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7 mai 2007

Au large de l'écueil

Hector Bernier, Au large de l’écueil, Québec, Librairie de l’Événement, 1912, 319 pages
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Sur le bateau qui le ramène à Québec, Jules Hébert rencontre une touriste française, Marguerite Delorme. Celle-ci vient visiter le Canada en compagnie de ses parents. C’est le coup de foudre. Pourtant, cet amour lui est interdit, puisque le père de la jeune fille est un socialiste athée, un ennemi juré de la religion catholique. Jules essaie donc de se convaincre que cet amour n’est que pure amitié. Au retour, il se garde bien d’en dire mot à son père, un catholique rigoriste qui ne lui pardonnerait pas cette toquade. Les Delorme passent quelque temps à Québec et Jean leur sert de guide. À l’insu de ses parents, il fréquente la jeune fille. Les nombreux clochers qui dominent la ville, la foi ardente de Jules et, surtout, une visite à Sainte-Anne-de-Beaupré finissent par semer un doute, vitement réprimé tant l’influence de son père est forte, dans l’esprit athée de Marguerite. Des élections se préparent à Ottawa. Le père de Jules a été pressenti comme candidat, mais il préfère laisser la place à son fils. On ne voit pour ainsi dire pas la campagne électorale. Pendant que Marguerite et ses parents quittent la capitale pour visiter le Saguenay, Jules s’occupe de son élection et se fait élire comme candidat du parti patriote.

Quand l’élue de son cœur revient passer quelque temps à Québec, avant de poursuivre son voyage vers Montréal et le Canada anglais, Jean continue de la voir en cachette. Finalement son manège est découvert. Pour son père, c’est un scandale, une spoliation du nom des Hébert…. Il renie son fils! Quant à sa mère, sa sœur et même monsieur le curé, c’est plutôt de la compassion qu’ils témoignent au jeune homme, qui devra apprendre à vivre sans cet amour, car tout le monde - et même Jules - est d’accord sur un point : il ne peut l’épouser. « Un gouffre isole nos cœurs, et c’est pour la vie… », se lamente Jules. « Tu vois l’écueil, navigue au large », lui dit sentencieusement monsieur le curé. Les deux amoureux choisissent le sommet du Cap Tourmente pour scène d’adieux. Après bien des détours et des sous-entendus, dans un climat déchirant, ils finissent par s’avouer leur amour. 

De retour chez elle, Jeanne passe une nuit dans les pleurs. Cette douleur aigue vient réveiller une ancienne méningite mal guérie. Elle perd lentement la vue. Son père et sa mère interrompent leur voyage et font venir à son chevet les meilleurs médecins, dont l’un de Montréal et un autre de New York. Rien n’y fait ! Dans la noirceur qui envahit lentement ses yeux, elle aperçoit une lumière, celle de la foi, au grand dam de son père. Elle refuse qu’on avertisse Jules qui la croit partie. Toutefois, elle finit par appeler Jeanne, sa sœur, qui la convainc que seul… un voyage à Sainte-Anne-de-Beaupré peut maintenant sauver ses yeux. Son père, sceptique et sarcastique, par amour pour sa fille, finit par céder. Et, après bien des prières, le miracle se produit. « Les prunelles, dilatées soudain, s’emparent triomphalement de la lueur d’or que le soleil vient de lancer dans le Chœur de la Basilique… » Le père, sans renoncer à son athéisme, est obligé d’abdiquer. Il décide de laisser sa fille à Québec pour lui permettre d’épouser son Jules.

Les idées d’Hector Bernier valent la peine qu’on s’y arrête. Au plan politique, les Hébert défendent les couleurs du parti patriotique. Qu’est-ce à dire? Que les francophones doivent accroître leurs pouvoirs? Se séparer? Pas du tout! Les Français et les Anglais doivent combler les fossés de méfiance qui les séparent, se donner la main : la vraie croisade, il faut la mener contre le socialisme, l’athéisme. (voir l’extrait) À l’appui de leur thèse, les Hébert font valoir que la Conquête nous a donné la liberté britannique et que les deux peuples fondateurs partagent le même Dieu. Bref un patriote, c’est un soldat de la chrétienté, peu importe sa langue. Autre point intéressant, c’est la vision de la France, de la France républicaine, laïque, avec ses partis de gauche, ses écoles déconfessionnalisées. 

