Lucie Clément, En marge de la vie, Montréal, Albert
Levesque, 1934, 192 pages.
Nicole
Berteuil et Joan Webb, une francophone et une anglophone, partagent un
appartement à Ottawa depuis 5 ans. Les deux travaillent dans un laboratoire. Nicole
a vécu un amour déçu avec Max Briguères il y a cinq ans quand ce dernier lui a
préféré sa sœur. Pendant des vacances au Lac Masson, elle fait la rencontre de Bob
Stonehaven, un aviateur anglais en convalescence. Elle l’épouse mais elle a tôt
fait de découvrir que son Bob est un jaloux. Et dire qu’elle doit le suivre en
Inde où il est capitaine d’un corps d’aviation...
Trois
ans ont passé. Bob et Nicole sont toujours à Dehli. André Mirvalles, un cousin
de Bob, un artiste, vient les visiter. Bientôt naît une connivence entre Nicole
et André. Tous les deux aiment l’art, l’histoire. Comme André, qui est sculpteur,
décide de rester un temps à Delhi, ils se fréquentent, travaillent ensemble à
l’atelier. Bob est jaloux, cette fois-ci non sans raison, André et Nicole s’aiment, mais celle-ci refuse de briser son
mariage. André court se réfugier à Calcutta pendant un temps. Et il se tue dans un
accident d’automobile lors de son retour. À force de harcèlements de la part de
Bob, Nicole finit par tout lui avouer. Il la chasse. Du coup, « elle est
condamnée, condamnée à vivre désormais en marge de la vie! »
Le roman
est truffé de dialogues et d’auto-analyses, même si le narrateur est externe. Lucie
Clément raconte deux choses : les affres intérieures d’un jaloux et celles d’une
femme mal mariée. Bob Stonehaven se méfie de tout homme qui approche
« sa » Nicole, une femme qu’il idolâtre, au-delà de l’amour.
L’auteure ne nous explique pas les tenants de ce sentiment démesuré : il voudrait que sa femme n’ait pas d’autres intérêts que sa petite
personne. Il lui en veut même de se détourner de lui pour s’intéresser aux livres, à
l’art, au patrimoine autochtone. On le voit, c’est ici que le second thème
s’insère. Il voudrait que « sa » Nicole n’ait pas d’autre but que
d’être sa femme. Quant à elle, elle ne peut se contenter de cette vie effacée. C’est
une femme sensible et passionnée qui a besoin d’exister en dehors de son mari. Dans son analyse, les divergences culturelles entre anglophone et
francophone posent problème. Ce que Bob exige d’elle, c’est qu’elle nie son
identité française : « J’aurais dû, j’en conviens, m’adapter à ma
nouvelle vie, mais l’anglais que nous parlions à notre foyer m’éloignait au
contraire. Je vivais comme en dehors de chez-moi, au-delà de moi-même dans une
attente indécise, dans une imprécision de rêve. »
Le roman a le mérite de nous transporter en
Inde, même si la vie indienne demeure un décor d’arrière-scène. Bob et Nicole vivent dans le monde des colonisateurs anglais. Pour le reste, tout l’échafaudage psychologique pour expliquer l’échec du couple me semble un peu fragile et cette façon de clore l’histoire en faisant mourir André, un peu facile.
Extrait
Elle
va, elle va. À chaque pas la guette un remords. Elle cherche l’apaisement; elle
trouve un surcroît de pensées douloureuses tapies près des meubles, entre les
plis des tentures choisies avec Bob par un temps de grisaille, à Paris et que
soulève sa marche sans but. Elle sort sur la terrasse; elle tend les bras aux
fleurs qui replient leurs pétales sur leur cœur brûlé par les rayons trop
ardents du soleil indien. Elle appelle « André, André ». Un sanglot
se meurt étranglé dans sa gorge. Complexe, malheureuse, douloureuse, ah ! comme
elle est lasse, lasse de tout. Et la chaleur dure et finit par affoler, par
obscurcir le cerveau; elle rend altéré de douceur, de caresses, de passion
tendre ce cœur de chair qui s’obstine à aimer et jamais ne s’use à souffrir.
Elle se sent atrocement lasse de ce silence de la maison vide, vide d’espoirs
comme de bonheur; lasse de cette vacuité où s’amplifient en hurlements les
reproches qu’elle adresse à sa faiblesse de n’avoir pas su résister à
l’attirance du français chez Mirvalles; lasse de tout cet anglais qu’elle
entend partout et toujours, dans les milieux mondains, dans la rue, à son foyer
... à chaque instant du jour; et elle désire avec frénésie entendre la musique
de syllabes françaises murmurées par la voix aimée. (p. 153)
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