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4 décembre 2020

Pots de fer

Marcel Dugas, Pots de fer, Québec, Édition du Chien d’or, 1941, 55 p.

Le recueil de Dugas est publié en pleine Guerre mondiale. C’est d’ailleurs le sujet des deux premiers textes. « Guerre » est une allocution prononcée à Radio-Canada le 26 juillet 1940. Par suite de la défaite rapide de la France, Dugas dit toute son admiration pour ce pays qu’il habite au moment du déclenchement des hostilités. Il refuse d’accabler la bourgeoisie française pour la défaite et considère que le triomphe allemand n’est que temporaire. « Ce que j’ai pu voir » est une suite ou plutôt un complément du premier texte. Dugas raconte sa fuite hors de la France pour gagner l’Angleterre. Son périple démarre à Saint-Affrique et passe par Toulouse, Bordeaux, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz. De là, un bateau australien l’amène à Liverpool. Il capte plutôt bien le désordre qui suit la débandade de l’armée française (l’extrait). Le dernier texte, adressé à André Thérive, intellectuel bien oublié, est très daté et il est difficile d’en saisir la portée. Lors d’une fête donnée au critique français, Dugas feint de lire une lettre provenant d’un Huron vivant sur les bords du Mississipi.

Pourquoi le titre « Pots de fer »? Parce ce que « ce titre en vaut un autre » et que « l’on plante dans les pots de fer des cactus, du lierre, du réséda, d’humbles fleurs ».

Extrait

Toulouse semblait une ville assiégée par des soldats. Elle en débordait. Mêlés aux civils, on eût dit un flot humain qui s’écoulait sur les boulevards, montant et descendant les rues. Il y en avait partout, à la gare, dans les jardins, aux abords des hôtels. On se demandait pourquoi il y en avait autant; on se demandait pourquoi ils étaient là. Couverts de poussière, décharnés, brûlés par le soleil, ils semblaient désemparés, allant à la recherche de quelque chose qui leur échappait. Plus précisément, ils donnaient l’impression d’être livrés à eux-mêmes, aux hasards de la rue, privés de chefs: troupes hagardes, atterrées, dont les maîtres avaient perdu le contrôle. À la nuit tombée, on les apercevait étendus par terre, sur la terrasse des cafés et des hôtels, dormant à côté de femmes et d’enfants qui n’avaient pu trouver de gîte pour la nuit.

La ville présentait l’aspect du désordre, du chaos. Sur tout cela, planait un demi-silence troublé à peine par des réflexions timides, des appréciations, des critiques qui gardaient une sorte de pudeur à se traduire. […]

On ne pouvait manquer de se montrer surpris du silence qui pesait sur elle. Des ombres et des ombres se croisaient. À peine saisissait-on un mot se détachant de ces groupes d’hommes qui glissaient dans la nuit. Ce silence était parent de celui qui s’établit dans une chambre mortuaire, ce silence oppressait le cerveau et le cœur. On eut désiré un cri poussé, un sanglot décelant une présence plus humaine. Mais toujours cet indescriptible silence. Ces Français vaincus s’enfermaient dans un mutisme qui ne se démentait pas un seul instant. C’était quelque chose de très particulier et de très impressionnant. (p. 21-23)

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