LIVRES À VENDRE

31 mai 2024

Lesbiennes d'acid

Denis Vanier, Lesbiennes d'acid, Montréal, Parti pris, coll. « Paroles 21 », 1972, 72 p. (Maquette de la couverture : Roland Giguère) (Livre réalisé par Daniel Myre et imprimé par Daniel Beaucaire) (Préfaces de Lucien Francoeur, Patrick Straram, Ed Sanders et Claude Gauvreau).

Disons que Lesbiennes d’acid est davantage un livre objet qu’un recueil de poésie traditionnel. Le paratexte est très lourd : en plus des quatre préfaces, on y trouve des slogans, des dessins, des reproductions d’images anciennes, des photos, des illustrations style magazine d’autrefois, une coupure de journal, des documents légaux.

Le titre est surprenant. Le lesbianisme est peu présent dans ce livre. Titre choc (pour l’époque)?

Vanier a maintenant 21 ans. Il s’est acoquiné avec les Rose, il a été arrêté trois fois (association avec un groupe de terroriste, possession et vente de marijuana). Si, dans les deux recueils précédents, sa colère était souvent métaphorisée, dans Lesbiennes d’acid, elle s’exprime crûment, violemment. Le recueil commence par une histoire de féminicide-infanticide. S’ensuit un long poème manifeste où tout et tous y passent, dans le plus beau désordre. Il s’en prend aux gouvernants-Nazis, à Yves Préfontaine et Georges Dor, aux Éditions du Jour et de l’Hexagone, à Main-Mise (sic), à Claude Jasmin, à Jean Basile, à Point de Mire, au Devoir. Deux ans après la Crise d’Octobre, il prône carrément l’acte violent : « Tout homme colonisé devrait enlever un ministre et demander à négocier ». Par ailleurs, pour lui, son univers « Sexe, drogue et révolution » semble bien implanté : « La marijuana pousse partout, tout le monde baise / et est prêt à déjeuner avec des armes / le droit de vivre et d’aimer, / ce en quoi nous sommes solidaires / de tous les peuples opprimés / de la faim aride à la mort par insecticide / des tupamaros aux cagoulards, des gars de Lapalme aux / Devil’s disciples, des faux 20, de l’acid(e), des bombes // Un fait demeure certain, c’est que nous sommes des / criminels, des récidivistes inadaptables. » Quant aux poètes, voici le programme : « Nous sommes les derniers espoirs de la poésie / nous communiquons par voies de faits. // Un hold-up est 100 fois plus important que n’importe quel / texte des deux gros Beaulieu. »  Michel et VLB, bien entendu.

Au milieu du recueil, on a droit à un second poème manifeste. Radio-Canada, Eaton et Jean-Guy Pilon passent à leur tour au collimateur. Pour le reste, il ne fait que préciser ce qui était latent : l’apologie d’une sexualité débridée, la vulgarité, la libération des enfants et la lutte contre le capital sont considérés comme des outils révolutionnaires : « Voler aux riches est un acte saint et sacré. »

Dans les poèmes entre ces deux manifestes, il s’agit moins de développer un discours que de projeter des images qui remuent les tabous, les bienséances. Peu importe le sujet, la drogue et surtout le sexe sont au rendez-vous : le corps de la femme trop souvent réduit métonymiquement à son sexe. « La dilatation de Renée Martel » n’a rien à voir avec l’artiste. Quelques allusions à la sexualité des enfants sont ambiguës et troublantes : « les enfants se masturbent en riant » dans l’Overdose palace; et : « nous pensons qu’un organe sexuel dans la main d’un enfant est beaucoup plus désirable qu’une mitraillette-jouet ». Le recueil, dans sa dernière partie, traite de ses démêlés avec le système pénal. ». Il réserve ce petit passage aux gardiens de prison et aux juges : « Même si nous sommes pauvres / et sans armes / que le pays n’est plus que l’urinoir de l’injustice / jamais nous ne plierons devant la queue verte du virus de l’autorité. »

Inutile d’en rajouter, dans Lesbiennes d’acid, Vanier se fait le chantre d’une poésie qui se veut révolutionnaire. Il discrédite tous les tenants du pouvoir et la plupart des poètes reconnus par le système autour de lui. Il exclut la révolution pacifique qui opère à l’intérieur du système, comme celle de Lévesque-Bourgault. À l’action révolutionnaire, il ajoute la libération de l’individu, chère aux adeptes de la contre-culture, par l’exaltation de toutes les sexualités ainsi que par la promotion de la drogue, ces deux éléments étant susceptibles de permettre « l’ultime libération des astres en nous ».  

