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Plus de 900 livres québécois! Patrimoine littéraire, bibliophilie, carnet de lecture. 120 000 pages vues par année. « Laurentiana » se dit des livres ou brochures relatifs au Québec, au Bas-Canada et à la Nouvelle-France.
Virginie Dussault, Amour vainqueur, Montréal, J.R. Constantineau, 1915, 167 pages. (Illustrations de ? )
L’action débute à Saint-Bruno-de-Guigues, sur les bords du lac Témiscamingue. Ninie, encore enfant, a décidé qu’elle se ferait instruire. Après avoir fréquenté le Couvent d’Hochelaga à Montréal, elle décide de poursuivre ses études au Couvent de Chatham en Ontario pour perfectionner son anglais. Cette fois-ci, la séparation d’avec les siens est plus difficile puisqu’elle a un amoureux, Rogers. Ce dernier vit de l’autre côté du lac Témiscamingue, à Haileybury, donc en Ontario. Ils promettent de s’écrire mais aucune lettre ne parvient à Ninie durant l’année. De retour chez elle, elle ne retrouve pas son amoureux. Elle devient enseignante. Ambitieuse, à vingt ans, elle décide de déménager à Montréal pour « trouver une situation qui lui permettrait de mettre en activité, toutes les connaissances qu'elle possédait ». Elle trouve un travail bien rémunéré dans le milieu des affaires. Elle n’a toujours pas revu Rogers et elle continue à se demander pourquoi il ne donne pas signe de vie.
En fait, Rogers par amour pour Ninie a aussi repris ses études. Toutes les lettres qu’ils se sont échangées ont été interceptées (par les autorités parentales, scolaires ou religieuses), ce qu’ils ignorent. Tout comme elle, Rogers en est venu à croire que Ninie l’avait oublié. Par dépit, il a eu le malheur de dire qu’il envisageait de devenir prêtre. À partir de là, tout le monde (ses parents, les prêtres) mettent beaucoup de pression sur lui. On « protège » sa vocation. Mais il porte toujours Ninie dans son cœur et ne deviendra pas prêtre.
Ninie, en visite chez une tante à New York, rencontre Harry, un riche célibataire qui la courtise. Elle n’arrive pas à savoir si elle l’aime ou ne fait que l’apprécier. Il lui offre une vie de grande bourgeoise sur un plateau. Elle finit pourtant par le quitter, ce qu’il n’accepte pas. Il décide de se venger. Avec un complice, il intercepte Ninie sur le Mont-Royal et la frappe quand — ô miracle — surgit un étranger qui la sauve! Vous avez sans doute deviné que cet « étranger », qui faisait de l’équitation, n’est nul autre que Rogers. Elle monte avec lui sur le cheval et ils retournent à Westmount où il vit maintenant. Il s’est lancé en affaires. Leurs amours reprennent. Mais la vengeance de Harry ne s’arrête pas là : il réussit à faire condamner Rogers à la prison pour un supposé crime (c’est un coup monté) financier.
Tous les problèmes finissent par se tasser : Rogers est disculpé, il épouse Ninie, il devient rapidement millionnaire, ils vivent à New York; quant à Harry, il est ruiné, son enfant meurt de misère et sa mère, de chagrin. Comme quoi, il y a encore une justice en ce bas-monde!…
Chose sûre, il y a matière à s’amuser des tournures de l’intrigue dont je n’ai donné qu’un faible aperçu. Mais l’essentiel n’est pas là. Au départ, on est devant une jeune femme qui s’affirme : elle rêve non seulement à l’amour, mais aussi au pouvoir. Elle ne s’en cache pas, elle veut devenir riche. Et elle ne compte pas y parvenir en épousant un homme riche : elle prend les moyens pour y arriver! Elle se fait instruire, apprend l’anglais, repousse le métier d’enseignante pas assez payant, se déplace au cœur du grand Montréal, s’immisce dans le monde des affaires. Je ne vois pas un autre roman de l’époque qui a défendu de telles valeurs. (Malheureusement, l’autrice perd son roman en cours de route : c’est son mari qui lui apporte cette richesse.) Plus encore, la vie à l’américaine, celle des millionnaires, lui apparaît comme le nec plus ultra de la réussite. On est loin de l’idéologie de conservation, de la dénonciation du matérialisme, de l’anti-américanisme qu’on lit dans les romans de cette époque. Bien entendu, cela n’en fait pas un grand roman pour autant.
