Mariane Favreau (née Jacqueline Marsolais), Le gagne-espoir, Montréal, éd. Orphée, 1961, n. p. [environ 58 p.]
Mariane Favreau (1934-1999) a fait sa marque comme journaliste, entre autres à La Presse. Elle n’a publié qu’un recueil de poésie, Le gagne-espoir, en 1961. Ses poèmes auraient été écrits entre 1956 et 1958.
Dans l’avant-propos, elle décrit des êtres « toujours en quête [d’un] bonheur » qui semble leur échapper.
Le recueil est très morcelé.
Prison-enfance
L’autrice évoque son enfance « enchaînée au coin de la vie » et un amoureux « parti avant la saison féconde des épousailles ».
Au pilori de la souvenance
Elle revient sur son passé, sur la perte d’un ami musicien, sur le deuil qui s’ensuit, sur sa jeunesse difficile. Elle pleure « les rêves dissous ».
Noces
Elle décrit le cheminement qu’elle est en train de faire et l’espoir qu’il suscite : « un jour viendra où je ne serai plus / qu’une femme toute simple une femme d’amour / j’aurai délogé toutes mes monstruosités ». Elle croit qu’elle a retrouvé un certain l’équilibre et se sent prête pour l’amour : « et jamais je ne partirai / si les mains de l’époux sont plus grandes que les miennes ».
À contre-courant
Cette partie annihile pour ainsi dire tout ce qui précède. Loin de l’apaisement attendu, on nage en pleine révolte, comme si tout était remis en question à nouveau : Dieu, la société, l’école : « aveugle ô mon peintre / les oiseaux noirs t’ont crevé / les yeux / et sur la toile des tortures / naît bientôt le chaos de ta vengeance ».
Bilan de la grande désillusion
Le vers s’allonge, lorgne du côté de la prose. Le « nous » a remplacé le « je ». Le ton est plus enflammé, suinte la colère. Colère de s’être trompés, de s’être illusionnés, de s’être assoupis dans le confort : « Que sommes-nous devenus? Au cratère des gestes passionnels, l’impossible amour nous éclabousse de rage. Nous inventorions sans fin l’aire de nos déchéances, attentifs et sadiques. »
À l’enseigne des chimères
Elle est bien consciente que leur révolte les isole, les fait souffrir, qu’elle est devenue une voix sans issue, qu’ils sont allés trop loin et que tout retour en arrière est presque impossible. Le recueil se termine ainsi : « Les mots si lourds à marteler nos têtes / nos cœurs mal défendus se sont laissés vulnérer / et nous restons là déchiquetés / à essayer de reprendre haleine. »
Ce recueil, surtout si on tient compte des dates d’écriture et de publication, vaut certainement le détour. Malheureusement il ne semble disponible nulle part. Comme les critiques de l’époque le soulignent, il est vrai que la prose éclipse la poésie en cours de route : est-ce si grave? Moi, j’y lis le témoignage sincère d’une femme qui tarde à trouver ses repères. Et la poésie y trouve par moments son compte. Soulignons aussi la belle facture graphique de l’éditeur-typographe André Goulet.
Extrait
au mystérieux pays de notre grandeur
fils prodigue nous retournons
griffonnée dans le ciel nous avons retrouvé
la carte du sentier perdu
la vie recommence crie ô mon âme
te voilà dans ta forêt tentaculaire,
gratte le sol gratte
la fosse des rêves stériles t’attire
tu reviens à l’enclos des mirages
au jeu des miroirs déformant
malheur à toi
qui ne sait pas voir les rides et les grimaces
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