Denis Vanier sur Laurentiana
Je
Pornographic delicatessen
Lesbiennes d’acid
Le clitoris de la fée des étoiles (à venir)




28 mai 2024

Pornographic delicatessen


Denis Vanier, Pornographic delicatessen,
Montréal, Editions Estérel, 1968, n.p. (Préfaces de Claude Gauvreau et Patrick Straram; photographie de Michel St-Jean)

Petites fantaisies, la première (à la Andy Warhol) et la quatrième de couverture sont inversées et les deux préfaces se retrouvent à la fin du recueil.

Le recueil semble contenir trois parties, non titrées, mais dédicacées et-ou précédées d’une épigraphe. Au moins une page blanche nous signale le changement de parties. The Fugs, Bob Dylan, les Hell’s Angels et sa femme Myriam sont les dédicataires de la première partie. En exergue, on lit une citation de Bob Dylan qui reprend une idée de Lenny Bruce. « Lenny Bruce says there are no dirty word… just dirty mind ans I say there are no depressed words just depressed minds. » La seconde partie, non dédicacée, est coiffée d’une citation de Gregory Corso : « I hate old poetman ».

Dans ces deux premières parties, on a souvent l’impression de se retrouver devant des instantanées ou de courtes scénettes dont le référent nous échappe. L’omniprésence du sexe et de la drogue, le plus souvent métaphorisés, mais aussi de la guerre, l’alcool, la religion, New York, les maladies et certains personnages connus de l’« underground » (Ginsberg, Péloquin, Gauvreau) en sont l’inspiration. On ne peut pas dire qu’il y a des revendications très affirmées, l’auteur se contentant d’allusions, d’images percutantes. Les vers (leur disposition entre autres) me semblent travaillés dans le sens d’une déstructuration, donc de l’embrouillage. En raison de l’omniprésence de l’anglais, on comprend que son inspiration est teintée de la culture américaine. L’atmosphère y est le plus souvent celle d’un « bad trip ».

La troisième partie du recueil, dédiée à William Burroughs et Patrick Straram, porte deux citations en exergue : « These boots are made for walking » (Chanson de Nancy Sinatra) et « Vous avez vu les robes de Jenny Rock à la Place des Arts? Atroce » (Journal Montréal Matin) On est loin de l’underground : ce sont deux chanteuses pop.

Cette partie, plus accessible, relaie une poésie, très chargée, mais qui présente une certaine continuité dont on peut extraire du sens. En fait, il reprend là où il a nous laissés dans « Je », son recueil précédent.

Vanier pose un diagnostic virulent sur la société qui brime l’être humain de bien des façons. Le tout commence par les carcans (religieux ou sociaux) qui nous empêchent de nous exprimer : « nous sommes congelés d’un mutisme d’époque ». Selon lui, on serait coincé dans « l’embouchure d’un passé perpétuel ». Le risque, l’audace, depuis toujours, ont été réprimés : « Le rêve cloîtré au sel du quotidien / s’ensoleille d’un orgasme de l’épouvante / sur l’inertie des forains séculaires ». « L’écriture — à force de bâtir des églises / où pourrissent dans la pénombre / les artères éclatées des statues de l’ordre — / est un piédestal aux déchus ». « Nous sommes morts d’avoir brandi trop haut certains drapeaux encore tout ruisselants du sang des damnés ».