Pour tout savoir sur Virginie Dussault
Lire le roman en ligne (je n’ai jamais vu ce roman sur le marché des livres anciens)
Détertoc (René de Cotret), Les voies de l’amour, Montréal, s.n., 1931, 311 pages.
Le docteur Michel Toinon a invité
des confrères chez lui. Ils se remémorent d’anciens souvenirs du temps où ils
étaient étudiants. Puis, l’hôte de la maison leur raconte sa vie amoureuse. Le
roman débute pour ainsi dire au chapitre 4, page 71.
Michel est fils de notaire et
Andrée, fille de marchand. Leurs deux familles sont voisines, amies et riches. Tout
jeunes, ils jouent ensemble et, un jour, ils se découvrent amoureux et se promettent
un amour éternel lors d’une visite d’église. Ils sont séparés quand Michel suit
ses études de médecine à Montréal. Au début, ils s’écrivent toutes les
semaines, puis les lettres se font plus rares, sans que l’un et l’autre sachent
trop pourquoi.
Michel a un ami : Jean Roy.
Or ce dernier aime secrètement Andrée. Il fait tout en son pouvoir pour briser
le lien entre Andrée et Michel, poussant une fille dans les bras de son ami,
interceptant et trafiquant leurs lettres. Michel, naïf, n’y voit que du feu. Son
amour pour Andrée s’éteint à mesure qu’augmente son amour pour Lucille – et
même pour sa sœur.
Jean, croyant enfin la voie
libre, fait sa cour à Andrée, sans succès. Les études finies, Michel s’installe
dans un petit village, rompt avec Lucille et sa sœur, et tombe amoureux d’une
infirmière. Andrée, dépressive, est à l’article de la mort. La mère exhorte son
fils à lui rendre visite. Aussitôt qu’il la revoit, son ancien amour resurgit. Il abandonne l’infirmière et revient
s’installer dans son village. Jean Roy, repentant, lui révèle son subterfuge. Ils
se marient, ont un enfant et Andrée meurt quelques heures après l’accouchement.
L’action est presque nulle malgré
les 300 pages. Le récit est surtout composé de descriptions et d’analyses :
portrait physique et psychologique de tous les personnages jouant un rôle, descriptions
poétiques de la nature, réflexions sur l’amour et le temps qui passe, analyse des
comportements, de l’évolution des sentiments, des tergiversations du personnage
principal.
Comme c’était le cas dans L’amour
ne meurt pas, les personnages sont d’une sentimentalité exacerbée. On se
croirait au XIXe siècle chez Musset.
Le roman présente des défauts dans
la composition (parfois thématique) ce qui entraîne des retours en arrière et
des répétitions. Il est très bien écrit, entre autres les descriptions de la
nature.
C’est un roman sentimental et il
faut le prendre pour ce qu’il est : les personnages sont beaux et naifs,
le subterfuge de Jean n’est guère vraisemblable. Enfin, je ne crois pas que le roman passerait
le test d’une lecture féministe.
Extrait
Et Michel Toinon commença le
récit de sa vie. « Vers l’an 1872, à quelques lieues de Montréal, sur les
limites d’un grand village de la rive nord du beau St-Laurent, deux riches
propriétaires possédaient des résidences magnifiques. Un large ruisseau
séparait leurs immenses terrains. Les deux propriétaires, relativement jeunes,
et leurs familles étaient des amis intimes. L’un d’eux, Gabriel Toinon,
notaire, dont le père avait accumulé une fortune rondelette dans le commerce du
bois, avait déjà parcouru presque tous les pays et vogué sur toutes les mers.
