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2 octobre 2007

Quand j'parl' tout seul

Jean Narrache (Émile Coderre), Quand j'parl' tout seul, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 130 pages. (Illustrations de Jean Palardy)

Après un premier recueil passé inaperçu, Émile Coderre devient Jean Narrache et, du même coup, il abandonne les formes classiques, adopte le langage populaire pour écrire Quand j'parl' tout seul et devient très populaire. Plus encore que Clément Marchand, Jean Narrache, c’est le poète de la Crise, des laissés-pour-compte.

Dès le premier poème, « Pas d’instruction », le ton et la manière sont donnés : « Non, moé j’sus pas communisse / j’sus pas non plus contre les Ugnons. / J’veux pas d’mal aux capitalisses / et j’braill’ pas contre les patrons. » On l’aura compris, l’ouvrier de Coderre n’est pas un révolutionnaire. Il dénonce la situation sans crier trop fort, comme s’il avait peur de déranger, comme s’il avait intériorisé la devise « quand on est né pour un p’tit pain ». On découvre aussi que l’auteur emploie un certain langage populaire, un langage populaire épuré tout de même ; il y a peu d’anglicismes, pas de jurons, pas vraiment de vulgarités : il se démarque surtout par l’élision des e, par certaines transcriptions phonétiques.

L’ouvrier voudrait bien parler, mais il n’y arrive pas : « J’ai l’cœur gros, j’étouff’ de m’taire ! / J’voudrais parler, J’voudrais parler! ». Plusieurs poèmes illustrent cette misère – et le scandale que cela constitue – en plaçant un miséreux devant la société d’abondance : « Quiens! j’me sus rendu en marchant / - Histoir’ de r’garder les vitrines, - / Jusque chez Morgan… » Bien entendu, les profiteurs, ce sont les « gens d’la haut’ », les « économisses », les « capitalisses ». Coderre dénonce leur hypocrisie, comme dans son poème le plus connu « Les deux orphelines » : c'est le titre d’une pièce de théâtre qui fait pleurer les bourgeois. Pourtant, lorsqu’une orpheline, à la sortie du théâtre, ose quémander quelques sous, ces mêmes personnes, qui viennent de verser des larmes sur des pauvres fictifs, la repoussent sans ménagement. Et Narrache conclut : « Le mond’ c’est comm’ ça! La misère, / en pièc’, ça les fait pleurnicher; / mais quand c’est vrai, c’t’une autre affaire! » Notons au passage que l’Église et les politiciens sont ménagés, l’auteur s’en prenant surtout aux acteurs du système économique.

Bien que le marasme économique frappe durement, je ne dirais pas que ce livre donne dans le misérabilisme. L’ouvrier n’est pas dupe : il sait que la Saint-Jean, les bals de charité, les commémorations de toutes sortes et mêmes les rituels religieux n’ont pour but que de le distraire de sa condition, de camoufler sa misère. D’une certaine façon, il se considère plus honnête que tous ces profiteurs, ce qui l’élève au-dessus d’eux. Il faut lire le poème « Les philanthropes » : « Les journaux l’z’appell’nt philanthopes; / C’est d’l’annonc’, ça leur fait un v’lours! / Dans l’fond, ça leur coût’ pas un’ coppe, / Pusque c’est nous autr’s qui pay’nt pour. » L’ironie, le sarcasme, une froide lucidité sont quand même les armes de gens qui conservent leur dignité. Il faut lire la conclusion de son poème sur le golf : « Les pauverr’ yâb’s, on est les boules / Que ces messieurs fess’nt à grands coups; / Y sont contents quand i’ nous roulent / Pis qu’i nous voient tomber dans l’trou. » Dans le même registre, il faut lire aussi « Assuré contre les accidents ». Un pauvre gars découvre qu’il vaut plus cher mort que vif. Et il philosophe : « C’est pas de c’que la mort m’épeure, / Mais j’aim’ ben ça, à vivr’, moé-tou… »


EN FAUT DES PAUVRES
En faut des pauvr's, c'est entendu!
Mais l'plus curieux là-d'dans, c'est p't-être
Parc' qu'on est pas encor' rendu
A choisir ceux qui devraient l'être.

Etr' pauvr’, mais c'est tout un méquier,
Un' profession ben honorable;
J'connais d'z'avocats éduqués
Qui f'raient pas des quéteux passables.

I' faudrait qu’l’Université
Fonde un' chair' de Vache Enragée:
Comm' ça les membr's d'notr' Faculté
Sauraient qu'leu vie est protégée.


Voir les illustrations de Jean Palardy

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