de même contents, les vieux, de se sentir encore là ! les uns près des autres, ils se rapprochent de plus près, afin d'unir ce qui reste de jours, de chaleur, de soirs mélancoliques comme celui-ci et qu'ils redoutent tant de ne plus revoir, une autre année. . .
Mais, décidément, ce soir frileux n'est pas propice aux jeunes; il semble que la brise brutale désunit leurs lèvres, amortit le désir des étreintes et bientôt ils désertent la terrasse pour la rotonde de l'hôtel, d'où s'échappe un bruit rythmé conviant à la flânerie, au chuchotement, à la danse, suivant les âges, les états d'âmes, le souci de l'heure.
Nous entrons: autour des petites tables les femmes élégantes ont déjà approché les fauteuils et rapproché les coudes et les genoux; c'est l'instant des potins, des complots passionnels et de ce demi-engourdissement de l'esprit et des sens que recherchent les mondains pour les heures mornes, ternes, où il semble que la sensation d'être vus à s'ennuyer soit une sorte de félicité.
Tout auprès, nous voyons les couples s'enlacer selon les convenances suffisantes d'un monde indulgent. Ils sont bien là une trentaine qui tourbillonnent en cadence et enlacent bras et jambes, en des mouvements plutôt disgracieux qui caractérisent ces contacts d'où l'union des corps et l'harmonie des esprits sont bannies. Pourquoi cette parodie banale de ce qui est le plus doux, le rapprochement de l'être! car, ceux-là semblent des momies modernes qui exécutent gravement une saturnale sans ivresse.
Tiens! pourquoi ce couple distingué s'est-il égaré là? Elle, presque diaphane en sa robe de tulle blanc, gracieuse et chaste en sa tenue; lui, impeccable en son habit noir, le véritable homme du monde: des jeune» mariés américains, dit-on. […]
Parmi les danseurs, il est un autre couple qui retient l'attention. Le monsieur n'a qu'un bras, il est élégant quand même et se livre avec une satisfaction évidente au plaisir lent de cette danse morne. La jeune fille confiante, compatissante, doucement femme, est tellement proche que ce manchot oublie la boucherie de la guerre dont il a subi la terrible amputation... On peut donc danser encore après avoir vu ÇA! après y avoir laissé un membre? Ou peut donc être futile encore après avoir touché à la barbarie, aux horreurs des nuits sanglantes, après avoir entendu siffler les obus et gémir les agonisants.
On peut revenir en ces salons et reprendre contact aux banalités stupides des Halls à la mode?
.le ne le croirais pas si je ne voyais autour de moi de braves militaires revenus du front, qui flirtent ainsi que leurs camarades qui, eux, ne sont pas allés "somewhere in France..."
C’est donc ça la vie! les grandes catastrophes ne changent rien aux êtres et aux choses; on reprend si facilement, où ou avait quitté, ni plus ni moins, et puis, on continue jusqu'à la fin — comme les autres — ni plus grands, ni autrement, pourquoi? Les plus rudes sacrifices sont donc vains et inutiles; à qui profilent-ils donc?
Tout de même, ces salons des grands hôtels pendant la guerre, sont lugubres ! ils donnent un spleen terrible, ils dépoétisent ce que la mondanité a de grâce, d'esprit, de volatile séduction.
On ne devrait, pas danser quand il y en a tant qui agonisent là-bas.
C'est inhumain, c'est féroce cette frivolité-là! quand on songe à l'éclosion des obus, à la course des chevaux traînant les lourds chariots qui font craquer les os des mourants.
Petits souliers de satin, vous piétinez la dignité de la femme, vous écrasez la bonté, vous mutilez la beauté.
(22 septembre 1917)

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