LIVRES À VENDRE

27 mai 2016

L'iris bleu

Jules Larivière, L’Iris bleu, Montréal, Édouard Garand, 1925, 68 pages. (1e tirage : 1923) (collection « Le roman canadien »)

Ce fascicule est le premier de la collection « Le roman canadien » d’Édouard Garand. D’ailleurs, il semble que ce soit Jules Larivière, notaire, qui a donné l’impulsion de départ à la création de cette collection.

Le jeune notaire Yves Marin est le dernier descendant de sa lignée. Sur son lit de mort, un  vieil oncle lui fait promettre de conserver  le bien paternel et même de le faire fructifier.  Yves accepte de relever le défi, ce que sa petite amie Berthe voit d’un mauvais œil : elle ne veut surtout pas venir s’enterrer à St-Irénée, ce petit bled perdu près de St-Hyacinthe. Par dépit amoureux mais aussi pour étudier l’industrie de la toilerie, Yves passe un an en Europe. Avec son copain Paul Lauzon, il compte développer des petites industries, complémentaires de l’agriculture : une confiserie et une toilerie. Au retour, il s’installe dans le domaine familial, laissant le travail de la ferme à des métayers, et s’occupe de ses petites industries.

À cette histoire, se greffe un développement sentimental qui occupe toute la deuxième partie du livre. Une jeune orpheline, Andrée, pupille du docteur du village, fait battre le cœur du jeune notaire. Après bien des chassés-croisés, ils finissent par s’avouer leur amour, ce que tout le village avait prédit.

Ce n’est pas un roman de la terre, même s’il baigne dans la même idéologie. En fait, il reprend là où Gérin-Lajoie l’avait laissé dans Jean Rivard l’économiste. Larivière, comme Gérin-Lajoie et Bouchette, croit qu’une certaine industrialisation doit aller de pair avec l’agriculture, mission première des Canadiens français. Le roman est une charge féroce contre le dépeuplement des campagnes au profit des villes. « Nous sortons à peine d’une guerre terrible à laquelle  succède une lutte économique sans merci  et si nous ne nous hâtons pas de profiter de tous les moyens à notre disposition, c’en sera bientôt fait de l’influence canadienne-française, même dans la province. Le plus puissant de nos moyens, ce sera l’industrie, non pas démoralisatrice des villes, mais l’industrie  bien comprise, sagement répartie à travers  notre province, l’industrie vivant de l’agriculture  et la complétant. Nous devons, comme le conseillait un jour Monsieur Montpetit, nous servir des mêmes moyens qu’emploie  l’adversaire : la richesse ! »

La ville est malsaine, le devoir d’un patriote est de rester à la campagne, de poursuivre le travail des ancêtres.  « Les villes gâtent tout, elles gâtent même jusqu’aux vertus les plus belles et les plus admirables. » Et Larivière ajoute que ce sont les jeunes filles qui sont les premières victimes de l’effet pernicieux des villes : « Toutes sont frivoles, assoiffées d’émotions nouvelles, de plaisirs inconnus; aujourd’hui, les mille et une pimbêches qui cherchent  mari, espèrent séduire par le fard de leurs joues, le décolleté de leur toilette, l’élégance  de leur danse, la frivolité de leur vie. Elles sont la parodie de la vraie femme et nous, les pauvres petits gens naïfs, nous suivons  leur sillage gracieux et léger avec un peu de paradis dans l’âme, nous nous enlisons  à leurs plaisirs, nous y laissons les beaux rêves de nos quinze ans. »   La charge est tellement virulente et répétée qu’on peut y voir une forme de misogynie, même en tenant compte de l’époque.  La jeune héroïne abandonne ses études et recherches en botanique aussitôt qu’un mari se pointe. « Quelqu’un ! un homme ! Mon Dieu que je suis heureuse ! se dit Andrée intérieurement, cependant que par cet instinct tout naturel chez la femme de chercher son soutien chez plus fort qu’elle, elle venait se mettre sous la garde de cet homme que le ciel lui envoyait. »

Une autre idée, très répandue dans la littérature des années 20, c’est l’anti-américanisme auquel on greffe parfois l’industrialisation et le capitalisme, ce qui n’est pas le cas dans le roman de Larivière. Mais lorsque l’occasion s’en présente, l’auteur se fait plaisir d’attaquer les Américains : « On y représentait un drame américain, vols, brigandages et autres pareilles infamies, le tout joué par des cabotins américains  représenté dans un théâtre canadien. »

On peut lire le roman sur Wikisource ou la BeQ.

20 mai 2016

L’empoisonneur

Jean Nel, (Jean-André Jeannel), L’empoisonneur, Montréal, Edouard Garand, 1928, 70 pages. (Collection « Le roman canadien ») (Illustrations d’Albert Fournier)

L’action commence en 1916 et se poursuit sur une dizaine d’années. Joseph Lespérance est un ivrogne. Sa femme vient de mourir, le laissant seul avec Jeannette, une jeune fille de 14 ans qu’il bat quand il est saoul. Il a tôt fait de se remarier avec la Françoise, une tenancière de bar qui lui donne un enfant infirme qu’on surnomme Blanche. Buvant de plus en plus, Joseph vole la caisse des ouvriers, abandonne femme et enfants, se réfugie en Abitibi et s’acoquine avec un joueur de cartes malhonnêtes. Il doit bientôt fuir la police et il se retrouve en pleine forêt avec le chercheur d’or Paul Gravel. Il le tue, usurpe son nom, se retrouve propriétaire d’une industrie au Saguenay et, malade, repentant, lègue sa fortune mal acquise à Blanche avant de mourir.

