Françoise Bujold, Au catalogue de
solitudes, Montréal, Erta,
1956, 29 p. (Collection de la tête armée
no 5) (Trois gravures de l'auteure)
Le recueil de Françoise Bujold (1933-1981)
compte vingt poèmes. Certains
titres méritent d’être signalés : « Bravo pour le sage »,
« Les santés se suicident », « C'était donc ça la sainteté... »,
« J’ai tué l’incohérence ». En exergue, elle cite un passage des Proverbes, dans l’Ancien testament : « C’est
ôter son manteau par temps froid / C’est verser du vinaigre sur une plaie / Que
de chanter un air à un cœur affligé. » Ironie, persiflage,
affliction : on a déjà une idée de l’état d’âme du poète et de sa réaction
face aux problèmes qui l’affligent.
Dans le premier poème, le sujet
apparaît comme un être brimé, contrecarré dans ses projets : « J’ai voulu
témoigner ma présence aux premiers gestes de la terre / Ils ont fermé sur moi
une porte de pierre / Ils ont inventé des chansons pour enterrer ma confession
/ La cruauté d’une main d’homme sur ma bouche / A tué la
vision ». On reviendra sur le
« ils », mais on peut penser que c’est davantage l’artiste que
la femme qui est brimé : « Donnez-moi une journée sans nuit / Je vous
promets de la beauté et de la musique / Je vous promets des crayons usés et des
feuilles écrites ». Le sujet admet qu’elle n’a pas toujours joué franc jeu
et il est bien difficile de dire si elle y a été forcée : « J’ai
divorcé la vérité / J’ai joué le feu comédie ». Plus loin dans le recueil,
on a l’impression que la problématique se déplace, des aspirations artistiques
vers le désir amoureux. Il y a encore ces « ils » trompeurs, mais la poète admet non sans bravade qu’elle joue le même jeu : « Je joue
généreuse / Mais je ne le suis pas / Ton apprivoisement /
Souviens-toi / Ta mort au désert
me sera dite ». Au final, l’amour n’est qu’un jeu de dupes, hommes et femmes,
tout le monde ment : « Et les hommes avertis / Jouent l'amour-comédie
/ Vous mentez! / Vous mentez ! / Vous
mentez! ». Et cela encore, à propos des hommes : « Car les
hommes sont toujours assez mal préparés à l’amour. »
Plus loin encore dans le recueil,
la problématique semble déborder la relation homme-femme. On retrouve quelques
personnages symboliques dont certaines figures féminines - la
« mer » et la grande « dame blanche » - qui semblent des
figures d’autorité, aussi castratrices que les figures masculines. Ainsi
dans le poème « Pourquoi nous avoir
profanés » : « Mais la mer / Grande et cruelle femme drapée de noir /
nous a déshabillés / Nous a profanés ». Face à ces figues fortes se dresse la « fille-sève ». Dans les poèmes « Veille », « Histoire de
bonheur » et même « Les nuits hymen », on pourrait penser qu’il
s’agit d’une relation mère-fille, et la « fille-sève » constate que la « dame
blanche », qui veut lui en imposer, n’est pas heureuse, donc n’a rien à
lui apprendre.
Bref, à défaut d’interprétations
précises, on peut dire sans risque de se tromper que Bujold décrit un monde
cruel, dans lequel les êtres sont en lutte les uns contre les autres, chacun
essayant de profiter de l’autre, les plus forts écrasant les plus faibles, les
plus faibles piégeant ceux qui se croient les plus forts. Le dernier poème semble pointer une voie de
survie, celle de la fuite :
Elle est partie,
Toute belle
Ses manies violettes
Ses valises aux dentelles
Ses mains faites
De maquettes nouvelles
Schémas de clefs aux cœurs
entr'ouverts
Une barrière d’évasion
Pour les désirs prisons
Elle a fondé les filles-cœur
Qui chantent l'amour et font
le beurre
En échange d'épées aux
sentinelles distraites
Elle a glissé un dieu de miel
Et la tête à l’envers
Un prisonnier l'a couronnée
Si elle était restée
La terre aurait encore le cœur
vert
Et les doigts verrouillés
Si elle était restée
Des galeries en rouille
Germeraient encore
Les batailles-brouille
Elle est partie
Toute belle.
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