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10 février 2023

Propos sur nos écrivains

Albert Laberge, Propos sur nos écrivains, Montréal, s.é., 1954, 109 pages.

Le titre est trompeur. Au cœur de tous les articles, il y a une personne, un collègue de travail, un confrère littéraire ou un ami qu’il a connus. J’emploie le passé parce que très souvent il s’agit du panégyrique d’une personne décédée. Certains textes constituent une courte biographie ou seulement un portrait ou même une anecdote qui met en scène le personnage décrit. Deux textes sont plus fouillés : ceux sur Oswald Mayrand et sur Léopold Houle. Tout le reste est très terre à terre. J’ai déjà publié deux extraits de ce livre : Laberge y racontait ses déboires lors de la publication de La Scouine et ceux de Rodolphe Girard avec Marie Calumet. Ce sont les deux articles les plus intéressants du recueil.

 

Le recueil contient : une apologie du journaliste Oswald Mayrand; la description des dernières heures du poète Albert Ferland; une biographie et quelques poèmes inédits du prêtre-poète Joseph Mélanson (pseudo : Lucien Rainier); la bio et quelques-unes des causes défendues par l’avocat Léopold Houle; un très bref aperçu et des poèmes en anglais de la Suissesse Hilda de Steiger, émigrée au Québec, vivant dans le milieu anglophone; quelques notes sur Germain Beaulieu, poète et journaliste; une rencontre avec Paul de Martigny qui rêve de quitter le journalisme pour se consacrer à l’écriture; une discussion avec Marcel Dugas de retour de France en 1941; la description de la mort tragique du poète Alphonse de Beauregard; une blague concernant Gaston de Montigny; quelques anecdotes sur Jean-Aubert Loranger; une anecdote concernant son ami le peintre Charles deBelle; un aperçu de la carrière du peintre William Édward Hunt; un article vitriolique sur le sénateur Pamphile Réal du Tremblay qui s’était permis de parler de lui avec mépris. J’en présente un extrait : 

 

Extrait

 

(Contexte : Le sénateur du Tremblay est en visite chez le peintre deBelle pour voir ses toiles.)

 

Tout en enveloppant le cadeau, deBelle remarque : Je connais quelqu’un à « La Presse ». 

— Oui ? Qui donc ! 

— Laberge. 

Alors, d’un ton de profond dédain, comme s’il eut échappé un rot : Un subalterne, répond le sénateur. Oswald Mayrand, Letellier de Saint-Just, Gilbert Larue, Olivar Asselin ou tout autre journaliste non gonflé de son importance aurait déclaré : 

— Laberge. Un garçon intelligent, un sobre et un travailleur, un collaborateur précieux.

— Un subalterne, jette comme un rot le sénateur du Tremblay. Oui, mais un subalterne qui s’est libéré, qui a cessé de recevoir sa direction et sa pitance du président de « La Presse ». Oui, un ancien subalterne qui peut dire son mépris pour l’homme qui, de petit avocat qui faisait des discours devant des clubs ouvriers, est devenu riche à millions en épousant l’un des plus affreux laiderons de Montréal et en faisant casser le testament de son beau-père, ce qui lui a permis de devenir président de « La Presse ». Pas de bien glorieux moyens, assurément. Subalterne. Du Tremblay a eu un amour et un culte dans la vie : l’amour et le culte de l’argent. Il a accumulé des millions, mais le subalterne que j’étais a cent et mille fois plus goûté la vie que le propriétaire de « La Presse » et du Château. La nature m’avait doué d’un talent, d’une sensibilité et d’une faculté d’enthousiasme qui m’ont fait trouver dans les arts ; littérature, peinture, sculpture et dans les spectacles de la nature des joies que ne m’auraient pas données tous les millions de du Tremblay. Cœur sec et racorni comme un vieux soulier qui a passé trois ans dans la garde-robe, ignorant, sans aucune culture, d'une ladrerie répugnante, du Tremblay en dehors de son habilité à faire de l’argent est une parfaite nullité, rempli de vanité, bouffi de prétentions. 

— Subalterne ! Bouffi, baudruche !

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