Louvigny de Montigny, Au pays de Québec, Montréal, Éditions Pascal, 1945, 326 pages. (Illustrations de Raymonde Gravel)
Le recueil compte 16 récits, tantôt conte, tantôt nouvelle, précédés d’une longue préface que l’auteur adresse à son petit-fils. Par la nature de ses écrits, et même par le style, de Montigny se rapproche davantage des auteurs de la fin du XIXe siècle que de ceux des années quarante.
L'âne de Buridan
Un fonctionnaire à la retraite, qui s'est contenté toute sa vie de suivre bêtement les consignes qu’on lui donnait, se trouve fort dépourvu lorsqu’il prend sa retraite. Sa cousine, qui vit avec lui, pour l’occuper, le lance dans des réparations de leur appartement. Une réparation en entraînant une autre, et comme notre retraité est incapable de prendre une décision, les réparations semblent ne plus avoir de fin.
Le rigodon du Diable
C’est la veille du mercredi des cendres. Sur le coup de minuit, le maire du village, qui reçoit ce soir-là, demande à ses commettants d’interrompre leur danse, comme la tradition l’exige. Il leur raconte l’histoire d’une famille qui s’était moquée de cette croyance.
Feu de forêt
Un feu de forêt détruit un village de colons, fondé voici deux ans, et du même coup, anéantit les efforts colossaux de ces hommes et femmes venus se refaire une vie.
Poules en brosse
En pleine période de prohibition, André Lorreuil, un juriste très apprécié justement pour sa lutte contre la contrebande, fabrique de la liqueur de cerise. Or, un jour, il jette des cerises qui ont macéré à ses poules de race. Voyant ses « poules en brosse », sa femme l’envoie mander au tribunal, ce qui trahit ses activités défendues.
Collision
Une voiture transportant deux tombes est frappée par un tramway. Quand les policiers arrivent sur les lieux de l’accident, le charretier a disparu. On apprend que ces deux macchabés devaient servir de cobaye aux carabins.
Un loup-garou
Quelques hommes, en excursion de chasse près du lac Saguay, surpris par la noirceur, veulent coucher dans une cabane abandonnée. Leur guide, pour les en dissuader, leur raconte une histoire de loup-garou, dont il fut la victime, quelques années plus tôt.
L'acquittement de conscience
Jules est un « délicat ». Comme la poudrerie fait rage, il va reconduire une femme chez elle ; au retour son auto heurte légèrement un clochard. Par précaution, il l’amène à l’hôpital où on constate que ses blessures sont mineures. Pourtant, il meurt dans la nuit. Par crainte d’être tenu responsable, Jules fait appel à un docteur de ses amis. Ce dernier intervient et Jules s’en tire. Il veut récompenser son ami qui refuse net. Il se dit qu’il pourrait aller le consulter et le remercier ainsi; mais son ami docteur fait si bien son examen qu’il lui trouve une maladie et lui impose trois semaines de régime. Pour s’en défaire, Jules prétexte une cure de santé en Gaspésie. Mais son ami flaire le mensonge et en est fâché. La morale : les bonnes actions ne sont pas toujours récompensées.
La dernière rose
Un vieux colonel à la retraite cultive ses fleurs avec passion. Il essaye de transmettre sa passion à son petit-fils. Sur son lit de mort, ce dernier lui apporte sa rose préférée, achetée chez un fleuriste.
Le réveillon aux morts
Montigny nous explique (ce n’est pas un récit) cette ancienne coutume, probablement importée de France, qui consistait à préparer un réveillon aux morts lors de la nuit du 2 novembre. À l’insu des gens, d’autres en profitaient pour subtiliser les provisions.
De la coupe aux lèvres
Le vicomte de Bouteville, exilé au Québec avec sa cave à vin, décide d’offrir à ses invités son plus grand vin pour saluer la demande en mariage de sa fille par un notaire. Or il se révèle que ce haut-brion, qu’il conserve amoureusement dans ses caves depuis plus de 25 ans, a tourné en piquette.
