LIVRES À VENDRE

4 juillet 2007

En guettant les ours

Edmond Grignon (Vieux doc), En guettant les ours, Mémoires joyeux d'un médecin des Laurentides, Montréal, Beauchemin, 1930, 259 pages. Édition révisée, corrigée, augmentée, illustrée par A. Bourgeois, A. A. Labelle et Mat (1re édition : Montréal, Édouard Garand, 1930, 238 pages)

Edmond Grignon, qui se faisait appeler Vieux Doc, était l’oncle de Claude-Henri Grignon et de Germaine Guèvremont. C’est le curé Labelle lui-même qui l’aurait incité à s'établir à Saint-Agathe-des-Monts, en 1886, pour exercer la médecine. À lire ce recueil de souvenirs, on comprend que Grignon était un personnage haut en couleurs qui s’amusait de tout.

Il raconte par exemple comment, tout jeune enfant, il prit sa première brosse : son père, cabaretier, jetait un « plein sceau de cerises » dans ses tonneaux de whisky. Par mégarde, un employé qui roulait le tonneau à l’extérieur ne s’aperçut pas qu’il s’était vidé en partie. Mais les poules et le jeune Edmond découvrirent le précieux butin et prirent une bonne cuite : « Toute la basse-cour semblait ivre […] Le maître Coq, la face apoplectique, faisait la roue autour des poules, et s'affaissait sur le côté; celles-ci s'écrasaient pour recevoir ses caresses, impuissantes ensuite à se relever. Les poulets et les poulettes jouissaient de l'existence en roucoulant comme des colombes. Des cochets, au vin mauvais, le cou gonflé par la colère, se crêpaient la crête et s'arrachaient les plumes en poussant des cris gutturaux. Et les deux petits garçons qui les regardaient, s'endormirent et roulèrent au milieu de l'orgie... » Il raconte encore sa jeunesse de jeune séducteur, certains épisodes de sa vie étudiante quand il allait « voler des cadavres », plusieurs histoires de pêche (il y avait tellement de poissons qu’il fallait « se cacher pour appâter les hameçons »), quelques épisodes liés à sa pratique de la médecine dont l’un sur ce sujet assez extraordinaire : quand une personne savait qu’elle allait mourir, elle « prenait les commissions pour l’autre monde ».

Ce sont aussi les « pauvres gens » qu’il côtoyait et qu’il aimait qui sont le sujet de maintes anecdotes : leur parler, leurs croyances naïves, leurs réparties savoureuses comptent pour beaucoup dans les récits du Vieux Doc. Par exemple, il se moque d’un restaurateur, sans instruction, qui avait l’amour des grands mots. Pour épater ses clients, il émaillait sa conversation de mots dont il ne comprenait pas le sens. Par exemple, il aurait dit : « Regardez donc, Messieurs, quel beau panama! Comme c'est pythagore! » Il faut remplacer « panama » par « panorama » et « pythagore » par « pittoresque ». Le Vieux Doc et ses amis, quand ils voyaient que le restaurateur les écoutait, faisaient exprès pour l’induire en erreur, pour mieux se gausser après coup. Il y a aussi cette vieille dame qui employait « suppositoire » pour « supposition ». On imagine les quiproquos! Il s’excuse, pour la forme, de présenter des sujets plus triviaux : ainsi il raconte l’histoire d’un « pauvre colon », à moitié sourd, qui l’avait consulté pour une conjonctivite et une irritation du rectum. Il revint la semaine suivante, plus malade que jamais : il avait interverti les médicaments.


En tout son livre compte 23 chapitres, dont certains comportent deux ou trois anecdotes. Dans les derniers, sur un ton plus sérieux, il présente un bilan de sa vie, entre autres de sa pratique médicale. Et les ours du titre? Laissons l’auteur expliquer lui-même l’expression : « Les colons, habitués à faire le guet dans les ténèbres avec leurs fusils pour protéger le grain et le bétail contre les ours, appelaient également guetter les ours le fait d’attendre la venue de ces pauvres innocents. »

Extrait

LA BAISETTE
On parle beaucoup du curé Labelle, le roi du Nord, surtout depuis que l'abbé Elie Auclair, ce classique, a publié une biographie si intéressante du grand homme.

Mais l'écrivain n'a pas dit comment son héros, qui s'exprimait toujours en termes choisis en chaire ou dans ses conversations avec les gens instruits, aimait à causer avec les gens de son entourage et ses colons dans un langage simple et familier. Il les tutoyait tous et parlait comme eux : « moé, toé, à mâtin, à soir ».

Il était non seulement le roi des Laurentides, mais aussi le prince du terroir.

Il ne détestait rien tant que les cérémonies, et quels supplices il eut à endurer quand on le gratifia du titre pompeux de « Monseigneur » attaché à la charge de protonotaire apostolique.

Cédant aux instances de ses nombreux amis, il dut consentir à donner une grande réception à ses paroissiens, qui accoururent en nombre, les hommes en habit noir, les dames dans leurs plus éclatantes toilettes, lui présenter leurs hommages et pratiquer le baise-main que bien des gens croyaient de rigueur en une telle circonstance.

L'humble prêtre bouillait et quelques-uns des anciens Jérômiens se rappellent encore la moue qu'il esquissait et les paroles épicées qu'il prononçait tout bas, en réponse aux compliments parfois exagérés de ses admirateurs.

Le lendemain matin, le bon curé, pas plus fier pour tout cela, disait la messe basse comme d'habitude. Le frère Guy, directeur du collège avait recommandé aux servants d'avoir à baiser la bague de monseigneur chaque fois qu'ils lui présenteraient un objet.

Le jeune Émile Beauchamp, aujourd'hui un commerçant de la métropole, servait la messe ce jour-là et n'oublia pas de se conformer consciencieusement à la consigne.

Le bon prêtre paraissait énervé, et quand, à la fin de l'office, Émile lui offrit pour la dernière fois la burette à l'eau, il lui fallut, pour baiser sa bague, courir après la main du célébrant qui, impatienté, lui cria. « Veux-tu ben me lâcher la baisette, toé, à matin? » (p. 179-180)

Aucun commentaire:

Publier un commentaire