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27 avril 2008

Les hommes ont passé

Jacqueline Mabit, Les hommes ont passé, Montréal, Beauchemin, 1948, 225 pages.


Plusieurs Français, sans s’installer à demeure, ont laissé un témoignage de leur passage au Canada. Le plus célèbre, bien entendu, est Louis Hémon. Mais on peut penser aussi à Marie Le Franc, Maurice Genevoix, Maurice Constantin-Weyer... Ces écrivains se sont inspirés de leur expérience nord-américaine. Tel n’est pas le cas de Jacqueline Mabit.

Jacqueline Mabit (1919-??) a vécu sept ans au Québec. Les Hommes ont passé est son deuxième roman. Elle avait publié La Fin de la joie chez Parizeau en 1941. Vous pouvez trouver quelques détails sur les circonstances de son « passage » au Québec dans le DALFAN. J’ai quelque peu hésité avant de bloguer ce roman parce que l’action se passe entièrement en France. Mais il a fait partie de la vie littéraire d’ici, ne serait-ce qu’il a été publié par Beauchemin.

Ce roman se déroule dans un petit bled, quelque part en Normandie. « Le Cotin était un ancien hameau juché sur une de ces collines douces de pente comme il s’en rencontre en Normandie. » Le personnage principal, Hélène Marais, est une jeune fille qui est revenue vivre chez son père après ses études. Celui-ci, riche et sévère, est un homme sans joie, contrôlant, austère. Certains villégiateurs habitent aussi ce hameau pendant l’été. L’un d’eux, Philippe Barras, tombe amoureux d’Hélène au moment même où son père décède. C’est un artiste peintre. Elle l’épouse, mais leur histoire sera de courte durée. Il la quitte après l’arrivée de leur enfant. « Après sa maternité, elle était demeurée attachée à son enfant âprement comme si elle le portait encore en son sein. Et son mari, dès lors, lui était devenu indifférent. » Elle va élever seule son fils jusqu’à quinze ans. Puis, pour fuir son isolement et parce que son fils se montre très indépendant, elle décide de s’installer à Paris. Elle retrouve son ex-mari et les deux reprennent, pendant quelques années, la vie commune. Mais encore une fois, elle sera déçue. Son mari est distant, indépendant. Et elle finit par réaliser qu’il la trompe. Pour combler son immense besoin d’amour, elle décide d’enseigner aux enfants défavorisés. Elle adopte même une jeune fille, Maria, qui, pendant un moment, lui offre l’amour qu’elle a toujours cherché. Mais la jeune fille vieillit et finit, elle aussi, par s’en aller. Son mari la quitte, son fils, froid et indépendant, la tient à distance. Bref, elle est encore seule. Elle décide de rentrer au Cotin et, avec ses serviteurs, elle ouvre un petit orphelinat pour jeunes filles abandonnées. Maria et une ancienne amie viennent la retrouver. Le roman se termine sur cette note heureuse.

Ce roman serait assez ordinaire, si ce n’était le point de vue sur les hommes que développe l’auteure. Tous les hommes vont décevoir Hélène, aucun ne saura répondre à son immense besoin de donner et de recevoir de l’amour. Ceci étant dit, les personnages masculins m’apparaissent peu crédibles, surtout son fils, ce qui enlève toute force à la thèse. Pour le reste, c'est un roman très facile à lire. Si je reproche à certains auteurs de s’appesantir dans les analyses qui n’en finissent plus, ici, c’est un peu le contraire : le roman court trop vite vers son dénouement. ***

Extrait
Il faut être jeune pour sortir par un tel temps, sans autre but qu'un entretien de soi avec soi-même ! Jeune ou bien très vieux. Or, Hélène arrivait à l'âge où les plaisirs de la jeunesse deviennent jouissances de sage. Cette randonnée avait saveur à la fois d'escapade et de méditation. L'âme grande ouverte, elle goûtait le paysage, son intimité, son abandon, puis, sans effort, comme on ferme les yeux, elle songeait à sa vie.
Présents et effacés, tels les chemins qu'elle laissait après elle, les visages aimés lui revenaient à l'esprit. Aimés autrefois et aimés encore. Tous ceux qui l'avaient fait souffrir, mais ne l'avaient point abîmée; tous ceux qui avaient modelé son cœur. Son père, son mari, son fils. Trois hommes qui ne l'avaient pas comprise, parce qu'elle-même ne les avait pas compris. En somme, trois hommes qu'elle avait fuis : son père, par pudeur, son mari par maladresse et son fils par faiblesse.
Maintenant ce désir d'un compagnon était bien éteint. D'autant plus aisément éteint qu'il n'avait jamais occupé son âme avec hantise. Pour elle, l'amour n'avait pas dépassé le stade romanesque, celui du fiancé rêvé! Immédiatement il était devenu maternel.
Oui, elle était celle-là qui a toujours besoin de donner ; les seins éternellement gonflés, pour échapper au mal, à la douleur, il lui fallait laisser couler la source d'amour.
Maria, la belle aux yeux si bleus, qu'elle avait choyée avec la tendresse qu'on éprouve pour ceux qui doivent tôt nous quitter, que devenait-elle? Saurait-elle être heureuse?
Aux souvenirs des promenades d'autrefois, en compagnie de sa fille adoptive, Hélène connut l'amertume des bontés déçues. (p. 219-220)

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