Le matelot
Un voilier norvégien, ayant un mort à bord, le débarque à Pointe-au-Père. Que faire de ce mort ? Où l’enterrer ? Le curé et le maire optent finalement pour « le terrain des enfants morts sans baptême ».
Martin-pêcheur
Le vieux Martin a engagé le Cireux pour réparer les mailles de ses filets de pêche. Le Cireux, fâché de l’attitude de son patron, essaie de lui voler des œufs mais est pris sur le fait.
L'imprévu
Un médecin de famille découvre que sa patiente, enceinte, a une énorme tumeur à l’estomac. Selon lui, elle doit être traitée à la maison. Il prévoit l’opération délicate dans ses moindres détails. Un spécialiste de Montréal est chargé de l’opération. Une panne de courant va avoir des répercussions tragiques.
Le six-pailles
Charlotte attend son Olivier parti au chantier : il lui a promis de la rejoindre pour les Fêtes. Une tempête faisant rage, un homme arrive, mais il se trouve que c’est un ancien amoureux, Xavier. Charlotte le reçoit et, à son insu, par esprit de revanche, il dévore la moitié du six-pailles réservé au mari.
Un fantôme
Un groupe de personnages discutent de théosophie. Un scientifique prend la parole et leur conseille d’éviter toute expérience occulte. Finalement, un invité raconte une histoire de fantôme qui, finalement, n’en est pas une.
Casse-tête
Les Lanthier ont envoyé par mégarde une carte de Noël aux Mirande, ce dont Madame Lanthier se désole, puisqu’elle ne les tient pas en haute estime. De Montigny se lance dans une longue digression sur la formation des noms en Nouvelle-France. Il démontre que Madame Lanthier a tort de mépriser les Mirande, parce qu’ils ont de lointains liens de parenté avec le supérieur de son mari.
Louvigny de Montigny est un personnage important dans l’histoire de la littérature québécoise. Il suffit de rappeler qu’il est un membre fondateur de l’École littéraire de Montréal, qu’il fut le principal artisan du succès de Maria Chapdelaine, qu’il a corrigé Un homme et son péché de Grignon...
Il avait 69 ans quand il a publié ce recueil de contes. Certes il fait preuve d’une grande intelligence, d’une grande culture, d’une grande finesse... Il aimait beaucoup les mots, cultivant aussi bien les termes rares que les expressions populaires (il fournit en annexe un glossaire de 12 pages !). Voici un échantillon de son style : « Les réceptions mondaines qui suivent les cérémonies de mariage amènent souvent à s'embrasser des personnes qui ne peuvent se sentir. Ces réunions, en revanche, font faire d'intéressantes connaissances. Il m'advint d'être ainsi présenté à un juge en retraite que l'instruction des misères humaines avait imbu d'indulgent scepticisme et de sereine ironie. Il arrivait de Québec à Montréal pour les noces d'une sienne nièce. Le chant des épithalames et la poésie des épousailles excitaient son esprit à découvrir les soucis réveillés chez les pères et les illusions chez leurs filles par le déploiement, dans leur entourage, d'un hymen fashionable. Il nous conta une soirée de fiançailles à laquelle il fut convié, juste comme il venait, très jeune, de recevoir du gouvernement une importante charge de judicature et qu'il se sentait le zèle et la mission de régénérer la Justice. Voici son histoire. // Les Québécois deviennent de plus en plus rares qui connurent le vicomte de Bouteville... » (p. 157]
Tout ceci ne fait pas pour autant de lui un bon conteur. Même l’humour, très présent, est si fin qu’il ne fait pour ainsi dire pas rire. La très grande majorité de ses récits manquent de vivacité, à cause de la surcharge du vocabulaire et de l’invasion des explications. L’objectif d’instruire l’emporte trop souvent sur le plaisir de raconter. On dirait même qu’il sacrifie à regret l’explication au récit. Souvent il emploie le modèle de Maupassant, le récit dans le récit, mais en laissant trop peu de place au récit enchâssé. Ou encore il commence par une longue explication avant d’introduire des personnages et d’entamer une vraie narration. Ou encore, une trop longue digression savante vient interrompre le récit. Et parfois, la part narratologique est si mince, qu’elle nous semble avoir été ajoutée après coup. Ceci étant dit, quelques-unes de ses histoires sont bien troussées, entre autres « Poules en brosse », « Un loup-garou », « De la coupe aux lèvres », « Le six-pailles ».
J’ai choisi, comme extrait, de vous livrer un passage de la préface, dans lequel il dénonce avec force les tenants de l’anti-conscription.
Extrait
J'ai résisté à l'ironie qui me poussait à décrire des états d'âme que la guerre a suscités parmi nos gens : benêts et vaniteux coloniaux qui tiennent rigueur de leur infériorité à la France aussi bien qu'à l'Angleterre, prêcheurs de l'isolationnisme, racoleurs de votes, profiteurs des calamités publiques. Le cautère de la caricature conviendrait à ces trublions qui ont fait de leur mieux pour saboter notre élan national, en ergotant sur la légitimité de cette guerre, du conflit déclenché, à leur avis, pour assurer la suprématie financière ou politique d'une puissance qui nous est étrangère sur une autre qui nous l'est tout autant.
Parce que des mains imprudentes ou criminelles ont allumé un incendie au sous-sol, doit-on refuser de dégager les enfants qui dorment à l'étage supérieur et que les flammes vont dévorer tout vifs ? Les voisins vont-ils enquêter sur la casualité du sinistre avant de protéger leurs propres maisons ? Les millions d'innocentes victimes de cette horrible spéculation n'intéressent nullement ces messieurs ; les populations entières que l'infernale Gestapo a dépouillées avant de les pousser à coups de mitrailleuses dans des camps d'extermination, les bébés qui manquent de lait et meurent comme des mouches, les femmes qu'on supplicie pour en tirer des dénonciations, les otages qu'on assassine tous les jours de l'année, les prisonniers sans défense qu'on affame et qu'on massacre, les ruines qu'on sème sans la moindre justification stratégique, rien de tout cela ne les émeut. Cette prostitution de la guerre ne les révolte en rien. Il leur est égal que le boisseau nazi étouffe le génie français qui a assuré et continue d'assurer la survivance au pays de Québec. L'Humanité se limite à leur province, à leur paroisse, à leur collège électoral.
L'histoire t'apprendra que, à ce terrible jeu, le Canada s'est vu à deux doigts de devenir boche. Au vrai, nous devons notre salut à la détermination que notre pays a prise de se joindre aux grandes nations démocratiques pour refouler ensemble l'abominable fléau qui promettait de déferler sur notre continent et de l'engloutir, comme les autres, dans le sang. La vie t'enseignera aussi, mon cher enfant, qu'un homme de saine conscience s'apparente à tout son prochain, qu'il devient citoyen du monde, et peut jouir à cœur ouvert des bénéfices qu'à maints égards lui procurent ses congénères de n'importe quel coin de la vaste terre, seulement dans la mesure où lui-même respecte leur éthique particulière, reconnaît leurs bonnes intentions, participe à leurs souffrances et à leurs joies. Homo sum, humani nihil a me alienum puto. (p. 14-15)
Le recueil compte 16 récits, tantôt conte, tantôt nouvelle, précédés d’une longue préface que l’auteur adresse à son petit-fils. Par la nature de ses écrits, et même par le style, de Montigny se rapproche davantage des auteurs de la fin du XIXe siècle que de ceux des années quarante.
L'âne de Buridan
Un fonctionnaire à la retraite, qui s'est contenté toute sa vie de suivre bêtement les consignes qu’on lui donnait, se trouve fort dépourvu lorsqu’il prend sa retraite. Sa cousine, qui vit avec lui, pour l’occuper, le lance dans des réparations de leur appartement. Une réparation en entraînant une autre, et comme notre retraité est incapable de prendre une décision, les réparations semblent ne plus avoir de fin.