Gauvreau écrit en préface (ou postface) : « Denis appartient à cette génération de jeunes penseurs qui parachèvent exemplairement le saccage de tous les tabous. »

Straram, dans sa postface de 32 (!) pages, que j’ai lue en diagonale, ne parle pas de Vanier mais de lui-même. Il attaque ses ennemis littéraires, case les uns et les autres dans de petites boîtes. Surprenant quand même de retrouver Fernand Ouellette avec Gauvreau, Langevin, Garcia, Duguay, Vanier, Miron, Lapointe, Chamberland sous l’appellation « progressisme ».

 Extrait

Aliénés de toutes les consciences
nous sommes à deux pas du jour

qui      croisés aux muscles des embryons de givres
                      molestés par des troupeaux d’hiver
percutent jusqu’aux joncs de l’enfance

La déchirure des drapeaux alimente la haine insoumise
         clandestins de la parole
Nos salives se souillent à la mesure des poux de l’ordre

Denis Vanier sur Laurentiana
Pornographic delicatessen
Lesbiennes d’acid (à venir)
Le clitoris de la fée des étoiles (à venir)

24 mai 2024

Je

Denis Vanier, Je, Longueuil, Image et verbe, 1965, 41 p.
 (4 encres de Reynald Connolly; Couverture et maquette : François Piazza) (préface de Claude Gauvreau)

Denis Vanier naît à Longueuil le 27 septembre 1949. Il publie donc son premier recueil, Je, à l’âge de 15 ans. Il prétend même, dans l’avant-propos de l’édition de 1973, que certains poèmes auraient été écrits à l’âge de 13 ans.  Bien sûr, que c’est phénoménal, d’autant plus que Vanier maîtrise déjà un langage poétique adulte.

Dès le premier poème, le ton est donné. Le discours ne s’embarrasse pas de nuances. Nous entrons dans un monde rongé de toutes parts, un univers hostile, une ville décrépite, une nature dénaturée, des êtres malades, bref où tout est à refaire, et même le rapport amoureux : « … toi comme un abcès puant à la face des égorgés // tu es la neige d’un pôle à reconquérir ».

Comment nouer une relation amoureuse féconde quand un « vent […] souffle la mort » ? « J’ai vécu à l'ombre de ta chair; si peu de jours m'étaient offerts pour naître à la vie que j'en suis mort d'impatience ». Comment l’amour pourrait-il subsister dans cet univers apocalyptique : « Oh! blancs décombres de notre jeunesse / respirant à pleins poumons la radioactivité des / nuages et la fumée des bas-fonds ». Il décrit un pays dévasté, sans horizon : « Nous sommes morts / pays de froid / sillons de néant glacé / à l'enchevêtrement des nuits crispées / peuple à effluves de frimas ». La drogue et l’érotisme sont mentionnés, sans plus, dans ce recueil qui raconte l’impossibilité amoureuse dans un pays dévasté.

Il finit quand même par deux ouvertures. Dans le poème intitulé « Québec », le jeune poète écrit que la libération passe par une forme de purification : « Mais un jour viendra où nous déploierons / les voiles qui recouvrent nos corps bleuis / par le froid, et la peine, / en ce jour, les cieux vomiront la bave / écumante de nos espoirs sur la terre aride / les arbres renaîtront : troncs d'ivoire et / nids d'argent dans les branches d'hosties ».

Dans « Elle seule », il écrit que l’amour est une valeur refuge dans ce monde cruel, une valeur qui doit aussi passer par une phase de purification : « je t’aimerai pour toi et moi / pour les hommes et les choses qui nous regardent // je t'offrirai mon être tout ruisselant d’immondices humains / pour que tu l'engloutisses en toi et le fasses tien // je transformerai ta chair en lamelles de printemps ».