Il avait apporté de ses nombreux voyages des idées de grandeur et de faste, des
idées peut-être aussi disparates que les différents pays où le hasard l’avait
conduit. L’autre, Maxime Morin, marchand général, s’était amassé un gros magot.
Malgré leur amitié réciproque, les deux voisins cherchaient toujours à s’éclipser
l’un l’autre, et leur rivalité consistait à faire plus beau, plus grand et plus
fastueux. » […]
Gabriel Toinon n’avait qu’un
enfant, un fils qui reçut au baptême le nom de Michel. Cet enfant, c’était moi.
De même Maxime Morin n’avait qu’une enfant une fille .... Malgré mon jeune âge,
je n’avais alors que huit ans, je me pris d’amitié pour l’enfant de notre
voisin plus jeune que moi de quatre ans. Cette enfant me semblait très jolie.
Elle avait de beaux cheveux blonds qui lui tombaient en grosses torsades sur
ses petites épaules rondes. Elle avait de grands yeux d’un bleu velouté très
brillant, un nez mignon, une petite bouche toujours souriante. Elle était
toujours gentille. Sa voix avait déjà un timbre argenté. Sa démarche vive lui
donnait un petit air de papillon qui voltige. » (p. 71-75)
Détertoc (René de Cotret), L’amour ne meurt pas, Montréal, s.é., 1930, 284 p.
Elphège Adalbert René de Cotret (1861-1937) était médecin. Il a écrit trois romans d’amour à un âge assez avancé : L’amour ne meurt pas (1930), Les voies de l’amour (1931) et Sœur ou fiancée (1932).
On est en 1930. Le narrateur rencontre un ancien confrère de classe, Elphège R., sur la plage d’Old Orchard qui lui raconte son histoire.
L’action débute en 1884. Elphège fréquente l’Université Laval, qui a ouvert une succursale au Château de Ramezay à Montréal. Les étudiants profitent de l’effervescence des alentours pendant leurs périodes libres. Ce sont surtout les jeunes filles qui titillent leur imagination. Et un jour, Elphège vit un véritable coup de foudre pour Rose-Alinda, une jeune fille dont son meilleur copain lui avait parlé. « Je l ’aimais déjà pour toute la vie, à ne voir plus qu’elle dans ma vie. Et depuis mon amour ne s’est jamais démenti. Depuis quarante-cinq ans de ce jour, je n’ai jamais vu qu’elle, je n’ai jamais aimé qu’elle. Sa vie a été ma vie; ses désirs ont été mes désirs; ses pensées, mes pensées. »
Il poursuit sa médecine tout en menant une cour suivie et passionnée à sa Rose-Alinda. Il doit interrompre ses études quand son père décède. Il lui manque une année et il lui faut travailler. La sœur de sa bien-aimée le convainc de s’installer comme médecin à Lowell Maine où elle vit. Aux États-Unis, à cette époque, il n’y a aucun contrôle sur la pratique de la médecine.
À Lowell, il s’ennuie à mourir et la clientèle se fait rare. On lui trouve un petit emploi dans le journal local et tranquillement il se fait une clientèle, même si ses concurrents font courir le bruit qu’il n’a pas fini ses études, ce qui est le cas de la plupart des médecins, semble-t-il. Après un an à Lowell, il rentre à Montréal pour terminer son cours en médecine. Année encore difficile où il est séparé de sa « Rose ». Finalement, son année terminée, il s’établit à Saint-Césaire. Une autre année s’écoule avant qu’il épouse Rose-Alinda. Le couple déménage à Montréal. Les 41 années de mariage qui suivent ne sont assombries que par la mort de quatre enfants en bas âge.
