Frère
Gilles (Noël Gosselin, 1873-1945), Les choses qui s’en vont, Montréal, La Tempérance, 1918, 64 pages.
Un autre classique du mouvement « Vieilles choses, vieilles gens
», dont Camille Roy fut l’initiateur, Adjutor Rivard le principal défenseur,
Conrad Kirouac (frère Marie-Victorin) et Lionel Groulx les auteurs les plus
talentueux. Frère Gilles avoue dans sa préface que c’est la lecture du « Vieux
hangar » de Roy, en 1915, qui lui a donné l’idée de cette « suite
d’articles écrits sans art, en style habitant ». Dans un tout petit livre,
modestement édité et illustré, il nous propose cinq « causettes canadiennes » :
« Les foins à la petite faulx », « La laiterie », « Le moulin à vent », « Les
moulins à farine » et « Le brayage ».
Ce sont des textes très descriptifs, même si l’auteur y insère
parfois des personnages, simple procédé narratif qui lui permet de narrer plus
aisément ces épisodes de la vie d’autrefois. Dans « Les foins à la petite faulx
», il raconte une « journée de foin » : en matinée, les hommes commencent par
faucher à la petite faulx, en après-midi entrent en scène les faneurs et les
faneuses, vers deux heures on râtelle, vers quatre heures, on engrange quelques
« serrées » si le temps le permet. Dans « La laiterie », l’auteur, ayant
entendu parler d’une « machine à tirer les vaches », se lancent dans une
amusante tirade contre le progrès : « Pauvres vaches! Oui! Pauvres vaches, va!
Quoique ce ne soit pas mes affaires ni rien en toute, j’aimerais presque autant
les voir tirer… au fusil. » Pour sustenter les « veilleux », à défaut de servir
du « sirop de vinaigre » réservé aux grands événements, la dame de la maison
leur offrait du lait. L’auteur décrit la laiterie d’autrefois – « elle était
blanchie à la chaux le dedans comme le dehors » - et termine en racontant
comment on fabriquait le beurre. « Le moulin à vent » est la plus belle
réussite du recueil. Frère Gilles raconte, avec une poésie certaine, la
disparition de ces moulins qui servaient au battage du grain (voir l’extrait).
Comme on ne les mettait en marche qu’à l’hiver, le reste du temps ils servaient
de balançoire aux enfants ou recevaient les nids des hirondelles. « Les moulins
à farine », eux aussi sont disparus, ce qui a entraîné la disparition du pain
de blé au profit du « pain blanc ». L’auteur regrette particulièrement toutes
les petites écluses qui recueillaient l’eau qui servaient à faire tourner la
grande roue au moment voulu. Enfin, il termine son recueil par une journée de
brayage. Plusieurs auteurs ont raconté cette ancienne coutume qui était aussi
l’occasion de socialiser.
Ce qu’il manque à ce recueil, ce sont des illustrations, qui
d’ailleurs seront ajoutées dans l’édition de 1945. On a un peu de difficulté à
distinguer le moulin à vent du moulin à farine (à l’eau). L’auteur est plus
intéressant quand il personnalise ses récits, autrement dit quand il met de
côté le documentariste et qu’il se met en scène. Comme Adjutor Rivard le
faisait, ces tableaux rustiques sont truffés d’expressions oubliées. D’ailleurs
Frère Gilles croit que ses récits, à défaut d’intéresser les gens, sauront
plaire aux « Comité du Parler Français qui prépare notre glossaire ».
Ajout
en janvier 2017 (L’édition revue et corrigée compte désormais 195 pages.
Ce livre a connu deux éditions en 1918. La première ne contenait
que cinq « causettes canadiennes ». Dans celle-ci, corrigée et
augmentée, on peut en lire onze.
Voici un aperçu des six qui ont été ajoutées. Dans « Le rouet »,
Frère Gilles nous fait comprendre que tous jeunes qui veulent se mettre en
ménage doivent posséder un rouet; dans « Le métier », après avoir
décrit l’outil et son utilisation, l’auteur déplore sa disparition, surtout
dans les ménages où les jeunes filles sont allées au couvent; dans « La
terre », Frère Gilles nous explique comment la terre et la religion sont
inextricablement liées; dans « La
corvée », on assiste à une récolte de pommes de terre, véritable occasion
de se réunir et de fraterniser; dans « Le fléau et le crible », l’auteur
s’intéresse surtout à l’origine antique de ces deux outils; enfin, dans « Les
clôtures », c’est le lien avec des peintres qui les ont fixées sur une
toile qui leur confère un aura poétique.
Noël Gosselin avait certes l’âme d’un poète. Plusieurs passages
mériteraient d’être cités. Par contre, sa manie (emprunté à Adjutor Rivard)
de mettre en italique tout mot qui sonne un peu paysan finit par nous agacer. On
a même l’impression que des expressions, on ne peut plus françaises, finissent « italiquées ».
Extrait
Autrefois, les bâtisses de la ferme, avec ce bras de moulin en guise de mât, paraissaient, — dans la houle des blés ou amarrées au quai des chemins — des navires à l'ancre ; et ce qui est exquis, des navires qui ne partent jamais. Maintenant, les bâtiments farauds s'écrasent autour de la grange fardée qui a, la plupart du temps — humiliante réminiscence — une girouette : ça vire toujours, ça crie souvent, ça reluit quelquefois et avec tout cela c'est inutile.
Autrefois, les bâtisses de la ferme, avec ce bras de moulin en guise de mât, paraissaient, — dans la houle des blés ou amarrées au quai des chemins — des navires à l'ancre ; et ce qui est exquis, des navires qui ne partent jamais. Maintenant, les bâtiments farauds s'écrasent autour de la grange fardée qui a, la plupart du temps — humiliante réminiscence — une girouette : ça vire toujours, ça crie souvent, ça reluit quelquefois et avec tout cela c'est inutile.
Le moulin-à-battre, lui, ne virait pas toujours, ne criait pas souvent et ne reluisait jamais et malgré tout cela, était utile. […]
Cette saison de son annuelle activité s'ouvrait dans les premières semaines de
l'hiver avec un bon vent de nordais qui, s'il est bien franc,
est — entre parenthèse et même sans parenthèse — le vent classique pour écorner
les bœufs. Les préparatifs qu'il réclamait n'étaient d'ailleurs ni longs ni
compliqués: enfoncer quelques carvelles, resserrer quelques coins,
avoir huilé l'arbre de la grand'roue, il était prêt à marcher.
Au premier bon vent, il n'y avait plus qu'à décotter le
moulin et alors l'une après l'autre, les fières vergues s'abaissaient,
s'inclinaient jusqu'à terre, se relevant sans cesse, mais toujours vaincues par
la force impérieuse du vent, tandis qu'à l'intérieur de la grange retentissait
un roulement de tonnerre dans une nuée de poussière. Les gerbes montaient sur
le pont, pour redescendre dans la grand'passe, en paille assouplie
tandis que, dans l'ombre, le grain pleurait ses larmes d'or.
(Première
édition, pages 32-35)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire