1 mai 2009

À travers les vents

Robert Choquette, A travers les vents, Montréal, Edouard Garand, 1925, 138 pages.

Dans un avant-propos frondeur, du haut de ses vingt ans, Robert Choquette dénonce avec beaucoup d’arrogance toute poésie qui n’est pas régionaliste, en commençant par celles de Nelligan et des Exotiques : « Le peuple ne lit pas de versification; il n’en veut pas de cette poésie à ciselures, à fanfreluches et à dentelles. » Ou encore : « Le public, nourri à l’art païen des poétesses du jour, s’est façonné une âme malsaine et qui se complaît dans sa morbidité. » Ou encore : « Nous sommes plongés jusqu’aux tempes dans le Symbolisme de la décadence; l’art des décadents, c’est l’art d’une race épuisée, ‘’fin de siècle’’, tellement raffinée qu’elle en a perdu sa force créatrice. » Et pour terminer : « Que chacun choisisse le genre où son génie propre soit plus à l’aise; mais au moins, s’il ne dit pas les choses du pays, qu’il en prenne l’âme virile et belle, qu’il soit un apôtre pour ses frères, non plus un pleurnicheur qui nous montre ses égratignures ou bien un jongleur qui nous mystifie avec son assortiment de mots ou de rimes rares. » Chose sûre, Choquette n’a pas dû se faire beaucoup d’amis dans la confrérie des poètes du début du siècle.

Son recueil comprend cinq parties : Les vents de l’Ouest, Les vents de l’Est, Les vents du Sud, Les vents du Nord et le Chant de l’aigle rouge. Pourquoi les vents? Ce n'est pas très clair. Si on se fie au poème liminaire, le poète compte quitter la plaine et se hisser toujours plus sur la montagne, loin de la « rumeur des villages », « jusqu’à ce que son cœur soit seul avec les Vents ».

LES VENTS DE L’OUEST
Tout est surdimensionné chez Robert Choquette. Ses aspirations poétiques sont à la mesure de la nature canadienne, démesurée : « Eh bien! Je boirai tant les souffles d’aventure, / Je ferai tant chanter dans mes jeunes poumons / La respiration de la forte nature / Que ma voix bondira sur le sommet des monts! » Rien ne semble pouvoir restreindre l’enthousiasme de son ardente jeunesse : « O Matin, O Jeunesse! Orgueil qui dans le sein / Embouche et fait chanter le cœur comme un buccin! » Ou encore : « Je suis jeune et je bois la vie à gorge pleine » Ou encore : « JEUNESSE! – Poésie à l’œil ensoleillé! / Idéal que les mains n’ont pas encore souillé! » Seuls les grands espaces trouvent écho dans son âme orgueilleuse : « ORGUEIL, ô mon orgueil! – grand oiseau révolté / Qui frappes l’azur de ton aile ». Comment pourrait-il en être autrement quand on a pour aïeux de sains laboureurs et d’intrépides coureurs des bois? « Beaux colons palpitant sous la flèche vorace; / O sublimes aventuriers, / C’est votre enthousiasme à courir dans les plaines / Qui fait s’émouvoir nos genoux! » Voici encore : « Oh! Que mon cœur bat fort dans ma large poitrine! / J’ai peine à contenir ses bonds; / Je suis jeune et l’orgueil écarte ma narine, / Rien ne tient mes pieds vagabonds. »

Robert Choquette - Photo Radio-Canada
LES VENTS DE L’EST
Choquette reprend à peu près les mêmes thèmes, avec un peu moins d’intensité et en variant quelque peu l’angle. Le thème de la nature, traité sur le mode romantique, est dominant : « Nature éternelle, Nature / A l’inépuisable cerveau! / ... / Geste de Dieu, Nature! Centre / De qui tout sort, en qui tout rentre! / Génitrice des blés dorés, / Nature! Mère où tout commence, / Ah! Quel souffle immense / Jaillit de tes flancs délivrés! » La nature confidente, la nature mère, la nature inspiratrice, la nature consolatrice, la nature divine, bref tous les motifs romantiques. Revient l’idée que le poète doit s’imprégner de la nature, devenir un poète-laboureur : « Prends le soc, ô poète, et laboure ton cœur / Pour en faire jaillir la moisson des idées! » Revient aussi l’idée que l’homme, malgré sa modeste condition, doit se tenir debout et continuer de poursuivre de grands idéaux : « Cet homme-enfant qu’on blesse en voulant caresser, / Cette statuette d’argile // Peut engloutir la mer sans fi n / Et les astres du monde ». Le thème amoureux, qui affleurait dans « Les vents de l’Ouest », est très présent dans cette partie et, bien entendu, pas question pour Choquette d’un amour terre-à-terre : « Oh! Viens! Fuyons la foule ironique et stupide! / Cherchons au fond des bois quelque ruisseau limpide / Où tu puisses crier en mouillant tes bras nus. » Cette section se termine par « La chanson du soleil », un autre poème qui célèbre l’orgueil humain : « JE SUIS le roi d’orgueil qui n’a pas de compagne / Et dont le cœur s’est aguerri! [...] / Je suis le grand Jaloux, je suis fier et si vaste / Que je m’enivre à mon orgueil! [...] Et je cours sous les cieux, farouche, inabordable, / Comme si je contenais Dieu! »

LES VENTS DU SUD
On entre davantage dans l’intimité du poète dans cette partie. Les grand emportements laissent la place à la tendresse, d’abord pour sa grand-mère et sa mère décédée, mais aussi pour son amoureuse : « Mon cœur, qui trop souvent mugit comme la mer / Et remplit mon cerveau de ses odeurs salines, / Ce soir n’a rien de noir, rien de dur, rien d’amer, / Mais chante la chanson des sources cristallines. » Ou encore : « Je n’ai point de désirs, je n’ai pas de sanglots, / Et mon âme qui dort n’ouvrira point son aile. » Même dans ses poèmes consacrés aux héros, comme Jolliet et Dollard, il n’y a pas de grands emportements : « Dormez! Un peuple entier vous donne sa tendresse, / O morts de qui vient l’air de la liberté » Quelques poèmes sont consacrés au sentiment religieux, un autre à Albert Lozeau.

