LIVRES À VENDRE

26 septembre 2024

Les chants de l’Amérique

François Piazza, Les chants de l’Amérique, Montréal, IVE, Le crible, 1965, 28 pages.

François Piazza (1932-2017), Marseillais d’origine, émigre au Québec à la fin des années 50. Sa représentation de l’Amérique alterne entre le fantasme et une vision beaucoup plus mordante. Au départ, l’Amérique est symbolisée par une femme, à la fois sirène et dévoreuse d’hommes : « Femme cynique et sans merci…! Tu étouffes amoureusement dans ton ventre, les plaintes, les gargouillements de ceux que tu tues. » Rapidement surgit le passé trouble : le génocide autochtone, l’esclavagisme, les affres du dollar et de la réussite à tout prix. L’Amérique n’est pas la terre de liberté qu’il entrevoyait : les sorcières de Salem, les Rosenberg, McCarthy, Batista, Duvalier… Une Amérique où gronde la révolte.

Après nous avoir promenés du nord au sud, Piazza s’intéresse à la situation du Québécois. Il décrit un homme aliéné dont l’identité a été gommée par la Conquête, par ce qui s’en est suivi et, plus récemment, par l’American way of life :

Je suis bon canadien, et bilingue aussi

Je mange en anglais, et en français, je prie

Je chante O Canada.

Dans ma belle voiture qui est made in USA

Je vais acheter mes « beans » dans une grocery

Et boire mon milk-shake au Snack-bar d’un grug-store

Regardant le baseball sur le screen du TV

Ou le Ed Sullivan show…

En tout cas, any more

I am a French-Canadian

Puisque je vous le dis…

 

Le recueil, très structuré, se termine par un retour en arrière : le poète, malgré toutes ses désillusions, se permet une déclaration d’amour :

« Je t’aime. Ne faut-il pas t’aimer pour te haïr, pour rêver en son cœur ce que tu pourrais être? Tu es un rêve goulu qu’on ne peut pas finir. / Ne me demande pas des yeux d’indifférence. Tu es bien plus qu’un monde, tu es une passion. Nous te voyons, reluire dans le creux des images, comme le devenir de nos rêves, d’enfants… »

« Malgré ces écrits d’amour, de rage et de souffrance, tu restes encore l’espoir des hommes de demain. Il y a tellement plus de futur dans une maîtresse que dans une mère… / Et pourtant tu seras celle de nos enfants / Demain? »

Pas sûr que les femmes apprécieront la vision d’une autre époque de Piazza.

Pour la petite histoire, Michel Chartrand a imprimé ce livre sur « Les presses sociales ».

18 septembre 2024

Au vent qui passe

Louis-Joseph Doucet, Au vent qui passe, Québec, Chez l’auteur, 1917, 96 p.

Un recueil de Doucet, c’est toujours un peu la même recette : la nature, le passage du temps, des objets du terroir (charrue et râteau), la guerre, des interrogations existentielles, Noël… Voilà en gros les thèmes de ce recueil que je n’ai que survolé. Et, comme c’est souvent le cas, quelques textes en prose viennent coiffer le tout.

POURQUOI

La terre est un chaos où nos rêves se brisent.
Et nous nous attachons à ce qui doit finir.
Ce qu’on aime s’en va pour ne plus revenir.
Pourquoi les noirs autans après les claires brises:

Pourquoi tant d’abandon ? Pourquoi tant de hantise ?
Pourquoi le noir oubli ? Pourquoi les souvenirs ?
Faut-il tout condamner ou faut-il tout bénir,
Au chemin de la vie où les âmes sont prises ?

J’ai longtemps médité l’espoir et les regrets ;
J’ai même interrogé l’ombre des destinées,
Cherchant à pénétrer le sens des grands secrets.

Et je n’ai rien compris qu’une voix obstinée
Qui me disait tout bas : “Aime toujours et va,
Et sois content des jours d’azur de Jéovah !

Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana

Les grimoires
La chanson du passant
Contes rustiques et poèmes quotidiens
La jonchée nouvelle
Sur les remparts
Les heures passées
Palais d'écorce

16 septembre 2024

Les grimoires

 Louis-Joseph Doucet, Les grimoires, Québec, 1913, 72 p.

En lisant le poème éponyme, le premier du recueil, on comprend que les recueils antérieurs de Doucet ont été malmenés par les critiques qui lui reprochent surtout de trop publier : « Si je n’écrivais que deux pages / Tous les cinq ans, bien humblement, / On me dirait : « C’est dommage, / Mais qui ne peut en faire autant? » / D’autres diraient : « Quel grand poète! / Mais sans imagination ; / C’est d’une facture complète, / Mais quelle constipation! ».

Je l’ai déjà dit, ce qui est difficile avec les recueils de Doucet, c’est qu’on n`y trouve aucun plan. Un poème qui traite de Tadoussac est suivi d’autres poèmes qui parlent du passage des saisons et de l’historien Garneau, de la jeunesse enfuie, d’un drame au Yukon, d’un retour sur son passé, etc. Et l’auteur en est tout à fait conscient (d’où le titre), s’en amuse et même en rajoute, afin d’indisposer encore plus ses critiques :



FIN DES GRIMOIRES

Voici la fin de mes ‘‘grimoires”
Écrits tels que je les voulus,
Défiant toute ma mémoire,
Délirant à vers que veux-tu...
Et sans jamais viser personne
J’ai visé des sociétés
Qui dispensent mainte couronne
En s'annonçant de tous côtés !

Mais je finirai par leur dire
Ce que je pense de leurs faits ;
Loin de blasphémer ni maudire
Je vais leur accorder ma paix,
À condition simple et pure
Que l’on respecte tous mes droits.
Sans ça, ma foi, je vous le jure,
Je ferai part de mes émois !

Voici la fin de mes “grimoires”,
Petit volume échevelé,
De plus de pages que de gloire,
Mais dont aucun vers n’est volé,
Je n’endosse aucune défroque,
Ni de Musset, non plus d’Hugo,
Je lave ma rime et mes loques,
Et j’imprime le tout, franco.

Je n’écris pas pour qu’on m’admire,
Ce serait folie autrement :
J’écris pour causer et pour rire
Quand l’ennui vient, isolément,
Et même, parfois, quelque veille,
Au lieu de rire j’ai pleuré :
L’âme est seule quand tout sommeille
Et que rôde un songe apeuré.

Et le lendemain, dès l’aurore,
Je transcris les pages du soir ;
Le soir je recommence encore,
Presque sans but et sans espoir :
C’est une vie un peu bébête,
Bien peu voudront l’apprécier,
Ce n’est pas celle d’un poète,
C’est l’exercice d’un métier.

(p. 67-68)

8 septembre 2024

Les oiseaux dans la brume

Charles-E. Harpe, Les oiseaux dans la brume, Montréal, éd. Marquis, 1948, 169 p. (Préface d’Arthur Lacasse)

Le recueil est dédié à Gabrielle, son épouse. Le curé Lacasse, en préface, se lance corps et âme dans la défense des règles classiques de la poésie. Disons-le, en 1948, c’était un combat perdu depuis longtemps. Le poème liminaire commence ainsi : « Mes vers sont des oiseaux égarés dans la brume » et le reste du poème nous présente le poète comme un être éthéré qui « vit dans le brouillard des radieux mensonges ».

Le recueil compte cinq parties. Dans « L’escale aux chimères », le poète déplore la voie qu’il a choisie pendant son adolescence : « Épuisé de mensonge […] J’ai pleuré tous les dieux de mon adolescence ! Il faut vivre sa vie et non pas la rêver! / J’ai voulu faire escale, hélas, j’ai fait naufrage… » Dans « Pastels et fusains », Harpe présente de courts tableaux, le plus souvent riants, sur le passage des saisons. « Les heures ferventes » recouvrent plusieurs sujets : la fragilité des poètes, la force tranquille des paysans, la marche jamais trahie du peuple québécois, le difficile parcours d’un malade tempéré par sa foi chrétienne (Passion d’un allongé), la beauté de Noël. « En écoutant Debussy » : le grand musicien lui inspire tristesse, mélancolie, peine, mais aussi « l’ivresse du bonheur » que suscite la rencontre avec la femme aimée : « Je veux m’envelopper de la chaude atmosphère / De son cœur où mon cœur est venu s’enfermer ». Dans « Harmonies intimes », les poèmes ont pour sujet sa mère « Et quand je cueille la pervenche, / C’est pour voir un peu de tes yeux », son père (« Mon père était un homme à la fois grave et doux »), sa grand-mère, son épouse, leur enfant…

Un très court poème d’amour, intitulé simplement « Vœu », vient clore le recueil :

Lorsque je partirai pour l’éternel voyage
Tu seras près de moi, je sentirai ta main
Et tes doigts caresser mes cheveux, mon visage;

Mon cœur te restera, mon pauvre cœur humain,
Et moi j’emporterai le tien comme un otage,
Lorsque je partirai pour l’éternel voyage.

(Saint-Aubert, avril 1947, janvier 1948)

3 septembre 2024

Le jongleur des étoiles

Charles-E. Harpe, Le jongleur des étoiles, Montréal, éd. Marquis, 1947, 187 pages. (Préface de Roger Brien)

Brien, en préface, nous apprend que Le jongleur des étoiles est le deuxième livre de Harpe. Son premier, des chroniques sanatoriales, s’intitulait Les croix de chair. Brien salue un auteur en devenir qui atteindra un niveau supérieur « s’il apporte à chacune de ses œuvres futures la perfection de certaines pages ».

Le recueil contient dix textes, des récits et des poèmes, très fortement imprégnés des croyances religieuses de l’auteur. Tous ont tendance à démontrer qu’il ne peut y avoir de vie réussie, saine, en dehors de la religion : « L’art doit servir la foi et non la foi être asservie par l’art. »

Les récits, dont la trame est mince, servent de prétexte au discours de l’auteur. Celui-ci met souvent en scène des personnages en quête de rédemption, à commencer par le récit qui donne son titre au recueil : Robin ne peut gagner le cœur de sa belle sans épouser le sort des éprouvés. Dans d’autres récits, le personnage trouve réponse à ses malheurs en se dévouant pour les gens, tel ce médecin, largué par sa dulcinée, qui choisit d’aller pratiquer chez les paysans (Le berger des solitudes).  « C’est un honneur que le bon Dieu nous fait de travailler pour ses pauvres. » Tous ces récits et poèmes nous disent que l’esprit missionnaire est « la seule communion fraternelle possible entre les hommes ».

On comprend que Harpe a fréquenté les classiques, surtout les poètes, de Baudelaire à Aragon en passant par Péguy, Verlaine, etc. Pour donner du poids à son propos, Harpe a tendance à surécrire, comme c’est souvent le cas dans les textes religieux où croyance et poésie s’entremêlent. Selon Roger Brien, Charles E. Harpe (1908-1952) appartient au courant régionaliste; bien que j’y vois un lien avec nos terroiristes, je préciserais que l’inspiration est davantage française que canadienne-française.

Extrait

Que m’importe le sort d’une douleur amère !
Il en est des oiseaux, meurtris, ensanglantés,
Qui ne peuvent donner l’essor à leur chimère
Et qui chante quand même en des cieux dévastés.

Dites-moi la beauté des êtres et des choses…
Grisez-moi des printemps fabuleux d’autrefois…
Ma chair palpite encore à l’ivresse des roses
Et je vais sans leur dard me déchirer les doigts

Qu’importe! Si je chante, en ma foi, la souffrance
C’est qu’elle est sœur de la beauté,
Comme la croix est le tremplin de l’espérance
Aux gouffres de l’éternité! 

Et quand le tendre soir, sur nous hisse ses voiles,
Berçant d’une brise vos nids,
Je sens grandir un infini
Bonheur de partager le songe des étoiles!

Sur Charles Harpe