La préface de Gauvreau annonce peut-être davantage les recueils à venir : « Vanier écrit dans un état de bouleversement assez ému pour arracher au tréfonds de l'inconscient les préoccupations humaines les plus secrètes et les plus intimes; tant mieux. Son émoi permanent lui permet d'échapper à toute préconception limitative. »

Vanier, dans la préface de 1974 : « Dans leur majorité, ces textes furent rédigés à treize ans, à la taverne Longueuil, des valiums au pepsi, à quelques années de l’acide, mais en plein corps avec un état neuro-psychique très précis. » (Éditions de l’aurore, 1974, 53 p. Coll. Lecture en vélocipède) 

Sur Denis Vanier

 


 

21 mai 2024

Les mondes assujettis

Claude Péloquin, Les mondes assujettis, Montréal, Collection métropolitaine, 1965, 74 p. (4 illustrations de Denis Connoloy) 

Trois recueils en trois ans!

La dose de surréalisme a augmenté d’un à l’autre, ce qui rend ce recueil plutôt rébarbatif pour qui veut en retirer un fil thématique ou même des motifs récurrents. En d’autres mots, on a l’impression que la plupart des poèmes ont été improvisés et très peu retouchés, que l’écriture automatique et la recherche de l’enchaînement insolite doivent décontenancer le lecteur.

Rien de lourd pour autant, les poèmes sont courts, fantaisistes, en d’autres mots Pelo pratique un surréalisme ludique, sans doute jouissif, à la manière des dadaïstes, mais aussi de Chagall, Pellan. On a même l’impression de lire de l’exploréen à quelques reprises.


 

ORCHESTRE AFGHAN

Cétar yé ya   Daïra Delroba
Dans l’Harmonia Ritchak
Robab Sorang Santour de Tabla
Tanbour tant que tu pourras
[…]


Péloquin essayait de trouver une place entre les poètes du pays, ceux de Parti-Pris et les surréalistes. Pas facile. De Claude Gauvreau, il disait : « C'est un poète plutôt mystique (vie intérieure). Je ne vais pas dans le même sens que lui. Son langage est automatique. Mais il faut d'abord faire le voyage avec des symboles. Il faut d'abord les délimiter dans ses pensées, les « voir » ils existent en d'autres dimensions (visuelle par ex.). Je crois à la technologie plus qu'à l'automatisme. La poésie doit être mathématique, déductive. » (Entrevue donnée à Chamberland) Disons que je ne vois pas très bien la dimension mathématique dans les deux poèmes qui suivent.


À TOMBOUCTOU

Il habitait la cabane en torchis
Qu’il avait gagnée
Sur la route de Tombouctou
Au cirque de Pluton
Ses fils
Les pierres
Collectionnaient avec agilité
Depuis un soleil
Des spectres
D’alligators mythiques


POÈME EN MI
Il suffit
De la moitié
D’une femme
Pour prendre
L’avion
Avec
Une
Machine à coudre
En bleu…


Claude Péloquin sur Laurentiana

Jericho

Manifeste infra

Les essais rouges

Les mondes assujettis

17 mai 2024

Les essais rouges

Claude Péloquin, Les essais rouges, Longueuil, Publication Alouette, 1964, 70 p. (Couverture : Guy Lalumiere, Jean-Louis Lamarche)

Le recueil est dédié à Pellan alors que Jéricho l’était à Henri Bosco. Que s’est-il passé en l’espace d’un an pour que la poésie de Péloquin connaisse une telle évolution? Chose sûre, le surréalisme a pris une grande place sur sa table de travail. Et toute trace de lyrisme est disparue.


Péloquin nous avertit, dans une note préliminaire, qu’il ne faut pas pousser trop loin l’investigation : « Il n’y a rien dans cet ouvrage / Qui puisse intéresser, / Il en appelle simplement / À un certain pouvoir d’émerveillement / Et ce à partir de l’oubli… »


S’il est vrai que certains poèmes sont éclatés (le plaisir de faire danser les mots en tous sens) et d’autres construits en partie à partir d’allitérations ou d’assonances, on en trouve quand même qui ont une cohérence sémantique.


Voici cinq motifs que je retiens :

Une attention à l’environnement. Étonnamment, les images liées à la nature sont fréquentes dans le recueil. « Le semeur refait son chant d’un sillon / Avant de remettre les étoiles à leur nuit ». Tout dans la nature est mystère, comme si ce que nous communiquent nos sens n’était que l’antichambre d’un monde supra-sensoriel. « La grande Fresque naît sous le biseau du Voilé ».