Le récit baigne dans une sentimentalité et un romantisme exacerbés d’une autre époque. Il prend la forme d’une longue plainte amoureuse pour la bien-aimée décédée après 41 ans de mariage. Un véritable mausolée pour la défunte. L’action, très mince, est vue en rétrospective, sauf quand l’auteur reproduit d’anciennes lettres que les amoureux s’échangeaient. L’histoire semble vraie. La chronologie est précise et l’auteur fait référence au journal qu’il a tenu pendant cette période. On peut retirer quelques aspects intéressants sur la pratique de la médecine à la fin du XIXe siècle.
Extrait
Nous arrivons enfin à Montréal d’où
Rose repart immédiatement pour Ste-Martine, et nous voilà de nouveau séparés,
mais avec l’espérance de nous revoir bientôt dans la campagne qui offre tant de
charmes à l’amitié et à l’amour. Cet espoir de répondre bientôt à l’invitation
de l’aimable sœur de ma fiancée apaise plus ou moins l’ennui qui me reprend de
plus belle. J’ai une hâte fébrile d’aller, dans la petite maison hospitalière,
goûter de nouveau les douceurs de l’amitié la plus franche et de revoir, avec
ma Rose bien-aimée, les sentiers ombragés et toutes les stations du chemin de l’amour
pour y retrouver partout les souvenirs que nous n’avons cessé d’y attacher. Il
sera si bon de parcourir ensemble ces lieux que nous avons tant aimés et que
nous désirions revoir depuis longtemps; il sera si bon de transformer de
nouveau la salle à manger en atelier de peinture et d’y travailler au côté de
ma Rose, qui guide autant mon pinceau sur la toile que mon imagi nation dans
mes compositions littéraires; il sera si bon d’accompagner ma Rose aux pieds
des autels en face de la Vierge Immaculée pour demander à cette bonne mère
toutes les grâces dont nous avons un si grand besoin. (p. 219)
Louis-Joseph Doucet, Palais d’écorce, Québec, Chez l’auteur, 1921, 47 p.
Un Louis-Joseph Doucet typique : des touches de terroir
et de patriotisme, surtout des poèmes personnels et quelques autres de
circonstances.
La vision n’a pas changé non
plus : Doucet est hanté par le passage du temps et la perspective de la
mort. Il n’a que 47 ans et plusieurs poèmes, dont l’éponyme, ressemblent à des
bilans de vie. « Adieu, monde de nos misères, / Je te reprends ma liberté;
/ Je redeviens le solitaire, / Marchant vers une autre cité ». C’est
peut-être ce qui explique que la religion occupe une plus grande place que dans
ses recueils précédents : « Revenez donc Jésus, comme aux jours
hébraïques / Sous votre forme humaine. Il serait temps, je crois, / Que vous
rechargeassiez sur votre dos la croix / Pour traverser, sanglant, le rang des
hypocrites. » Il est assez dur avec lui-même : « Je suis le
rancunier des vertus, des bontés / Que je voudrais avoir, que le ciel me
refuse : / Je voudrais être brave et j’ai l’âme confuse : // Je
voudrais être fort, je ne suis qu’un raté ». Doucet semble avoir quand
même lutté contre un certain désespoir qui hantait son esprit :
« Cherchons la liberté des paroles sincères. / Pendant que nous vivons,
éloignons-nous du mal. / Désaltérons nos cœurs au vin de l’idéal, / Chassons de
nous le fiel, respectons la misère. »
Le recueil se termine par un
texte en prose, en rien poétique, dans lequel Doucet livre son testament
personnel. Il s’intitule : « Pour lire en mes derniers jours »
et il s’adresse à ses enfants et petits-enfants. J’en donne quelques extraits:
« Voici, je suppose, ma
dernière maladie. Ma modeste chambre carrée sur la terre me fait songer à une
autre chambre carrée, encore plus modeste. et plus étroite et dans la terre
cette fois, où le silence que j’aime sera peut-être trop absolu.
On dit que la pensée dominante
d’une existence se résume, la plupart du temps, par une parole à l’instant
suprême. Moi je n’ai pu voir la France comme il faut durant ma vie. il est
juste que j’y pense encore, et je veux que mon dernier sommeil soit bercé par
l’idée d’une France céleste. Vive la France !
