Régis Roy, La
main de fer, Montréal, Edouard Garand, 1931, 54 pages + La vie canadienne [Coll. Le roman canadien)
Commençons par les faits
historiques. 1675 : Louis XIV vient de donner le fort Frontenac (aujourd’hui Kingston) à Cavelier de la Salle, à condition qu’il le rebâtisse en pierres, qu’il y
entretienne vingt hommes pendant deux ans, etc., moyennant quoi il obtient le
trafic des fourrures sur le lac Ontario jusqu’en 1678.
On le sait, Cavelier de la
Salle ne se contentera pas de faire le commerce des fourrures sur les Grands
Lacs. Son esprit aventureux le mènera toujours plus loin, construisant des
forts et prenant possession de nouveaux territoires au nom du roi de France. Il
atteindra le Michigan, l’Illinois et, beaucoup plus au sud, l’embouchure du
Mississippi et le golfe du Mexique en 1682. (Ce sont Jolliet et Marquette qui
furent les premiers Européens à atteindre le Mississipi, mais ils n’étaient pas allés jusqu’au
golfe du Mexique.)
Dans ses découvertes, il est
accompagné par Henri de Tonty, dont le récit de Roy retrace les origines. Il
avait perdu une main dans une guerre en Europe et on l’avait remplacée par une
main de fer, d’où son surnom « La main de fer ». C’est peut-être lui,
tout compte fait, le héros de cette histoire. C’est du moins la thèse de Régis
Roy qui souligne à de multiples reprises le caractère détestable de De la Salle
(D’ailleurs, il sera assassiné par un de ses hommes). C’est Tonty qui rallie
les hommes, transige avec les Autochtones, accomplit les missions les plus
périlleuses.
Déjà l’entreprise de La Salle et Tonty génère une certaine intrigue : la pénétration au cœur de
l’Amérique est semée d’embûches. Roy insiste surtout sur les rencontres avec
les tribus autochtones qui ne se passent pas toujours très bien. Plus encore,
l’ennemi juré des Français, l’Iroquois, n’est jamais bien loin. Comme si cela n’était
pas suffisant, Régis Roy a ajouté deux personnages qui se sont juré d’avoir la
tête de nos deux héros, pour des raisons qu’il serait trop long à expliquer.
Ces deux Européens vont poursuivre La Salle et Tonty, de Paris jusqu’au
Mississippi, prenant même la tête de groupes iroquois pour accomplir leur
vengeance. Bien entendu, tout cela ne tient pas la route et de beaucoup s’en
faut. On les retrouvera, morts, après un affrontement avec les Français.
Que penser de ce roman ? La
partie historique aurait pu être très intéressante, mais Roy n’a pas réussi à
la présenter de façon claire. Le récit n’est pas tout à fait linéaire et le
lecteur se perd dans le temps et dans les circonvolutions des personnages. Où
sommes-nous, en quelle année ?
L’intérêt humain est pour
ainsi dire absent. On ne s’approche jamais de De la Salle et De Tonty, de leurs
motivations profondes, de leur étonnement devant ce nouveau monde qu’ils sont
les premiers à explorer. Et les Autochtones, sauf dans l’extrait ci-dessous, sont
pour ainsi dire interchangeables. Bref, La main de fer
n’est pas un très bon roman.
Extrait
Ces villages
ainsi qu’un quatrième appelé Osotouoy, sont désignés communément : les Arkansas.
De la Salle y fit arborer les armes du roi. Le procès-verbal de la prise du
pays des Arkansas est du 14 mars. Ces aborigènes ont des cabanes d’écorce de cèdre.
Ils adorent toutes sortes d’animaux.
Les Français
trouvèrent le pays fort beau ; une grande variété de fruits y viennent en
abondance. Le bœuf musqué, le cerf, l’ours, le chevreuil et les poules d’Inde y
sont en quantité. Les sauvages y ont même des poules domestiques. L’hiver est
plus agréable qu’au Nord, car il tombe bien peu de neige, et une pellicule
cristalline dans cette morte saison couvre les cours d’eau.
De la Salle
obtint des Arkansas des guides pour le conduire chez leurs alliés, les Taensas.
Tonty fut délégué pour avertir le premier dignitaire que des visages-pâles le
venaient voir. Le fort palissadé des Toensas est placé sur le bord d’un petit lac,
à dix arpents dans les terres. Les cabanes sont faites de bousillage et
couvertes de nattes de cannes. Celle du chef suprême, d’après les calculs de
Tonty, mesurait quarante pieds carrés ; la muraille environ dix pieds de haut
et épaisse d’un pied. Le toit, en rotonde, avait une élévation de quinze pieds
du sol.
Tonty, en y
entrant, demeura surpris de voir le chef assis sur un lit de camp, avec trois
de ses femmes à ses côtés, environné de plus de soixante vieillards, revêtus de
grandes couvertes blanches, fabriquées d’écorce de mûrier par les doigts
habiles des femmes. Ces dernières ont un vêtement semblable et, chaque fois que
le chef leur parle, avant de lui répondre toutes font plusieurs hurlements en
criant une couple de fois : Oh ! oh ! oh !… pour marquer le respect qu’elles
lui portent.
Ce personnage était
aussi considéré parmi les Taensas que Louis XIV au sein de ses adulateurs.
Personne ne buvait dans sa tasse ni ne mangeait des mets préparés pour lui. Il était
défendu de passer devant lui, et l’on nettoyait la place sur son passage. Lorsque
le chef suprême s’en allait ad patres, on sacrifiait sa première femme,
son premier maître d’hôtel et cent hommes de sa tribu pour l’accompagner dans
les champs élysées de ces peuplades.
Les Taensas
adoraient le soleil.
Tonty visita
leur temple, construction du genre de la case du chef et lui faisant vis-à-vis.
Il y avait dessus trois aigles empaillés, plantés la tête vers l’Orient. Une
haute muraille entourait le temple. Sur cette ceinture murale flottaient au
bout de piques, au caprice de la brise, les têtes de leurs ennemis sacrifiés au
Soleil. (p. 45)
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