16 mars 2018

Où nos pas nous attendent

Jean-René Major, Où nos pas nous attendent, Montréal, Erta, 1957, 98 pages.

Ayant été rejeté par son amoureuse, Martin Pesant a quitté la ville et le monde intellectuel qu’il fréquentait et s’est réfugié dans la ferme de ses grands-parents, quelque part dans les montagnes au nord de Joliette.  C’est là qu’il a passé ses vacances d’été pendant qu’il poursuivait ses études en journalisme. Les Pesant n’ont qu’un voisin, Magloire Rivet, un bûcheron qui habite avec son fils et sa fille Louise. Plus loin, en forêt, vit un trappeur d’origine autochtone du nom de Simon.

Les grands-parents de Martin espèrent que leur petit-fils reprenne un jour le bien ancestral. Mais Martin, bien qu’il aime le travail sur la ferme, sait bien qu’il ne sera jamais fermier. Au bout de quelques mois, une idylle amoureuse se développe entre lui et Louise, une fille qui ne craint pas d’affronter les loups en pleine forêt. Martin a retrouvé le calme intérieur et jongle avec l’idée de s’installer à demeure dans ce lieu sauvage.   Mais un jour son ancienne amoureuse, Suzanne-la-comédienne, vient le relancer avec un ami : on lui propose de transformer son roman en pièce de théâtre. À partir de là,  plus rien ne tient pour Martin. Même s’il se sent coupable de leur avoir créé de faux espoirs, il abandonne son amoureuse et ses grands-parents et retourne dans son monde.

Le roman est court et très écrit. L’univers physique nous rappelle Thériault, celui de La fille laide et du Dompteur d’ours. Un univers en dehors du monde. Major aborde superficiellement le thème clé du roman de la terre – la transmission du bien paternel - , mais l’essentiel n’est pas là. Comme le fera l’autre Major dans Le Cabochon, il traite de la difficulté de passer d’un milieu social à un autre. Martin, écœuré des manigances des milieux intellectuels qu’il fréquente, apprécie l’authenticité du monde paysan. Il apprécie également le contact avec la nature, la forêt plutôt que la ferme. Il aime bien Louise, cette fille vraie, courageuse, sauvageonne. Mais il finit par comprendre qu’il lui sera impossible de passer sa vie dans ce monde restreint. 

Seul roman publié chez Erta. Surprenant tout de même parce que le roman est très conventionnel. 

Extrait
Depuis son arrivée à la ferme, même auprès des grands-parents bienveillants, Martin s’était senti presqu’étranger. Il avait vécu trop intensément et trop loin d’eux, pendant plusieurs années, pour pouvoir conserver intacte la simplicité de son enfance campagnarde.

Dans cette cabane de trappeur, il était accepté pour ce qu’il avait été. C’est Martin le jeune collégien en vacances d’autrefois que Simon aimait à travers lui. Non pas Martin l’intellectuel dont personne dans cette région, pas plus Simon que les grands-parents, ne se souciait.

Ici, il n’était désormais qu’un homme réduit à l’essentiel de sa condition. Dépouillé de tout diplôme, de tout qualificatif superficiel, de toute renommée, on le jugeait sur ses actes. Gomme tuer un loup, par exemple. Oui, Louise Rivet était bien de ces lieux, elle. Une véritable fille des bois, aux gestes précis, fermes, à qui rien ne faisait peur, ni le dur travail de la chasse ni le danger des bêtes sauvages, parce que l’un et l’autre formaient le cadre quotidien de sa vie. Elle avait sa place dans cette habitation rustique. Les murs de troncs d’arbres à peine équarris, les couvertures aux couleurs vives, le métal des pièges, rien de tout cela ne s’opposait pas à sa beauté solide.

— Mais moi, se disait Martin, même si mon allure ne me trahit pas, même si mon langage est volontairement celui de mes compagnons, j’ai vu trop de gestes délicats, j’ai senti trop d’odeurs subtiles, j’ai entendu trop de conversations raffinées pour leur être semblable. 

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