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3 avril 2015

Les pas sur terre

Wilfrid Lemoine, Les Pas sur terre, Montréal, Chanteclerc, 1953, 125 pages.

Les Pas sur terre n’est pas qu’un recueil de poésie, même si l’essentiel est formé de poèmes. On y trouve aussi de petites pièces dramatiques et deux textes en prose. Le style de Lemoine est tantôt très simple, presque au premier degré, tantôt obscur, utilisant le procédé de l’allégorie.

Le recueil est formé de six parties. Il me semble que la recherche de l’identité sexuelle est au cœur du recueil. Tout le reste – le malaise qui découle d’une sexualité mal assumée - dérive de ce thème premier.

Le recueil s’ouvre sur des visions assez apocalyptiques de la ville : « Les tramways rampaient sur leurs fils d'acier / Comme des chenilles crevées remplies de pétrole / Incandescent / Et l'odeur des ouvriers sales se répandait dans la rue / Pour embuer les affiches criardes / Qui allumaient / Et éteignaient / Et rallumaient / Leurs mensonges rouges / Leurs rêves puérils / La contrefaçon de la ville ».

À l’instar des « poètes de la solitude », le poète se sent étranger dans ce monde: « Je marche dans le sable d'un chemin désert / Où les arbres m'effraient sous de longs bras morts / Mes semelles durcies traînent la poussière de celui que je fus / Jusque sur le chemin désert où j'avance meurtri ».

Le mal être est en partie causé par l’abandon amoureux : « Où es-tu quand je suis seul / A quoi penses-tu quand je rêve / Où vas-tu quand je marche / Dans les rues longues du soir / Qui vois-tu quand j'éteins ma lampe / Et brûle les papillons noirs / Quand le désir tourmente mon lit. […] / Appuyé au vieil érable de l’an passé / Si seulement tu passais / Et si je te voyais / J’ouvrirais les volets ». Peut-être est-ce tout autant l’amour défendu : « Angioletta petit Amour de Venise / La mer chaude d’Italie / Se mire bleue / Entre tes cils soyeux / Qui se referment / Et engloutissent / La chaleur de ton pays ».

Même barricadé dans « sa vérité », il sent que la pression du monde extérieur peut jeter à terre l’édifice : « Aujourd'hui le brouillard colle à mes fenêtres / Comme l'eau dans les hublots / Les corbeaux s'écrasent et meurent sur ma porte de fer / Sans que je frémisse / Le vent gémit dans les peupliers de mon jardin troublé / Mais je ne l'entends pas / Les murs tremblent et se lézardent en écoutant / Les bombardiers / Aujourd'hui le cataclysme revient mais je colle à ma vie / Comme la flamme noire au charbon rouge ».

Suivent quelques textes qui ne sont pas poétiques : « Le voleur de lune » est un scénario de ballet dans lequel un éphèbe, rejeté et fuyant, finit par trouver son double. Dans la « La route », deux personnages discutent de la vanité des projets humains, la mort en étant toujours l’aboutissement absurde. Dans « L’oasis », un homme rencontre une femme qui le dégoûte et part avec un « garçon ». Dans « La jungle », on retrouve la femme et une ombre, ombre qui se révèle être le garçon du désert de l’histoire précédente. Le discours est assez confus, mais c’est la plainte de la femme rejetée par l’homme qui en émerge. Dans « L’homme du désert », un narrateur rencontre un homme du désert qui refuse son aide. Dans « La pierre de lune », une jeune fille rencontre un « bel adolescent [qui] lui ressembl[e] trait pour trait » et finit par lui emprunter tous ses traits : « … un adolescent étendu dans l’herbe regardait surpris et avec amour son visage nouveau avec une pierre de lune au front où semblaient se dessiner vaguement les traits d’une jeune fille qu’on aurait cru être sa sœur. »

Le recueil se termine par une vision assez désespérante de l’automne. Hommes, bêtes et choses meurent sous l’action du froid. « Ils sont venus les grands arbres morts de novembre / … / Je les ai vus les animaux affamés de novembre / … / Et je l’ai entendu le cri des hommes de novembre / Figé dans la glace qui se forme ».

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