Le rigodon du Diable
C’est la veille du mercredi des cendres. Sur le coup de minuit, le maire du village, qui reçoit ce soir-là, demande à ses commettants d’interrompre leur danse, comme la tradition l’exige. Il leur raconte l’histoire d’une famille qui s’était moquée de cette croyance.
Feu de forêt
Un feu de forêt détruit un village de colons, fondé voici deux ans, et du même coup, anéantit les efforts colossaux de ces hommes et femmes venus se refaire une vie.
Poules en brosse
En pleine période de prohibition, André Lorreuil, un juriste très apprécié justement pour sa lutte contre la contrebande, fabrique de la liqueur de cerise. Or, un jour, il jette des cerises qui ont macéré à ses poules de race. Voyant ses « poules en brosse », sa femme l’envoie mander au tribunal, ce qui trahit ses activités défendues.
Collision
Une voiture transportant deux tombes est frappée par un tramway. Quand les policiers arrivent sur les lieux de l’accident, le charretier a disparu. On apprend que ces deux macchabés devaient servir de cobaye aux carabins.
Un loup-garou
Quelques hommes, en excursion de chasse près du lac Saguay, surpris par la noirceur, veulent coucher dans une cabane abandonnée. Leur guide, pour les en dissuader, leur raconte une histoire de loup-garou, dont il fut la victime, quelques années plus tôt.
L'acquittement de conscience
Jules est un « délicat ». Comme la poudrerie fait rage, il va reconduire une femme chez elle ; au retour son auto heurte légèrement un clochard. Par précaution, il l’amène à l’hôpital où on constate que ses blessures sont mineures. Pourtant, il meurt dans la nuit. Par crainte d’être tenu responsable, Jules fait appel à un docteur de ses amis. Ce dernier intervient et Jules s’en tire. Il veut récompenser son ami qui refuse net. Il se dit qu’il pourrait aller le consulter et le remercier ainsi; mais son ami docteur fait si bien son examen qu’il lui trouve une maladie et lui impose trois semaines de régime. Pour s’en défaire, Jules prétexte une cure de santé en Gaspésie. Mais son ami flaire le mensonge et en est fâché. La morale : les bonnes actions ne sont pas toujours récompensées.
La dernière rose
Un vieux colonel à la retraite cultive ses fleurs avec passion. Il essaye de transmettre sa passion à son petit-fils. Sur son lit de mort, ce dernier lui apporte sa rose préférée, achetée chez un fleuriste.
Le réveillon aux morts
Montigny nous explique (ce n’est pas un récit) cette ancienne coutume, probablement importée de France, qui consistait à préparer un réveillon aux morts lors de la nuit du 2 novembre. À l’insu des gens, d’autres en profitaient pour subtiliser les provisions.
De la coupe aux lèvres
Le vicomte de Bouteville, exilé au Québec avec sa cave à vin, décide d’offrir à ses invités son plus grand vin pour saluer la demande en mariage de sa fille par un notaire. Or il se révèle que ce haut-brion, qu’il conserve amoureusement dans ses caves depuis plus de 25 ans, a tourné en piquette.
Le matelot
Un voilier norvégien, ayant un mort à bord, le débarque à Pointe-au-Père. Que faire de ce mort ? Où l’enterrer ? Le curé et le maire optent finalement pour « le terrain des enfants morts sans baptême ».
Martin-pêcheur
Le vieux Martin a engagé le Cireux pour réparer les mailles de ses filets de pêche. Le Cireux, fâché de l’attitude de son patron, essaie de lui voler des œufs mais est pris sur le fait.
