Ernest Chouinard, L’œil du phare, Québec, Le Soleil, 1923, 279 pages.
À Saint-Germain-de-Kamouraska, Gilles Pèlerin et Cécile Dubreuil mènent une vie de misère sur une terre d’un seul arpent quand Pèlerin accepte un poste comme gardien de phare sur Grosse-Île de Saint-Germain. Lors d’une tempête, il périt en essayant de sauver un yacht, laissant une veuve dépourvue et un orphelin nommé Jean. Le curé prend en main l’enfant qui se révèle un élève brillant. Il veut en faire un prêtre et son projet semble en voie de réussir quand surgissent des États-Unis, la sœur de Cécile, son mari et son neveu, émigrés à Cincinnati, en vacances à Métis-sur-Mer. Ils sont riches et leur fils très déluré, Émile Dupin, réussit à convaincre Jean de l’accompagner dans son voyage de découverte du Québec. Commence ici le choc des idées entre la vie canadienne et l’américaine, entre la vie champêtre près des églises et le développement industriel, entre le spiritualisme et le matérialisme. « Tu m’écoutes avec étonnement, sans m’approuver ; mais tu ouvrirais autrement les yeux si tu voyais quelle vie d’action, de travail, de risques et d’efforts de toutes sortes l’on fait chez nous. Avec cela, on arrive simple manœuvre et l’on devient inventeur, fabricant, négociant, financier, capitaliste. »
Au retour, monsieur le curé découvre que Jean n’a plus la vocation. Il le convainc de suivre un cours en agriculture et l’encourage à fréquenter une jeune fille du village, Esther Brillant. Celle-ci est la fille de Pierre Brillant l’homme le plus riche de la paroisse. Pendant les vacances de Noël, Émile vient passer quelques jours avec son ami Hector Hardy, un futur médecin. Ce dernier ravit le cœur d’Esther.
La mère de Jean tombe malade. Une voisine, Rose Desprez, qui a fréquenté l’école avec Jean, prend soin d’elle. Quand sa mère meurt, Jean veut à tout prix fuir ces lieux. Il part avec le père de Rose faire du cabotage sur le fleuve; puis, à Québec, il s’engage sur un bateau qui se rend en France et en Italie. Hasard des hasards, à Rome, il rencontre son cousin Émile qui lui propose un emploi dans son entreprise américaine. Jean rentre à Saint-Germain pour régler ses affaires et, sur les conseils du curé, épouse Rose et déménage à Cincinnati. En l’espace de deux ans, il se fait un nom dans les affaires. Et les années qui suivent confirment son succès.
Émile, qui a beaucoup évolué, défend maintenant l’importance de la culture face au matérialisme américain. Le temps passe, il convainc Jean d’envoyer leurs enfants au Canada pour étudier. Les deux couples décidentde venir passer les vacances à Cacouna avec leurs enfants. Et les deux redécouvrent leur patrie. « Oui, c’est bien sa jeunesse, c’est l’âme et la tradition de ses ancêtres, c’est la patrie qui le rappellent en ces lieux. Cet œil du phare ! Oui, c’est bien l’amour du sol natal qui brille d’un éclat de plus en plus vif à mesure que les ombres s’épaississent à notre horizon ; qui traverse la nuit de nos vicissitudes au vieil âge et nous indique le port du repos éternel où nous attendent les ancêtres! »
Jean, riche et indépendant, revient s’installer à Saint-Germain. Quant à Émile, il promet d’y passer toutes ses vacances d’été.
Vous l’aurez compris, on se trouve devant un roman à thèse. On pourrait le résumer simplement comme ceci : l’Américain Émile, qui a tout reçu de son père, se détourne du matérialisme. Jean, le petit Canadien français orphelin pauvre, finit aussi par découvrir que cette richesse, une fois acquise, ne lui procure pas le bonheur. Les deux en viennent à la conclusion qu’il existe un bien supérieur qui a pour nom famille, religion et patrie.L’objectif de Chouinard est clair : n’émigrez pas aux États-Unis; et si vous y allez, conservez votre nationalité et revenez au Québec lorsque vous aurez fait assez d’argent.
Le récit avance à coups de longues analyses psychologiques. Le narrateur et les personnages dissertent et dissertent encore et le style est lourd : « En effet, Hector Hardy, fils d’un professionnel à l’aise établi dans l’une des provinces de l’ouest canadien, esprit superficiel astreint à subir sous peu les rudes épreuves qui conduisent au doctorat médical, n’est pas marri de faire trêve durant quelques jours aux trop sérieuses études qu’il mène de conserve avec son confrère Dupin. »
Quant aux femmes, il ne faut surtout pas qu’elles se fassent instruire : à propos de la fille des Brillant, Chouinard évoque « l’éducation fausse d’une campagnarde et la frivolité naturelle du caractère féminin ». Et sur la vie mondaine : « Mais c’est encore plus, hélas ! la première mascarade officielle des vanités féminines sous les afféteries hypocrites. Après son début dans le monde, la jeune émancipée aura voix délibérative avec ses égales, avec sa mère aussi, dans des colloques où se fourbissent les armes plus ou moins meurtrières de la toilette. Elle s’exercera, sous les leçons de l’expérience, à la guérilla des conversations oiseuses, des propos ambitieux, des jugements téméraires, enfin, de la vie mondaine. » Sexiste et rétrograde (même pour son époque), le monsieur!
Ernest Chouinard (1856-1924), un journaliste, a publié quatre livres « sur ses vieux jours » : Sur mer et sur terre (1919), L’arriviste (1919), Croquis et Marines (1920), L’ œil du phare (1923).
Extrait
« Ainsi donc en résumant ces deux états d’âme, Émile Dupin, malgré sa richesse et son aisance innée, avec ses études et sa sagesse naturelle, ne pouvait plus s’empêcher de constater de mieux en mieux, à la vue de ses enfants grandissants, que l’âme ancestrale de sa famille ne s’était pas acclimatée au pays étranger ; qu’elle était restée là-bas sur cette terre canadienne où il n’avait fait lui-même que passer, mais où elle avait provigné depuis deux cents ans, où elle avait poussé ses plus fortes racines dans tant de berceaux et fleurissait encore sur tant de tombes. Et de mieux en mieux, il comprenait, comme il l’avait dit, que lui et les siens ne seraient de longtemps encore que des dépaysés dans leur patrie adoptive. Sa nostalgie à lui tient du patriotisme de raison. Jean Pèlerin, au contraire, n’a vécu au Canada qu’une enfance malheureuse et une jeunesse humiliée. Quand il a quitté sa paroisse natale, il aurait pu se dire qu’il secouait sans regret de son pied la poussière de ce sol qui lui avait été si pénible. Plongé dans le grand creuset de la vie industrielle, au milieu d’un alliage auquel il devait tant emprunter, combien il lui avait été facile d’éliminer la gangue de sa pauvreté canadienne ! Pour lui peut-être plus encore que pour son cousin, il serait logique d’affectionner le milieu social où il lui fut donné de commuer sa tare de miséreux dans le bonheur du parvenu. Mais au fond de son cœur, comme dans l’âme et la prière de sa femme, la voix douce et charmeresse de sa patrie canadienne n’attendait plus, pour le faire entendre et commander, qu’un retour même passager, et par leurs enfants, aux choses canadiennes, sous l’emprise du patriotisme d’instinct. » (p. 166-167)
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