LES VENTS DU NORD
Dans « Ode aux vents du nord », Choquette retrouve le ton épique du début du recueil, pour célébrer la nature. (Desrochers s’en est-il inspiré?) Dans l’espace d’un poème, on pourrait croire que Choquette réussit à contenir son orgueil et à montrer un peu d’humilité, de résignation : « Pardonne-moi, Seigneur, mon misérable orgueil. / Je suis dans ma poussière, et mon âme est mourante / Et je palpite, ô Seigneur, comme le ventre entier / De l’orignal qui gît sur le bord du sentier! » Pourtant, rapidement, il se réfugie dans ses hauteurs méprisantes : « Mon nid d’aigle est ouvert à la vaste lumière ! Sur le front du plus haut des monts, / Et l’air que j’y respire, ô buveurs de poussière, / Ferait éclater vos poumons! »

CHANT DE L’AIGLE ROUGE
C'est un long poème qui contient 22 strophes, daté d’août 1924, écrit au Lac Supérieur, chez l’abbé J. A. Paquet. Il raconte une légende autochtone de la tribu des Aiglons. Quand le printemps vient, le guerrier le plus valeureux a l’honneur de chanter « l’hymne au pays devant le lac immense ». S’ensuit un chant patriotique qui dit la grandeur et la beauté de ce pays qui communique aux hommes son énergie. Et cela va comme ceci : « O Patrie [...] / Ta main nous a formés, ton souffle nous anime, / Et nos vierges, l’amour et l’orgueil plein les seins, / Pour courir au soleil parent nos mocassins! »

Il faut reconnaître à Choquette un certain talent pour célébrer la nature canadienne sur le mode épique. Il faut lui savoir gré de ne pas tomber dans un patriotisme facile qui se limite à célébrer nos héros. Un peu comme le feront Desrochers, Miron et les poètes du pays (en lui donnant un caractère politique et en le délestant de son trop-plein), comme le faisait déjà Albert Ferland, Choquette essaie de dire la beauté du sol natal, son immensité, notre sentiment d’appartenance à cette terre. Mais il le déclame avec tellement d’emphase que son discours, si loin des valeurs esthétiques contemporaines, devient souvent risible.

ODE AUX VENTS DU NORD
O VENTS qui du genou poussez les noirs orages !
Cavaliers effrayants dont la chanson de mort
Ébranle et fait s'enfuir la tribu des nuages !
O vous les effaceurs d'étoiles ! Vents du Nord,
Diaboliques vengeurs à la sombre rancune !
Vents de rébellion dont le cœur est amer !
Vous qui stérilisez le ventre de la lune
Quand vous faites bondir les vagues de la mer !

Vents du Nord qui passez comme des oriflammes
Sur les nuages noirs écroulés par monceaux !
Qui tordez les bouleaux comme des doigts de femmes!
O vous qui renversez leurs troncs sur les ruisseaux
Pour en faire des ponts suspendus ! Vents d'automne
Qui, portant sur vos seins mille enfers avortés,
Violentez la mer dans sa robe en cretonne
Et hurlez de douleur dans vos brutalités !

Souffles qui dévalez du penchant des collines
Tels les guerriers géants de la Bible! Ouragans
Qui fouettez l'océan comme des disciplines,
Décapitez les blés avec vos yatagans
Et fuyez vers la mort en renversant des granges !
Oh! pressez donc mon cœur gonflé d'un rêve humain,
Pour qu'il donne son sang vermeil, comme aux vendanges
Le trop-plein de la cuve arrose le chemin !

Venez! N'oubliez pas que je suis votre frère,
O fils à cheveux noirs sortis des flancs du Nord!
Mettez vos larges mains sous mon cœur téméraire,
Soulevez-le plus haut que l'ombre de la mort !
Soulevez-le plus haut que la ville bruyante
Où le péché visqueux siffle comme un serpent !
O vents, emportez-moi sur votre aile effrayante
Par-dessus la poussière et le monde rampant !

Venez! Soulevez-moi sur vos âmes maudites !
Emportez-moi si haut qu'à regarder les champs
Les moutons dispersés semblent des marguerites I
O vents du Nord, emportez-moi ! Souffles méchants
Qui foulez au talon des récoltes entières,
Traînez-moi donc ailleurs, n'importe où, mais ailleurs!
Embarquez donc mon cœur sur vos ailes altières
Puisque seuls vous savez où sont des cieux meilleurs!

Vents du Nord, vents du Nord qui cravachez ma face
Oh! portez donc mon cœur dans le lieu du repos !
Souffles impétueux des poumons de l'espace,
Ouragans qui donnez des ailes aux troupeaux !
Vents du Nord, vents du Nord que ma faiblesse envie.
Puisque vous devez voir l'horizon de mes vœux,
Emportez donc mon cœur, emportez donc ma vie
Comme une cendre chaude éparse en vos cheveux !
(p. 109-110)

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