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9 avril 2007

Forestiers et Voyageurs

Joseph-Charles Taché, Forestiers et Voyageurs, Montréal, Librairie Saint-Joseph, 1884, 238 p.

(Ce récit est paru d’abord, en feuilleton, dans Les Soirées canadiennes en 1863.) 

Comme le dit Luc Lacoursière en introduction dans la collection du Nénuphar, Forestiers et Voyageurs est « un mélange assez difficile à définir ». Le récit navigue entre le documentaire et la fiction, entre l’étude ethnographique et le conte folklorique, entre la littérature et l’histoire. Chose sûre, il est tout à fait instructif pour tous ceux et celles qui s’intéressent aux forestiers et aux voyageurs. Il va de soi que Taché aime beaucoup ces personnages. Il est remarquable aussi de constater tout le respect qu’il voue aux Autochtones, aussi bien à leurs grandes connaissances de la nature qu’à leur spiritualité.

L’action débute vraisemblablement vers les années 1820. La narration est assez complexe. Le narrateur, on l’apprendra plus tard, est un médecin quelque peu désœuvré. Nous sommes en janvier. Il se joint à une caravane chargée d’apporter aux forestiers des vivres et d’autres articles de consommation dans un chantier qui se trouve à deux jours de route, en amont d’une rivière dans le bas du fleuve. Il n’y a pas d’intrigue proprement dite. Taché décrit le camp, les différents métiers (le contremaître, le couque, les bûcheurs, les grand’haches, les piqueurs, les charretier, les claireurs), la nourriture. Nous faisons connaissance avec le Père Michel, un vieux voyageur qui chasse aux alentours et habite avec les bûcherons. C’est un conteur hors pair qui anime les soirées des bûcherons dans le camp. C’est lui qui assumera l’essentiel de la narration dans la deuxième partie du livre.

En effet, la suite est racontée par le père Michel, lors des deux soirées que le médecin passe au camp. C’est un narrateur de deuxième niveau. Tout en racontant sa vie, le père Michel enchâsse d’autres récits (je les mets entre parenthèses pour faciliter la compréhension), qui impliquent d’autres narrateurs.

Le père Michel est né à Kamouraska au 18e siècle. Ses parents étaient des agriculteurs, à une époque où l’agriculture était très florissante. Son père, sombrant dans cette vie facile, se mit à boire et perdit son bien. L’enfant fut recueilli par le curé qui l’éduqua et l’employa jusqu’à ses 17 ans. Ensuite, il travailla pendant quelques années pour le Seigneur de Kamouraska. Il s’occupait d’une pêche sur le Saint-Laurent, tout en habitant l’île-aux-Patins. (Il raconte l’histoire d’un compagnon de travail qui s'est noyé dans une fosse avec son cheval en voulant retourner sur l’île en pleine nuit.) Bientôt, il quitta cet emploi et déménagea à Paspébiac, s’adonnant à la pêche à la morue. (Il raconte l’histoire d’un bateau en feu qu’ils tentent en vain de secourir, le bateau s’éloignant à mesure qu’ils s’en approchent. Les vieux leur apprirent qu’il s’agissait du « feu de la baie », un feu apparu suite au Grand Dérangement pour tourmenter les Anglais incendiaires.) Dans la Baie-des-Chaleurs, il se lia avec les Micmacs et partagea même quelques saisons de chasse avec eux. (Il raconte l’histoire du passeur de Mitis qui assassina trois Anglais, eux qui avaient tué sa femme lors de la Conquête.) De retour dans la région de Rimouski, il s’allia à un Autochtonenommé Ikès et les deux partagèrent un territoire de chasse. On disait d’Ikès qu’il était sorcier, ce que le père Michel eut l’occasion de vérifier. De temps à autre, il devait faire des sacrifices à un esprit, qu’il appelait Mahoumet, sinon la chasse s’en ressentait grandement. L’année suivante, il s’allia à un dénommé Lévesque de l’Île-Verte et devint chaloupier. Ils transportaient des marchandises et des gens. Ils traversaient souvent sur la Côte-Nord, entre autres à Tadoussac. (Il raconte quelques épisodes dans la vie de deux missionnaires et décrit leur grande amitié avec les Montagnais.) Le père Michel et Lévesque décidèrent d’aller trafiquer avec les Montagnais, ce qui était défendu, les Autochtones devant obligatoirement vendre leurs peaux aux Postes du roi. Ils se rendirent jusqu’à Mingan et descendirent en suivant la côte jusqu’à Portneuf, sans être inquiétés. Là, ils furent interceptés par des garde-côte et, dans l’altercation qui s’ensuivit, le père Michel blessa gravement le commis qui les avait arraisonnés. Malheureux, il promit de se rendre à Beaupré, si Dieu voulait bien laisser la vie au commis.

Ici se termine la première soirée de contes du père Michel. Le lendemain matin, le docteur l’accompagne sur son « chemin de plaques ». Le narrateur en profite pour décrire différents pièges, entre autres une martrière. En après-midi, c’est le contremaître qu’il accompagne. Il décrit les différentes opérations que subit un arbre, de l’abattage jusqu’à la jetée.

Le soir venu, le père Michel reprend sa narration devant les bûcherons assemblés. À Québec, il rencontra un représentant de la compagnie du Nord-Ouest et signa un contrat de cinq ans. Il remit à plus tard sa promesse de se rendre à Beaupré. Ici commencent ses aventures de voyageur dans les pays d’en haut (Manitoba, Saskatchewan, Alberta...). (Tout en décrivant le trajet des voyageurs, le père Michel insère dans son récit des légendes, dont celle du « Noyeux du père récollet », celle de « L’hôte à Valiquet » et celle, célèbre, de « Cadieux ». On découvre le quotidien et le rituel des voyageurs : certaines chansons, les rites d’initiation, comment ils faisaient pour se débarrasser d’un nouveau (un mangeur de porc) qu’ils n’aimaient pas, certaines légendes des Sauteux.) Au bout de cinq ans, le père Michel se réengagea pour quatre autres années, repoussant encore sa promesse de pèlerinage. La deuxième partie de son contrat fut difficile : la compagnie de la Baie d’Hudson tenta de déloger la compagnie du Nord-Ouest. Il y eut même quelques batailles armées. Finalement, le tout se termina en 1806 (seule date précise dans le récit) par la capitulation de la compagnie canadienne. La même année, le père Michel revint dans le Bas-Canada. Sa première action fut de se rendre à Portneuf, pour découvrir ce qu’il était advenu du commis qu’il avait blessé. Il apprit qu’il était Anglais et qu’il s’était converti au catholicisme avant sa mort. Le père Michel décida d’accomplir quand même sa promesse : il se rendit à Beaupré pour se faire pardonner. Après, il doit avoir à peu près quarante ans, il « vécut tranquillement et sans aventures ». Ainsi se terminent la deuxième soirée et le récit de Taché.

De façon maladroite, Taché va remettre la narration au docteur dans le chapitre 19. Le médecin va raconter la vie des hommes-de-cages : leurs techniques pour construire les cages (les cribes, les drames), le travail des cageux, leur vie au quotidien, les dangers du métier, surtout dans les rapides. ****

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