Une réflexion sur les « magistrales chevauchées » de la poésie, laquelle implique un voyage dans les « sphères du supra-sensoriel », cher à la contre-culture (le mot n’existe pas en 1964). Il faut accéder au monde de l’Ailleurs, dont « on ne revient jamais tout à fait » : « Seul l’émoi transporte sur les cratères de l’Impossibilité »; « J’ai mis bas la fantasmagorie »; « Je porterai ma face blème / Fière de l’écume des bêtes célestes / Frappées des étoiles sont les nuits / Effleurées de joues creuses / Hippocampes sur la piste des galaxies / Flaques d’îles tout au long / Perpétuel miracle de la rosée à son herbe »; « Le Songe… ce beau Doute après l’Appel / Ce beau Risque au hasard de l’arrière-chose ». L’abondance des majuscules donnent à penser que les mots sont plus que des mots, qu’ils recouvrent des référents qui nous échappent. Un peu comme les portes d’un monde ésotérique.

Une critique de la vie raisonnable : « Vivre comme un papillon porte une rançon / Soit celle de sentir se consumer en soi / L’instinct légué par les bêtes »; Ou : « Blême un peu plus ce matin / Celui qui ne fut pas fasciné hier »; « J’assiste les mesquins que je pends sans sépulture // Ces mi-mort mi-souffle de deux heures au vent repu / Ces entre-riens où c’est l’Absence même que l’on tient / Souffrant de jouer à être à la mi-temps de l’existentiel ».

Un certain mal-être : « Un mal de poitrines creuses / Remplies d’araignées en rut / Un mal de toutes les gares / Un mal au sang d’être rouge / Marasme de limace tout autour / Ai mal au froid même d’une neige / Qui se meurt goutte-à-goutte / Mal d’un mal qui s’apprend / Mal dont on fend ».

Le thème érotique-amoureux (voir l’extrait).


Péloquin n’a pas laissé une grande trace littéraire, si je me fie aux spécialistes de L’histoire de la littérature québécoise (Biron et all.) qui n’ont même pas mentionné son nom. On peut certes dire qu’il est un précurseur d’une certaine contre-culture.

Pour en savoir plus sur l’importance de Péloquin : André G. Bourassa, Surréalisme et Littérature québécoise, Montréal, L’Étincelle, 1977. Pour un aperçu de sa démarche, lire l’entrevue qu’il a donnée à Chamberland en 1966 (Parti-pris, avril 1966, p. 38-45).

 

LA RESPECTUEUSE

Il y avait le pastis de ses hanches pleines

Qu’on a cent fois redit

Bien plus souvent que la pluie

Et le creuset des ans

J’ai navigué dans ce cou

Me suis fait marin sur sa main

Tatouage mauve à son sein

Complice d’un jeu étrange

Qui recouchait le soleil

Pour une fois encore avant le jour


Claude Péloquin sur Laurentiana

Jericho

Manifeste infra

Les essais rouges

Les mondes assujettis (à venir)

12 mai 2024

Manifeste infra

Claude Péloquin, Manifeste infra suivi de Émissions parallèles, Montréal, L’Hexagone, 1974, 77 p. (1ère parution : 1967)

Péloquin, qui faisait partie d’un groupe, les Zirmates (Groupe de recherche « dans l’expression de l’insolite »), a produit un premier manifeste en 1965 : Manifeste subsiste. En 1967, dans Manifeste infra, il reprend de façon plus détaillée les idées qui y étaient en partie exprimées.

En voici deux extraits :

Situation…

Fondé sur une recherche de l’Autre-Réalité dans l’Arrière-Réel par un Possible absolu.

Mouvement de pénétration d’un Ailleurs dans l’Homme cosmique, à partir du réel continuellement remis en question ; l’évolution de ce mouvement s’opère à partir des Dessous et de zones infiniment profondes et voilées dans une réalité prise sous ses deux formes d’existence : (ailleurs et ici).

