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18 mai 2008

Quartier Saint-Louis

Robert de Roquebrune, Quartier Saint-Louis, Montréal, Fides, Bibliothèque québécoise, 1981, 207 pages. (1re édition : Fides, 1966)

Roquebrune poursuit dans Quartier Saint-Louis, avec le même brio, le récit de sa jeunesse amorcé dans Testament de mon enfance. Le récit commence en 1897 alors que le jeune Robert a huit ans et se termine lorsqu’il en a 15 ou 16. Après avoir quitté le manoir de L’Assomption, la famille déménage à Montréal, sur la rue Saint-Denis, dans le quartier Saint-Louis. Roquebrune décrit Montréal, avant l’industrialisation qui va complètement le bouleverser au début du XXe siècle. Subsistent encore des vestiges de la Nouvelle-France, c’est-à-dire des vieilles demeures de pierres et des parties de seigneuries que les Seigneurs vendent pour se renflouer.

La structure du récit n’est pas très rigoureuse : c’est à la fois thématique et chronologique. Il commence par décrire ses premières incursions enfantines hors du giron familial, son entrée à l’école, ses premiers amis. Il parle bien entendu de son père et de sa mère, des domestiques qui vivent avec eux, mais à peu près pas de ses frères et sœurs. Son père, comme la plupart des seigneurs, pleure sa splendeur perdue. Roquebrune prend manifestement plaisir à rappeler le nom de ces personnages titrés, se moque gentiment de leur attachement au passé... (voir l’extrait)

Son père possède un certain nombre de logements dans les quartiers ouvriers et il a un peu honte d’aller chercher le loyer. Sa mère, très différente, semble porter peu d’attention à son titre de seigneuresse. Elle s’ennuie beaucoup de la campagne, des champs et des bêtes et, chaque été, elle déménage sa famille dans un lieu de villégiature, habituellement près de l’eau. Ainsi au fil des ans, ils vont passer des étés à Boucherville, à Rimouski, aux Éboulements, à Gaspé, à Saint-Paul-de-l’île-aux-noix... Pour Robert, ces pérégrinations font partie de ses plus chers souvenirs de cette époque. Il parle du merveilleux esprit de liberté qu’il ressentait, de ses découvertes de la campagne mais aussi du Saint-Laurent, des personnages qu’ils ont rencontrés, entre autres de cette femme aux Éboulements, qui avait perdu son père et son fiancé dans un naufrage et qui inventait des histoires qui n’étaient que sa propre vie romancée. Ou encore, de cette jeune veuve rencontrée en Gaspésie, qui refusa de se remarier, par loyauté envers sa belle famille, qui avait besoin d’elle pour gérer ses affaires. Vers la fin du récit, il est devenu un grand adolescent, presqu’un homme. Il raconte ses premiers émois amoureux (pour la sœur d’un ami de trois ans plus âgée) et sa peine quand il apprend que la jeune fille va se marier.

Encore une fois, répétons-le, un charme se dégage de ces récits, pourtant bien anodins. Robert de Roquebrune ne s’en cache pas, il a sélectionné des moments heureux : « Je vois bien [...] que si je n’ai évoqué que des moments heureux, c’est que je n’ai gardé en mémoire que mon bonheur ». En fait, tout nobles qu’ils soient, fiers de leur titre sans en être imbus, bien que très paternalistes, les Roquebrune montrent un sens de la responsabilité face aux plus démunis, domestiques, valets et paysans, une authentique noblesse qui les honore. ****

Extrait
Mon frère Roquebrune et moi étions fréquemment invités chez notre grand-mère. Mes deux autres frères et mes sœurs n’y paraissaient guère parce ces agapes les ennuyaient. C’est que ces somptueux repas étaient sévères et formalistes. Mon frère aîné, qui était très « familial », y trouvait un austère plaisir et ma gourmandise de grandes satisfactions.

La tablée était généralement de quinze couverts. Les convives, tous parents, étaient placés selon un rite de degrés de cousinage. On mangeait dans de magnifiques porcelaines, une argenterie massive et revêtue d’armoiries. La conversation ne sortait guère de questions généalogiques, de regrets du passé et de critiques du temps présent. Tous ces gens si courtois et qui me paraissaient très âgés, semblaient avoir été frustrés de quelque chose au cours du XIXe siècle. Ils avaient certainement perdu une partie de leur fortunes et complètement leur importance. On ne tarissait pas sur le sombre avenir que serait le nouveau siècle. Ce pessimisme au sujet d’une époque qui serait la mienne me remplissait d’appréhension. Et je regrettais de n’être pas né soixante ans plus tôt, de n’avoir pas vécu comme eux, dans un temps où on était riche et heureux. Car tous semblaient avoir connu une existence où les gens de leur espèce étaient environnés de luxe. Ils étaient nés dans des manoirs, sur les bords du Saint-Laurent ou du Richelieu, ils avaient été des seigneurs. Les manoirs étaient disparus avec les seigneuries. Une mystérieuse catastrophe était passée sur tout cela. Ils étaient les survivants d’un naufrage.

J’écoutais leurs propos qui formaient une longue suite de mots pessimistes piqués sur la conversation générale. Et j’avais vaguement l’impression d’assister à un diner de fantômes. Ils appartenaient tous au passé. Ils étaient la fin d’une aristocratie, la mort d’un monde. Ces vieux gentilshommes et ces vieilles dames, leurs noms, leurs particules, leurs idées et leurs sentiments n’appartenaient plus à la vie. Ils étaient aussi loin de la réalité que les portraits d’ancêtres pendus aux murs de la salle. (p. 152-153)

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