L'imprévu
Un médecin de famille découvre que sa patiente, enceinte, a une énorme tumeur à l’estomac. Selon lui, elle doit être traitée à la maison. Il prévoit l’opération délicate dans ses moindres détails. Un spécialiste de Montréal est chargé de l’opération. Une panne de courant va avoir des répercussions tragiques.
Le six-pailles
Charlotte attend son Olivier parti au chantier : il lui a promis de la rejoindre pour les Fêtes. Une tempête faisant rage, un homme arrive, mais il se trouve que c’est un ancien amoureux, Xavier. Charlotte le reçoit et, à son insu, par esprit de revanche, il dévore la moitié du six-pailles réservé au mari.
Un fantôme
Un groupe de personnages discutent de théosophie. Un scientifique prend la parole et leur conseille d’éviter toute expérience occulte. Finalement, un invité raconte une histoire de fantôme qui, finalement, n’en est pas une.
Casse-tête
Les Lanthier ont envoyé par mégarde une carte de Noël aux Mirande, ce dont Madame Lanthier se désole, puisqu’elle ne les tient pas en haute estime. De Montigny se lance dans une longue digression sur la formation des noms en Nouvelle-France. Il démontre que Madame Lanthier a tort de mépriser les Mirande, parce qu’ils ont de lointains liens de parenté avec le supérieur de son mari.
Louvigny de Montigny est un personnage important dans l’histoire de la littérature québécoise. Il suffit de rappeler qu’il est un membre fondateur de l’École littéraire de Montréal, qu’il fut le principal artisan du succès de Maria Chapdelaine, qu’il a corrigé Un homme et son péché de Grignon...
Il avait 69 ans quand il a publié ce recueil de contes. Certes il fait preuve d’une grande intelligence, d’une grande culture, d’une grande finesse... Il aimait beaucoup les mots, cultivant aussi bien les termes rares que les expressions populaires (il fournit en annexe un glossaire de 12 pages !). Voici un échantillon de son style : « Les réceptions mondaines qui suivent les cérémonies de mariage amènent souvent à s'embrasser des personnes qui ne peuvent se sentir. Ces réunions, en revanche, font faire d'intéressantes connaissances. Il m'advint d'être ainsi présenté à un juge en retraite que l'instruction des misères humaines avait imbu d'indulgent scepticisme et de sereine ironie. Il arrivait de Québec à Montréal pour les noces d'une sienne nièce. Le chant des épithalames et la poésie des épousailles excitaient son esprit à découvrir les soucis réveillés chez les pères et les illusions chez leurs filles par le déploiement, dans leur entourage, d'un hymen fashionable. Il nous conta une soirée de fiançailles à laquelle il fut convié, juste comme il venait, très jeune, de recevoir du gouvernement une importante charge de judicature et qu'il se sentait le zèle et la mission de régénérer la Justice. Voici son histoire. // Les Québécois deviennent de plus en plus rares qui connurent le vicomte de Bouteville... » (p. 157]
Tout ceci ne fait pas pour autant de lui un bon conteur. Même l’humour, très présent, est si fin qu’il ne fait pour ainsi dire pas rire. La très grande majorité de ses récits manquent de vivacité, à cause de la surcharge du vocabulaire et de l’invasion des explications. L’objectif d’instruire l’emporte trop souvent sur le plaisir de raconter. On dirait même qu’il sacrifie à regret l’explication au récit. Souvent il emploie le modèle de Maupassant, le récit dans le récit, mais en laissant trop peu de place au récit enchâssé. Ou encore il commence par une longue explication avant d’introduire des personnages et d’entamer une vraie narration. Ou encore, une trop longue digression savante vient interrompre le récit. Et parfois, la part narratologique est si mince, qu’elle nous semble avoir été ajoutée après coup. Ceci étant dit, quelques-unes de ses histoires sont bien troussées, entre autres « Poules en brosse », « Un loup-garou », « De la coupe aux lèvres », « Le six-pailles ».
J’ai choisi, comme extrait, de vous livrer un passage de la préface, dans lequel il dénonce avec force les tenants de l’anti-conscription.