J’aurais trop de conseils à
donner à mes petits enfants pour pouvoir les résumer en un seul, tout de même
je leur conseille la bonté et l’économie, économie de santé, de patience,
d’intelligence et d’argent qui donne un peu de fierté et d’indépendance.
Je meurs chrétien, dans la
religion de mes pères, religion bien entendue, sans bigoterie, loin des
préjugés, de l’intolérance, je meurs dans la religion ennemie des principes
équivoques.
— Comme au temps des inquisitions
de ceux qui ne pensent pas comme eux, des bigots sévères se croient délégués
directement du ciel pour régénérer le genre humain par leurs principes absolus,
ce sont les plus dangereux, et pour moi les principes absolus formulés dans les
mots sont rares. Je me suis aperçu de bonne heure, et j’ai préféré l’homme de
bonne volonté.
Si les hommes avaient de la bonne
volonté, les lois civiles suffiraient à gouverner la société, et la religion ne
serait pas une nécessité de moyens.
Le meilleur conseil que je
pourrais donner à mes enfants, il me semble, serait de bien faire ce qui doit
être fait; d’aimer le travail, ainsi que la vie, la vie dont on doit être
content, puisque l’on y peut jouir d’un bon repos après un bon travail, et
bénéficier tous les jours, ou à peu près, du beau soleil dont la seule lumière
est sans prix. »
Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana
La chanson du passant
Contes rustiques et poèmes quotidiens
La jonchée nouvelle
Sur les remparts
Les heures passées
Palais d'écorce
Louis-Joseph Doucet, Vers les heures passées, Québec, Chez l’auteur, 1918, 64 p.
Le recueil est dédié à Edmond Le
Moine, « parce qu’il est artiste aimant la littérature canadienne et que
les artistes résument la pensée du sol qu’ils habitent dans l’inspiration
universelle ».
Doucet fait toujours du Doucet :
un poème à saveur historique sur Louis Hébert est suivi d’un poème personnel,
puis d’un poème sur Marie Rollet, l’épouse du premier. Voilà qui en dit long
sur l’absence d’agencement des poèmes. En fait, le poème sur Louis Hébert est
une apologie de la France : « Qui n’aime pas la France est un
dégénéré. » Le poème personnel évoque l’espoir d’un monde meilleur, et les
« Stances à Marie Rollet » racontent les sacrifices d’une femme pour
sa nouvelle patrie.
On a si souvent l’impression, en
lisant Doucet, qu’il est sur son lit de mort : sa poésie emprunte souvent
la voie du bilan de vie. Sa vision du monde, on l’a déjà dit, est toujours
aussi pessimiste. Quand il regarde derrière lui, il ne voit qu’ennui :
« Les heures du passé nous les revivrons toutes, / Sous les mêmes rayons,
et dans le même ennui. » Son plus grand plaisir en ce bas-monde fut son
amour pour la France : « « Avant de te quitter pour le pays des
anges /…/ Si rien ne me revient, malgré mon espérance, / Qu’importe, de ce rien
je me consolerai. / Mon mot de passe reste ; adieu : « Vive la
France ». Le cimetière n’est jamais bien loin : « Le
jour éclaire notre vie, / La nuit prépare notre mort. » Cette vision du
monde s’accommode mal avec sa foi. Aussi trouve-t-on, en retrait, quelques vers
qui tempèrent son pessimisme : « Toute désespérance / Accompagne un
rayon; / Dieu mit une semence / Au fond de tout sillon… »
En 1918, la Première Guerre mondiale se termine. Doucet y fait écho dans 4 ou 5 poèmes, dont celui-ci:
BELLES CLOCHES
DE LA VICTOIRE
(Ballade II)
I
Le soir du onze
de novembre
De cet an mil neuf cent dix-huit,
L’instant dit, on pût vous entendre,
Sous l’astre riant à demi,
Et sur les eaux au ton de moire,
Vous montâtes en flots pressés,
Solennelles dans l’air glacé,
Belles cloches de la victoire !
