Marcel Trudel, Vézine, Montréal, Fides, 1946, 264 p.
Saint-Narcisse de Batiscan, 1917. Il s’appelait Carolus Vézina, on l’appela Vézine. Il avait une « oreille de chauve-souris » et il était orphelin. Il vivait seul, travaillant juste assez pour assurer sa survie, chassant et pêchant, ne pratiquant pas vraiment la religion, n’ayant jamais eu aucun béguin amoureux, préférant la compagnie des bêtes à celle des hommes. C’était un peu le simplet du village, un vieux garçon inoffensif. Il avait pourtant comme ami le personnage le plus important du village, un homme influent dans le comté, Nelson Thibault. Lui aussi avait une légère infirmité, ce qui les avait rapprochés autrefois, tout comme l’amour de la pêche le faisait aujourd’hui.
Saint-Narcisse de Batiscan, 1917. Il s’appelait Carolus Vézina, on l’appela Vézine. Il avait une « oreille de chauve-souris » et il était orphelin. Il vivait seul, travaillant juste assez pour assurer sa survie, chassant et pêchant, ne pratiquant pas vraiment la religion, n’ayant jamais eu aucun béguin amoureux, préférant la compagnie des bêtes à celle des hommes. C’était un peu le simplet du village, un vieux garçon inoffensif. Il avait pourtant comme ami le personnage le plus important du village, un homme influent dans le comté, Nelson Thibault. Lui aussi avait une légère infirmité, ce qui les avait rapprochés autrefois, tout comme l’amour de la pêche le faisait aujourd’hui.
Thibault, instruit, était riche et vivait maintenant de ses rentes. Il avait trois filles. Les deux plus vieilles étaient un peu comme leur mère : elles se prenaient pour des « femmes du monde ». La plus jeune, Luce, 15 ans, était plutôt comme son père. Garçonnière, rebelle, elle courait les bois, préférant la pêche aux travaux de couture et accompagnait son père et Vézine dans leurs randonnées. Vézine, qui n’avait jamais parlé à une fille de sa vie, tomba sous le charme, tout de candeur, de cette jeune fille. Et elle aussi se plaisait bien dans la compagnie de ce vieil amoureux de la nature (il a 43 ans). Elle allait souvent chez lui, attirée davantage par sa ménagerie (ses souris, ses oiseaux) que par Vézine lui-même. Ce qui au début n’était qu’un vague sentiment paternel se transforma en sentiment amoureux chez Vézine. Les commères se chargèrent d’avertir la mère de Luce : une jeune fille seule dans la maison d’un vieux garçon, a-t-on idée! La mère essaya d’intervenir, mais Luce n’en fit qu’à sa tête, trouvant ridicules ses admonestations.
Vézine, devenu le paria du village, décida envers et contre tous que cette Luce serait sienne, ce que la jeune fille ne percevait pas. Il réussit même à se convaincre qu’elle l’aimait. Il essaya d’obtenir le poste de cantonnier, histoire de devenir un parti acceptable pour la famille Thibault.
L’automne vint et les parents envoyèrent la jeune fille au couvent des Ursulines à Trois-Rivières. Vézine, que la grogne publique accablait, fut forcé de quitter le village. Il déménagea ses pénates chez une cousine qui habitait au fond d’un rang. Il revit brièvement Luce lors de la messe de Minuit; comme elle lui avait souri, il continua d’entretenir son projet insensé.
Il passa l’hiver chez ses cousins, faillit mourir. Ayant repris ses forces, il décida d’aller voir sa bien-aimée au couvent à Trois-Rivières, là où il avait vécu 35 ans plus tôt en orphelinat. L’entretien fut court; elle accepta le petit cadeau qu’il lui offrit, ce qui le conforta dans ses illusions. L’été revint, il travailla au loin et ne revit pas la jeune fille. Le terrible automne 1918 advint et apporta avec lui la terrible grippe espagnole. Essayant de redorer sa réputation dans le village, Vézine accompagna le médecin dans ses déplacements pour aider les malades. Aussi quand sa chère Luce tomba malade à son tour, il n’en sut rien. Plus encore, personne ne lui dit qu'elle était décédée et ainsi il rata le service funèbre. Qu’à cela ne tienne, il peut maintenant visiter la défunte au cimetière pour qu’ainsi survive à jamais son rêve amoureux.
Le grand historien Marcel Trudel mit quatre ans à écrire ce roman. Ce fut sa seule œuvre littéraire. Avait-il le talent d’un écrivain? Certainement. Son roman est bien écrit. Il rend bien le contexte historique et certains événements, comme la grippe espagnole. L’auteur a un sens de l’observation très aigu. Je pense ici à la scène au magasin général : c’est vivant, pittoresque, un petit morceau d’anthologie pour amateur de « vieilles choses, vieilles gens ». D’autres scènes comme celle-ci retiennent l’attention. Mais ce ne sont que des scènes. Le problème, comme c’est souvent le cas dans ces « vieux romans », c’est l’intrigue, c’est l’intégration des scènes et des descriptions. De longues descriptions de la nature plaquées en début de chapitre, question de prouver qu’on a du style, des personnages qu’on veut pittoresques mais qui demeurent superficiels tant on craint de sonder l'abîme derrière la façade, une intrigue qui n'exploite pas ses données de départ…
Il faut le dire toutefois, le contexte ne favorisait pas les créateurs : je pense que ce roman illustre très bien la trop grande prudence des romanciers. L’histoire de Trudel aurait pu (aurait dû) être scabreuse, elle est tout simplement angélique. Un « vieux garçon » de 43 ans qui séduit une jeune fille de 15 ans, il y avait là matière à faire un drame, à sonder l'âme des saintes petites paroisses de l’arrière-pays québécois. Rien de tel. Même dans les romans, on évite les scandales! Trudel a choisi au départ un personnage naïf, ce qui dédramatise et déculpabilise la société. Et la mort de la jeune fille, elle par qui le péché faillit advenir, vient déraciner les fleurs du mal qui pointaient leur nez près de la Batiscan. ***
Collection Alouette bleue no 3, 1962 |
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