Pendant ces années, Jeannette et la Françoise, à force d’économie et de travail, ont rayé la dette de Joseph.  Jeannette a un amoureux, Hector, parti lui aussi au loin afin de faire assez d’argent pour l’épouser. Il rencontre même le père de son amoureuse sans le savoir. Quand la Françoise meurt, Jeannette doit s’occuper seule de la petite Blanche. Le hasard met sur sa route une célèbre cantatrice qui cherche une servante. Autre hasard, cette cantatrice est la femme abandonnée du chercheur d’or Paul Gravel.

La cantatrice mourra à son tour et, de nouveau, Jeannette a beaucoup de difficultés à subvenir aux besoins de la petite Blanche. Le même malotru qui avait entraîné Joseph dans le crime sait que Blanche - et si elle meurt, ce sera Jeannette - doit hériter d’une jolie somme à sa majorité. Il essaie de forcer Jeannette à épouser son neveu, qui se fait passer pour un docteur. Hector réapparaît juste à temps pour sauver Jeannette et l’épouser.

Récit plein d’invraisemblances, mal composé : il y a plusieurs foyers de narration que Nel relie mal entre eux. L’auteur tire à fond les ficelles du mélodrame : jeune fille victime d’un père alcoolique et violent; enfant infirme victime de criminels endurcis. Pour en savoir plus sur ce livre et son auteur, voir la critique de Maurice Lemire dans le DOLQ.


13 mai 2016

La ceinture fléchée

Alexandre Huot, La ceinture fléchée, Montréal, Edouard Garand, 1926, (34 pages + 14 pages) (Collection « Le roman canadien » no 28)

Albert Martineau, sous le sceau de l’anonymat le plus complet, s’est réfugié dans une cabane en bois-rond, en pleine forêt, dans l’arrière-pays de Rimouski (un rang de Sainte-Blandine). Que fait-il là ce vieillard ? Nul ne le sait, et cela inquiète les Rimouskois.  Le vieux s’est acoquiné avec une famille et un guide de chasse, Jérôme Fiola, un personnage coloré qui se déplace dans une traîne sauvage tirée par deux valeureux chevreuils, Cerf-Volant et Pommette.  Le vieux semble riche puisqu’il distribue des 100$ pour protéger son anonymat. Et il semble avoir peur.

Un autre personnage mystérieux, cette fois-ci une femme, une madame Paquin, vit avec sa fille, la belle Alice, depuis 15 ou 16 ans, au fin fond d’un autre rang de Sainte-Blandine. Ses motifs? On les ignore.

Trois personnages, qui viennent de Rivière-du-Loup, se pointent à Rimouski. Tous les trois cherchent le « mystérieux vieillard qui se cache dans les bois ». 

On découvre ceci. Le vieux se nomme Albert Martineau. Deux des trois personnages à sa recherche sont d'anciens collaborateurs; l’un veut l’extorquer (Onésiphore Monette) et l’autre (Jacques Martial) le défendre, ce que le Vieux ignore. Le troisième personnage est le détective qui arrêtera Onésiphore Monette.

Et quant à madame Paquin, c’est l’ancienne femme d’Albert Martineau : elle a fui son foyer parce qu’on la faisait chanter et que son mari ne l’a pas cru. Les deux se tombent dans les bras et, comble de bonheur (on sort les violons, si vous ne l’avez pas déjà fait), Jacques Martial demande la main de la belle Alice. Et, tenez-vous bien, tout cela survient en deux semaines ou juste quelques jours de plus.

Il est bien qu’une histoire ait les environs de Rimouski comme décor. C’est rarissime. Pour le reste, c’est un roman de gare, il ne faut pas être trop exigeant. Tout de même, on ne peut pas comprendre qu’un auteur laisse passer autant d’invraisemblances en si peu de pages, surtout quand on considère qu’il aurait été si facile d’y remédier. Le personnage de Jérôme Fiola, pittoresque, sauve un peu le roman. Et la ceinture fléchée? C’est dans celle-ci qu’Albert Martineau cache ses trésors. Et pourquoi cette cachette? Tenez-vous bien : « La ceinture fléchée nous vient des pionniers, des coureurs des bois qui ont bâti notre pays. Les diamants, ce sont les exploits intrépides de ces ancêtres fiers qui rendent riche et lourde cette ceinture dont s’enorgueillissent tous les vrais Canadiens français. » Ainsi se termine le roman.