À partir aussi des Dessous des sciences psi et para, du cosmos, du réel, de la magique et de l’Éveil...

À partir des Dessous dans les fibres mêmes de ce qui est et de ce qui est latent : donc, qui sera aussi, et beaucoup plus miraculeusement, parce que possibilisé à l’avance par l’existence même de la Recherche.

Note : Jamais rien n’est tout à fait ce que l’on a pu délimiter erronément comme étant définitif.

Mouvement de la possibilisation d’une sorte d’humanisme, ou encore d’une zone encore inconnue de la sensibilité de la matière.

INFRA exige l’expérimentation à tout prix sur tout ce qui est et sur tout ce qui n’est pas tout à fait encore ; il exige un règne de la recherche.

Mouvement prônant la recherche dans les dessous du réel et dans ses arrières. Pénétrer le réel et passer dessous, au travers ; ce dernier étant mis à nu par un processus d’isolement de ses composants, qui permet de comprendre et ainsi de pressurer de plus en plus l’inconnu. Le réel, (homme et univers) étant expérimenté suivant la dose de connaissances mise en chacun et étant considéré comme le seul tremplin qui permettra à l’homme libre de sauter dans ses ailleurs cosmiques et psychiques pour en vivre… (p. 11)

 

La poétique Infra

...Que l’on n’associe pas la poésie au vouloir sensationnaliste du “poète” en transe, victime de systèmes politiques désuets. Voilà pourquoi, ceux-là mêmes qui œuvrent ici à la révolution, (Parti Pris par exemple) et tous ces écrivains qui confondent poésie avec journalisme de combat, n’en sont qu’au lyrisme quand ils « poétisent ». Leur emphatisme, leurs malheurs et leur symbolisme facile, sont capables de troubler des couventines arriérées. L’engagement du poète n’est pas là où ils l’ont bien voulu. Péret a dénoncé déjà ces poètes de l’honneur poétique.

L’engagement du poète est dans la recherche de zones intimes et toujours déchiffrables, tant dans l’homme qu’en ses univers. La politique, les sentiments de joie, et la souffrance du mal adapté-réformateur, ainsi que la nostalgie, l’amour et les petits oiseaux ne suffisent plus pour faire des poèmes. Que l’on défende la plume à tous ces auteurs dont la seule force est le dérèglement, le faux titre de poète et un regard de taupe sur le réel.

— Ceux qui oseraient se croire dans l’impunité sont les plus vils.

— INFRA dit plume, mais il inclut dans ce moyen toutes les autres disciplines.

— INFRA demande l’exil immédiat de tous ceux dont les œuvres ne dégagent rien d’insolite ou de fantastique. La véritable fonction sociale du poète ou de l’artiste-technicien, est de n’en avoir aucune. Une poésie, une œuvre faussée ou l’expression problématique, lourdes de romantisme, de complexes religieux et politiques, retardent l’avènement de la liberté. La poésie et l’expression véritables, sont axées sur leur pouvoir de libération de l’homme dans son esprit ; et ce, en ne se servant pas de points de repère qui ne sont pas de leur ressort, comme la politique, l’hermétisme, l’amour, la belle nature et les sentiments malaxés dans tous les sens.

Il faut sortir le poète du faux rôle social où on l’a plongé, pour lui donner une dimension et une densité nouvelles, qui sont celles de la recherche technique et physiologique. INFRA peut parler maintenant ouvertement de recherche. “Refus Global” de Borduas devait se dégager du calcaire. Pour nous, un laboratoire, c’est vrai ; eux n’avaient pas le temps de le voir.

— Le chercheur en art se doit de devenir l’ouvrier des Dessous du cosmos, et ce, dans toutes ses formes. Les pouvoirs anticipatifs du chercheur véritable en font un autre technicien. Tout le reste est de l’ordre du roman et de l’art divertissant.

Les mystères de la poétique sont à mettre à jour, exigeant d’autres pouvoirs de perception par la profondeur poétique ; ces mystères ne se doivent absolument plus d’être insaisissables. (p. 26-27)