Et on mesure l’écart avec le Québec du début du siècle, maintenu dans l’idéologie de conservation par la poigne de fer du clergé. Il suffit de mentionner l’amalgame d’appellations dont on affuble les Delorme pour s’en faire une idée : ils sont tour à tour qualifiés de « francs-maçons », de « jacobins », de « persécuteurs de l’Hostie des Franciscains », de « sectaires », de « voltairiens », de « matérialistes »… Il faut dire que les Delorme aussi bien que les Hébert donnent dans le prosélytisme le plus élémentaire. 

Pour ce qui est du roman lui-même, c’est plutôt mauvais. Les personnages sont des marioles entre les mains de l’auteur. Les nombreux dialogues, les répliques qui n’en finissent plus, constituent des joutes oratoires à peine déguisées, très emphatiques, où ce sont la thèse et l’antithèse, plutôt que les personnages, qui s’affrontent. 

Extrait (C’est le curé qui parle) 

Le Canada, s’il veut devenir quelqu'un dans l'histoire, ne peut se passer de religion !... Sans elle, tu le sais, les foyers s'effondrent, les familles croulent, les races deviennent veules, les femmes n'ont plus l'héroïsme de l'enfantement, c'est la débâcle des jouissances... Il faut, au Canada, le respect de l'amour, les foyers saints, la natalité vigoureuse, l'entassement des moralités fécondes !... L'athéisme infailliblement mènerait au Canada sans amour, sans familles, sans enfants, sans mœurs, au Canada des jouisseurs, des mollesses et des prostituées !... Il faut opposer à l'athéisme destructeur des peuples forts une cuirasse imperméable !... L'âme canadienne sera le bouclier de bronze inflexible!... Elle sera faite d'amour, amour des races fraternelles, amour de la liberté, amour du sol, tous prenant leur source en l'amour de Dieu !... Tout autant que nous, les Canadiens français, les Anglais aiment le même Dieu... Va, mon fils, prêcher la croisade patriotique de Dieu contre l'invasion des sectaires malsains. .. On t'appellera le théoricien, le colporteur de songes creux... Mais va ta route, insensible aux sarcasmes et à l'insulte... C'est avec des théories qu'on révolutionne et qu'on réforme... Une théorie mit le paganisme en déroute... Une théorie déchaîna les croisades... Une théorie mit la France en sang... Une théorie donna la liberté britannique au monde... C'est avec une théorie qu'on chassera Dieu, petit à petit, du Canada, si les querelles nous empêchent de veiller... C'est avec une théorie qu'on fera mordre la poussière à l'athéisme, s'il essaye de s'infiltrer dans les artères de la nation canadienne... Va, mon fils, prêcher la théorie de l'âme canadienne !... Les choses mêmes qui la retardent serviront à la rendre nécessaire, inévitable !... Ce que nous appelons le fanatisme des Orangistes et ce qu'ils appellent le fanatisme des Papistes est, en somme, un même amour des croyances du berceau, et nous retrouvons, à la base d'elles, un même Dieu que nous adorons du même amour!... Tu leur diras cela, tu leur diras qu'il faut oublier la haine pour ne songer qu'à l'amour, afin de former la Sainte Ligue contre l'athéisme qui, moralement et physiquement, affaiblirait les races au moment même où elles ont besoin de force et de morale pour commencer la carrière d'un peuple immortel !... Prêche, le génie pratique anglais fera le reste... Va, mon fils, n’aie peur de personne et de rien, fais aimer ta race par ta noblesse et ton courage, sois vainqueur à force d’éloquence et de clarté! (p. 171-174)

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