II
Puis la clameur
et l’appel tendre
Ont fait tressaillir cette nuit
Où l’âme voulait se répandre
Parmi les échos de ces bruits
Dont le fait dépasse l’histoire.
Devant la porte du passé,
C’est vous qui l’avez annoncé,
Belles cloches de la victoire !
III
Mais à la nouvelle charmante
Plus qu’on ne peut le concevoir,
Que l’Allemagne chancelante
Plumait enfin son aigle noir,
Partout ce fut le jour de gloire.
Nous en pleurions, et nous chantions
Nos voix montaient à l’unisson.
Belles cloches de la victoire !
Nous graverons
dans nos mémoires,
Jusqu’à ce que nous trépassions,
L’amour de France, et vos chansons,
Belles cloches de la victoire !
Louis-Joseph Doucet, Sur les remparts, Québec, s.n., 1911, 108 pages.
Compte tenu du titre, on pourrait
s’attendre à un recueil qui traite de la ville de Québec ou encore de
patriotisme. On pense au « Vieux soldat canadien » de Crémazie qui
venait sur les remparts de Québec surveiller le retour d’un bateau français. C’est
bien mal connaitre Louis-Joseph Doucet, un poète éclectique qui ne s’embarrasse
pas de plan. Ainsi va l’inspiration ainsi va le recueil. Le premier poème est
une exonération de Bigot, le deuxième un rappel de l’ancienne gloire du château
de Ramezay, le troisième un hommage aux morts, le quatrième une ballade à la
nature…
Les vers les plus personnels de
Doucet sont le fait d’un poète inquiet, qui pense que le temps lui est compté,
comme si la mort rodait autour de lui. « Notre ivresse d’un soir, du même
soir bannie, / Laisse une fibre intime alliée au regret… » (Inquiétude)
Il se voit même déjà au cimetière : « Passant qui foules mon tombeau,
/ J’ai fait comme toi dans la vie » (Dis pour mon âme quelques mots).
Même dans ses poèmes de Noël, il réussit à distiller sa tristesse :
« Ô nouvel an plein de mensonges, / Qu’apportes-tu pour les aînés? »
(Les étrennes) Cette désillusion atteint son paroxysme dans un long et
lugubre poème de 10 pages intitulé : « La voix des solitudes » :
« Le monde est vain, / J’aime la paix des tombes, / Passez mes jours, je
ne vous souris plus, / Va-t’en mon âme aux blanches hécatombes, / Sur le chemin
des espoirs superflus! » Après avoir évoqué de façon froide son premier
amour, il nous lance cette morale : « Pour être heureux sur terre, /
Il faut être soi-même en tout : / Désirer peu, souvent se taire, / Et
parfois… Endurer beaucoup… » (La chanson)
Ses vers à saveur patriotique, plus rares, sont ceux qui magnifient les temps héroïques de la Nouvelle-France et de la période qui lui a succédé, comme si rien de bon n’était arrivé dans ce pays depuis Crémazie. Enfin, on lit un sonnet typique de Lemay et des terroiristes des années 20. Comme il est unique dans le recueil, je le présente en extrait :
LES BATTEURS DE BLÉ
Les batteurs de bon blé
font leur tâche à la grange,
Au rythme des fléaux égrenant les épis ;
Une à une ont passé mille gerbes à frange,
Et le bon blé frissonne en ses carrés remplis.
Pan ! pan ! pan ! du
matin jusqu’au soir aux étoiles,
On entend résonner leurs coups dans le lointain ;
Leurs chapeaux poussiéreux leurs vareuses de toile,
Vieillissent le tableau dans le jour incertain.
Pan ! pan ! hola ! quand
donc finiront-ils la tâche,
Ces batteurs de blé mûr, que l’obscurité cache ?
Pour éclairer leur ombre, ils n’ont qu’un vieux fanal.
Et la poussière monte en
spirale fuyante,
Et le bon blé ruisselle en la paille tremblante
Comme des sables d’or au rayon matinal.
Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana
La
chanson du passant
Contes
rustiques et poèmes quotidiens
La jonchée nouvelle
Sur les remparts
Louis-Joseph Doucet, La jonchée nouvelle, Montréal, Yon, 1910, 96 pages. (Préface de Charles Gill)
Le recueil est dédié à la
« France canadienne ». Gill écrit dans la préface : « La
sincérité, l'attendrissement, une franche saveur de terroir et l'abondance sont
les qualités maîtresses de ce généreux poète au cœur naïf. Ces qualités, il les
possède à un degré difficile à atteindre, et jamais au Canada le sentiment de
la nature n'a chanté avec autant de chaleur et de pittoresque. " Le Vieux Pont
" et " Les Cèdres ", par exemple, sont des chefs-d'œuvre. »
Ce que j’ai écrit, il y a douze
ans, sur La
chanson du passant, je pourrais le répéter ici : « Doucet est un
poète romantique, mais non un poète du terroir. Son inspiration très convenue
est à peu près la même que celle de Lamartine : la nature bienveillante, le
temps destructeur, les souffrances humaines, l’appréhension de la mort. »
« J'aime voir le passé creusant sa trace austère
Et couvrant de poussière un seuil abandonné » (Les ruines)
« Heureux qui sait mourir sous le toit de ses pères !
Heureux qui se complait en son passé d'enfant ! » (Le souvenir)
« Mon âme avec émoi contemple ta verdure
Et sourit en disant, heureuse de te voir :
Salut, saison des fleurs, idéale nature,
Dont le souffle embaumé me prodigue l'espoir! » (Printemps)
« Ma vie est comme une herbe au vent,
Battant le mur, battant le sable,
Profondément simple et suivant
Ton jours son rêve impérissable. » (Mélancolie)
« Il était un poète au cœur large et sincère,
Un enfant du pays aux généreux accents,
Poète qui chantait les preux de notre terre,
Peuplant l'écho natal de mots attendrissants. » (Crémazie)
« J'espère en toi Seigneur, protège ma misère.
Le pauvre que tu fis regarde aux cieux sereins
D'un triste et long regard, en te tendant les mains ;
Écoute un peu mon cœur, ma prière est sincère. » (Psaume)
Quelques critiques
« "La Jonchée
Nouvelle" donne, en effet, l'impression d'un luxuriant jardin quelque peu
négligé. Il y a parfois surabondance de verdure, l'art s'y perd dans la
profusion. Mais qui pour- rait affirmer avec certitude que ce désordre même n'a
pas sa beauté. Victor Hugo aurait-il mieux fait, pour sa gloire, de retrancher
de ses livres tant de pièces que la critique réprouve ? » (critique
anonyme)
« Ceux de la ville
trouveront de la beauté dans ces ballades et ces élégies et ces sonnets, une
beauté qu'ils admireront, qu'ils sentiront sans doute, mais qu'ils ne comprendront
vraiment que s'ils ont entendu, un jour, et avant tout autre bruit, la grande
voix delà nature, dans l'immense recueillement champêtre. Pour cela, il faut, à
coup sûr, avoir de la poésie en l'âmeet de l'amour au cœur. » (Colette)
« Il est difficile d'imaginer
rien d'aussi lumineux, d'aussi pur que certains strophes de "La Jonchée
Nouvelle", strophes dont la pensée et la forme offrent tout ce qu'il y a
de plus élevé, de plus poétique et parfois de plus chrétien dans la tradition
française. Et ce sera là le plus beau titre de gloire de Louis-Joseph Doucet. »
(Olivier Bonnard)
Et, n’en déplaise à Gill,
« Le vieux pont » n’est pas un chef d’œuvre :
« Aux caresses du vent dont se plaint le roseau,
Parfois un rossignol y turlute son trille.
Et le vieux pont sommeille au-dessus du ruisseau,
Dans l'ouragan des soirs comme au midi tranquille. »