6 mai 2016

L’île au massacre


Proper Willaume (Auguste-Henri de Trémaudan), L’île au massacre, Montréal, Edouard Garand, 1928, 73  pages  + supplément littéraire et publicité. (Illustration Albert Fournier) (Collection Le roman canadien)

Pierre-Gaultier de Varennes, Sieur de La Vérendrye, quitte  Montréal le 8 juin 1731, avec son neveu Christophe Dufrost de la Jemmeraye et trois de ses fils : Jean-Baptiste âgé de dix-huit ans, Pierre Gaultier âgé de dix-sept ans, François âgé de seize ans. Cette même année, il érige le fort Saint-Pierre sur le lac Pluie. L’année suivante, il se déplace jusqu’au lac des Bois où il établit le fort Saint-Charles.  Par après, il établit d’autres forts, plus au nord-ouest, près du Lac Winipeg : il confie le fort Maurepas à ses deux fils aînés, et le fort de la Fourche-des-Roseaux à son neveu.

L’action commence au printemps 1736. Sa troupe, toujours installée au fort Saint-Charles, vient de passer un terrible hiver : les vivres ont manqué. La Vérendrye s’inquiète pour ses fils et son neveu, encore plus à l’Ouest. Il a raison car son neveu et presque tous les habitants du fort de la Fourche-des-Roseaux sont morts de faim durant l’hiver. L’arrivée du printemps et une pêche miraculeuse va redonner espoir à tous ces explorateurs.

Le roman a une forte teneur historique, mais l’essentiel n’est pas là, les explorations n’occupant qu’une mince part dans le roman.  Le nerf du récit, c’est l’intrigue amoureuse qui lie Jean-Baptiste de La Vérendrye à deux Autochtones de la tribu des Cris : Rose-des-Bois et Pâle-Aurore. Jean-Baptiste et Pâle-Aurore s’aiment et veulent se marier, ce à quoi consentent son père et le prêtre. Or, Cerf-Agile, chef de la tribu des Cris, ami des Français, est aussi amoureux de Pâle-Aurore. Et Rose-des-bois est amoureuse de Jean-Baptiste. Les deux rejetés (Rose-des-Bois et Cerf-Agile) vont ourdir un complot cruel qui va mener à la mort du fils de La Vérendrye. Eux-mêmes seront punis.

Mais encore une fois, peut-être que l’essentiel n’est pas là. La relation entre les Autochtones et les Blancs constitue ce qu’il y a de plus intéressant dans ce roman. L’auteur tient un discours passablement favorable aux Autochtones :

« Ils ont une tradition qui a souvent la précision et la documentation d’une étude scientifique. »

« Il y a chez l’Indien naturel une loyauté que nous ne rencontrons plus guère dans notre monde corrompu. Il a horreur du mensonge. Il est sincère dans son affection comme dans son hospitalité… »

Concernant le mariage de Jean-Baptiste, le père Aulneau déclare : « Votre père a raison de consentir à ce mariage. C’est un exemple qu’un membre  de sa famille devait faire. C’est un tort de croire que l’on ne doit pas mélanger  le sang de deux races de différentes couleurs. Votre mariage consacrera un fait établi depuis un siècle et plus. Les premiers colons qui ont débarqué sur cette terre n’avaient pas de femmes. Ils se sont alliés avec les Autochtones et nombre d’habitants  de la Nouvelle France ont de ce sang dans les veines. Ils en ont honte. Et pourquoi ? Est-ce qu’aux yeux de Dieu toutes les âmes ne sont pas blanches ? À l’instar des Aborigènes, les Blancs ont considéré  les Autochtone, pendant trop longtemps, comme des esclaves. C’est à nous catholiques de montrer que nos fils ne commettent pas de mésalliance en épousant  ces filles dont le cœur est aussi noble que le nôtre. En les amenant peu à peu à notre civilisation, nous en ferons les mères  d’une race forte qui conservera à la langue française et à notre foi ces immenses  pays que vous découvrez. Et plus tard quand les femmes blanches viendront ici elles trouveront des sœurs d’une autre  couleur pour les accueillir. »

L’auteur donne longuement la parole aux Autochtones, dont voici un court extrait : « Vous voulez, continua l’Indien emporté  par son élan, par l’usage de belles paroles et au moyen d’une religion étrange et nouvelle, nous soumettre à un joug sans lequel nous avions fort bien vécu jusqu’alors.  Nous étions libres comme les oiseaux et les animaux dans nos forêts et dans nos plaines ; libres comme les poissons de nos lacs et de nos rivières. Sans nous consulter, sans vous inquiéter de nous, vous venez  bâtir des forts comme celui-ci destinés à former les noyaux de vos grands établissements  de l’avenir, comme vous avez fait à l’est de nos Grands Lacs ! »

Tout n’est pas parfait. 

Regard bienveillant, mais en même temps certains préjugés. Ce qui plait avant tout à Jean-Baptiste chez Pâle-Aurore, c’est qu’elle est probablement une métis : « Il y a en elle quelque chose d’inconnu chez les femmes autochtone de sa tribu, même chez sa sœur, Rose-des-Bois. Cette chose indéfinissable dans ses manières, dans son attitude, dans son regard ne peut se retrouver que chez les femmes de notre race.  Et cela m’intrigue. » 

Lire le roman  sur Wikisource ou la BeQ