Extrait
J'ai résisté à l'ironie qui me poussait à décrire des états d'âme que la guerre a suscités parmi nos gens : benêts et vaniteux coloniaux qui tiennent rigueur de leur infériorité à la France aussi bien qu'à l'Angleterre, prêcheurs de l'isolationnisme, racoleurs de votes, profiteurs des calamités publiques. Le cautère de la caricature conviendrait à ces trublions qui ont fait de leur mieux pour saboter notre élan national, en ergotant sur la légitimité de cette guerre, du conflit déclenché, à leur avis, pour assurer la suprématie financière ou politique d'une puissance qui nous est étrangère sur une autre qui nous l'est tout autant.
Parce que des mains imprudentes ou criminelles ont allumé un incendie au sous-sol, doit-on refuser de dégager les enfants qui dorment à l'étage supérieur et que les flammes vont dévorer tout vifs ? Les voisins vont-ils enquêter sur la casualité du sinistre avant de protéger leurs propres maisons ? Les millions d'innocentes victimes de cette horrible spéculation n'intéressent nullement ces messieurs ; les populations entières que l'infernale Gestapo a dépouillées avant de les pousser à coups de mitrailleuses dans des camps d'extermination, les bébés qui manquent de lait et meurent comme des mouches, les femmes qu'on supplicie pour en tirer des dénonciations, les otages qu'on assassine tous les jours de l'année, les prisonniers sans défense qu'on affame et qu'on massacre, les ruines qu'on sème sans la moindre justification stratégique, rien de tout cela ne les émeut. Cette prostitution de la guerre ne les révolte en rien. Il leur est égal que le boisseau nazi étouffe le génie français qui a assuré et continue d'assurer la survivance au pays de Québec. L'Humanité se limite à leur province, à leur paroisse, à leur collège électoral.
L'histoire t'apprendra que, à ce terrible jeu, le Canada s'est vu à deux doigts de devenir boche. Au vrai, nous devons notre salut à la détermination que notre pays a prise de se joindre aux grandes nations démocratiques pour refouler ensemble l'abominable fléau qui promettait de déferler sur notre continent et de l'engloutir, comme les autres, dans le sang. La vie t'enseignera aussi, mon cher enfant, qu'un homme de saine conscience s'apparente à tout son prochain, qu'il devient citoyen du monde, et peut jouir à cœur ouvert des bénéfices qu'à maints égards lui procurent ses congénères de n'importe quel coin de la vaste terre, seulement dans la mesure où lui-même respecte leur éthique particulière, reconnaît leurs bonnes intentions, participe à leurs souffrances et à leurs joies. Homo sum, humani nihil a me alienum puto. (p. 14-15)
« Depuis le commencement du siècle, le nom de Louvigny de Montigny est l’un des plus connus dans le monde des lettres au Canada, et cela ne tient pas seulement à la valeur des ouvrages qu’il a publiés, mais à son activité dans tous les domaines de la littérature. En effet, il a été mêlé aux principaux mouvements des écrivains de son époque. Il a été l’un des fondateurs de l’Ecole Littéraire qui est née et s’est développée dans sa propre chambre, ches son père, le recorder de Montigny. Avec Paul de Martigny, il a fondé les Débats, feuille spirituelle, frondeuse, ironique et d’une riche fantaisie, qui groupa toute une phalange de brillants talents: Gaston de Montigny, Olivar Asselin, Jules Fournier, Louis Dantin, l’abbé Joseph Mélançon, Arthur de Bussière, Gom salve Desaulniers, Charles Gill, Jean Charbonneau et plusieurs autres, avec les caricaturistes Ulric Lamarche et Joseph Charlebois. Plus tard, vers 1921, il participa à l’organisation de la Canadian Authors’s Association dont les adhérents canadiens-français se sont récemment séparés, pour se former distinctement en une Société des Ecrivains Canadiens. » (Albert Laberge, Peintres et écrivains…, p. 199)
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